Ma fille cadette a 17 ans. Elle aura donc vécu l'essentiel de sa vie avant que le réchauffement climatique ne batte son plein. Mais quand elle sera âgée, il fera chaud. Ses enfants viendront au monde dans un climat délétère. Quant à leurs enfants, j'ignore sur quel genre de planète ils vivront. Selon les prévisions du Met Office, le service britannique de météorologie chargé d'anticiper l'évolution du climat, dans les années 2060, la température moyenne mondiale aura augmenté de pas moins de 4 degrés Celsius. Cette semaine, lors d'une conférence intitulée «4 degrés et au-delà» qui s'est tenue à l'Université d'Oxford, Richard Betts, spécialiste des impacts climatiques au Meteorological Office Hadley Centre l'un des plus importants centres de recherche sur le climat a fait un exposé éloquent de la situation. «Nous avons toujours parlé des graves impacts [du climat], mais sur les générations futures uniquement», a fait remarquer le Dr Betts. «Or les jeunes gens d'aujourd'hui pourraient bien assister à une hausse de 4 degrés. Beaucoup diront que c'est un scénario extrême, et ça l'est ! Mais c'est aussi un scénario plausible». Il suffit que nous continuions à brûler des combustibles fossiles au rythme actuel, et ce scénario se jouera dans les années 2080. Par ailleurs, si nos émissions de gaz carbonique continuent à augmenter au même rythme que la croissance économique, comme cela a été le cas ces dix dernières années, en 2060 déjà, la température mondiale aura gagné 4 °C. Il ne fera pas bon vivre sur terre. Avec une telle augmentation, la chaleur et la sécheresse rendront 15% des terres agricoles inexploitables. Quant aux récoltes, elles auront brutalement diminué de moitié : la production de produits alimentaires accusera une chute globale de 30 à 40%. Et comme la population mondiale aura grossi de deux milliards, nous n'aurons que la moitié des vivres dont nous disposons actuellement. Beaucoup de gens mourront de faim. En Afrique de l'Ouest et australe, les températures moyennes auront augmenté de 10°C par rapport au niveau d'aujourd'hui. De fortes sécheresses affecteront l'Amérique centrale, les deux rives de la Méditerranée ainsi qu'une vaste zone s'étendant du Proche-Orient vers le nord de l'Inde jusqu'en Asie du Sud-Est. Avec la fonte des glaciers, les grands fleuves asiatiques seront presque toujours asséchés en été. Une élévation du niveau de la mer d'un mètre suffirait pour anéantir la moitié des deltas fertiles du monde, du Nil au Mékong. La famine s'étendra, provoquant d'énormes vagues de réfugiés climatiques, lesquels se heurteront aux barrières érigées aux frontières pour les empêcher de migrer. Paradoxalement, les vieux pays riches qui sont les plus blâmables dans ce désastre (en raison des grandes quantités de CO2 qu'ils ont émis) sont ceux qui souffriront le moins de cette situation, en tout cas dans un premier temps. La règle générale est la suivante: plus un pays est situé loin de l'équateur, moins il est affecté par le changement climatique. En Grande-Bretagne, une hausse de la température de 4 °C entraînerait nécessairement un rationnement strict. Mais, pour autant, le pays pourra toujours subvenir aux besoins alimentaires de sa population en exploitant la totalité des terres disponibles. La chaleur ne sera donc pas meurtrière et les précipitations ne disparaîtront pas grâce à la proximité de la mer. C'est du reste un des avantages des îles. Autre avantage de l'insularité : il est plus facile de contenir l'afflux de réfugiés. La Grande-Bretagne sera presque méconnaissable, mais elle sera considérée comme l'un des pays les plus chanceux de la planète. Le problème est que la hausse de la température mondiale ne s'arrêtera pas à 4°C. Elle se poursuivra jusqu'à atteindre 5 ou 6°C. À ce moment-là, toute la glace présente sur terre fondra et les seules régions habitables seront celles qui se trouveront encore au-dessus du niveau de la mer, autour de l'océan Arctique. Une fois que nous auront franchi une hausse de 2°C, le risque de voir les grandes «boucles de rétroactions» qui rendront le réchauffement incontrôlable sera de plus en plus élevé. Actuellement, si nous nous y employons sérieusement, nous sommes toujours en mesure de contrôler la situation. Car ce sont nos émissions excessives de gaz à effet de serre qui causent le réchauffement. Mais si le pergélisol qui fond et les océans qui se réchauffent commencent à dégager les immenses quantités de gaz à effet de serre qu'ils contiennent, nous nous retrouverons sur une sorte d'escalier mécanique qui mène inexorablement vers 3, 4, 5 et 6°C de plus, sans aucun moyen de l'arrêter. Selon la plupart des scientifiques, le point de non-retour à partir duquel nous perdrons le contrôle du climat se situe à une hausse de température comprise entre 2 et 3°C. Au-delà de ce seuil, peu importe que les hommes réduisent leurs émissions de CO2, les émissions naturelles de gaz à effet de serre déclenchées par le réchauffement anéantiront tous nos efforts. Si on franchit la barre des 2°C, ce sera probablement la fin de civilisation actuelle. C'est pourquoi les dirigeants de tous les grands pays industriels et en développement ont adopté, lors du sommet du G8/G20 qui s'est tenu en Italie en juillet, l'objectif des 2°C de hausse à ne pas franchir. (C'est curieux, ils n'ont pas expliqué au grand public le raisonnement qui les a conduit à fixer ce seuil ; sans doute veulent-ils éviter de faire peur aux enfants ) Entre-temps, ceux qui sont chargés de négocier un nouveau traité sur le climat à Copenhague au mois de décembre tentent courageusement de faire progresser la situation. Hélas, il n'y a aucun signe annonciateur d'un prochain accord qui nous contraindra à rester en dessous de la limite des 2°C. Il faudrait que les émissions de gaz à effet de serre dans le monde commencent immédiatement à baisser de 3% par an. Or, ces dix dernières années, elles ont augmenté de 3% annuellement ! Tous les acteurs du changement climatique connaissent les enjeux et les objectifs. Les responsables politiques savent presque tous à quoi ressemblera le prochain traité. Mais ils savent aussi qu'ils ne pourront guère faire appliquer ses dispositions dans leur pays. Il n'y aura donc probablement pas d'accord efficace cette année, ni l'année prochaine. Le temps change. Et le temps avance. Tic-tac, tic-tac