Alors que les derniers jours du Ramadan s'enchaînent, que chaque jour de la semaine est « le dernier que l'on jeûnera cette année », les familles marocaines (re) commencent à préparer la célébration d'Aïd El Fitr. Il est évidemment question de savoir avec qui on passera la fête, ce qu'on devra préparer pour les repas, mais surtout ce que chacun portera. Si certaines familles privilégiées ont le temps de faire préparer leurs habits de l'Aïd, un long moment en avance, la grande majorité attendra le dernier moment pour le faire. « Les commandes que nous recevons sont bien évidemment différentes et selon la complexité du travail à faire ainsi que la disponibilité des matériaux, une commande aura besoin de 24 heures pour être prête comme elle peut parfois nécessiter plusieurs jours », nous explique Si Omar Yousfi, tailleur à Meknès. Travaillant seul durant l'année, la période du Ramadan impose cependant à l'artisan de recruter d'autres petites mains pour l'aider.
Rush ramadanesque
« J'ai des clients fidèles pour qui je confectionne régulièrement des habits selon les occasions et les demandes qu'ils ont. Généralement, les commandes sont préparées à l'avance, mais je reçois également des commandes durant le mois sacré, avec parfois des demandes de dernière minute », précise d'artisan, ajoutant que Aïd El Fitr est une occasion qui permet aux couturiers et magasins spécialisés dans les habits traditionnels de faire un pourcentage important de leur chiffre d'affaires annuel. « Contrairement aux mariages et célébrations familiales, les fêtes religieuses peuvent se préparer à l'avance. Nous avons une idée des demandes et des attentes de nos clients alors nous essayons de les anticiper et de préparer des produits qu'ils pourront adopter », explique pour sa part un vendeur de vêtements prêt à porter, en désignant un petit rayon de vêtements traditionnels pour enfants. « Tous les vêtements durant l'Aïd n'ont pas forcément été préparés sur mesure. Il y a plusieurs modèles prêts à porter qui sont également utilisés, surtout pour les plus petits », explique le commerçant.
Evolution marketing
En dépit du caractère traditionnel du marché des habits de fête, les artisans n'ont pas manqué de suivre la nouvelle vague de web marketing. C'est ainsi qu'en plus de l'incontournable bouche à oreille, les pages dédiées sur TikTok, Facebook ou Instagram foisonnent et redoublent d'idées et d'efforts pour être les plus attractives. « Notre page n'est pas liée à un seul commerçant ou artisan, mais propose plutôt un catalogue de produits et services au niveau de plusieurs villes. Notre business model est de créer plusieurs pages dédiées à divers types de produits, et choisir les commerçants dont nous ferons la publicité contre une rétribution convenue à l'avance », nous confie l'administrateur d'une page dédiée à la vente des habits traditionnels. « Certains commerçants préfèrent gérer eux-mêmes leur présence sur le web, mais c'est un travail à temps plein que d'animer une page, gérer sa communauté et préparer son contenu », estime notre interlocuteur.
Inflation et influenceur À faire le tour des réseaux sociaux, il est évident que la digitalisation n'a pas raté le secteur de la confection des habits festifs et traditionnels. Les enseignes et les artisans qui ont le vent en poupe n'hésitent pas à faire appel à des influenceurs pour faire la promotion de leurs produits. À y regarder de plus près, les prix qu'ils affichent semblent un peu plus salés que d'habitude. « Notre domaine implique plusieurs catégories de prix pour un seul type de produit. C'est ainsi que chacun pourra trouver une offre qui est adaptée à son budget. Il est cependant vrai que les prix ont légèrement augmenté cette année du simple fait qu'il y a un contexte économique national qui n'échappe pas à l'inflation », concède Si Omar Yousfi. Une fois que nous avons montré les prix de certaines enseignes promues par des influenceurs sur Instagram, l'artisan meknassi semble légèrement surpris : « Il y a un peu d'exagération dans ces prix. Mais j'imagine que ces enseignes doivent amortir leurs coûts sur deux fronts : l'inflation et l'influence », conclut l'artisan avec un sourire malicieux.
Oussama ABAOUSS 3 questions au Pr Lahlou Abdelati « Considérer que la djellaba est un habit exclusivement religieux est une interprétation fallacieuse et erronée » Anthropologue affilié à l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Pr Lahlou Abdelati répond à nos questions sur la tradition d'habillement festif au Maroc. Pourquoi certaines fêtes ou occasions sont marquées par une tradition spéciale d'habillement ? - Tous les peuples et les communautés qui ont une grande tradition connaissent des jalons dans le cycle de leur vie, durant lesquels la célébration se fait avec une attention particulière à l'habillement. Cela permet de valoriser ce temps festif et de se présenter sous le meilleur jour possible. Pour le cas de la célébration de Aïd El Fitr au Maroc, cela implique également de montrer du respect aux autres et à soi-même. Il y a également une dimension identitaire de cet apparat puisqu'on revient aux origines en exhibant notre attachement aux vêtements traditionnels. N'existe-t-il pas également une dimension qui met en avant le statut social par l'habillement ? - En effet, s'habiller en Bzioui, par exemple, n'est pas donné à tous. Le faire, ajoute donc une certaine distinction sociale. Le plus important est que cette tradition d'habillement s'attache aux valeurs d'authenticité puisque le travail à la main et les composantes culturelles d'origine sont respectées et valorisées. Cela n'empêche pas que les métiers qui sont derrière cette tradition continuent à évoluer. On peut voir apparaître de nouvelles couleurs, de nouvelles technologies de tissage, mais la Djellaba par exemple est toujours la même. Justement, une école étrangère installée au Maroc a récemment considéré la Djellaba comme un habit non-civil. Peut-on réduire la Djellaba à sa seule dimension religieuse ? - Absolument pas. La preuve en est qu'un grand monde s'habille en djellaba à des occasions qui n'ont aucune relation avec la religion. C'est un costume comme un autre et c'est surtout un costume traditionnel. Il faut faire la distinction entre la culture et la religion. Considérer que la djellaba est un habit ou signe exclusivement religieux est une interprétation fallacieuse et complètement erronée. L'info...Graphie Patrimoine: Vers une meilleure sauvegarde des savoir-faire liés à l'artisanat Il y a quelques jours, la ministre du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Economie Sociale et Solidaire, Fatim-Zahra Ammor, a présidé une réunion qui a marqué le lancement du projet « Sauvegarde des savoirs et des savoir-faire menacés de disparition et liés à l'artisanat à travers leur transmission aux jeunes générations », ainsi que la validation du processus de transmission et de sélection des artisans détenteurs des savoirs et savoir-faire menacés de disparition qui auront le titre de "Trésors des Arts Traditionnels Marocains". « En effet, plusieurs savoirs et savoir-faire liés aux métiers de l'Artisanat marocain courent aujourd'hui le risque de disparaître pour différentes raisons, notamment la non-transmission de ces savoirs, véritable héritage immatériel national, aux jeunes générations par leurs maîtres artisans », a souligné un communiqué du ministère. Dans une première étape, six savoirs et savoir-faire traditionnels menacés de disparition ont été fixés lors de ce comité de pilotage. Il s'agit de la Blousa Oujdia, des Selles Brodés, de la Lutherie, du Zellige de Tétouan et du Tissage des tentes. Les prochaines étapes porteront sur l'identification de 6 maîtres artisans détenteurs de ces savoir-faire et la transmission de leur savoir à des jeunes apprentis à travers des programmes de formation spécifiques. Ce programme sera par la suite généralisé pour couvrir 30 savoirs et savoir-faire menacés de disparition, a conclu le communiqué. Gageons que le patrimoine vestimentaire marocain ne manquera pas de bénéficier de ce projet.
Evolution: Le patrimoine vestimentaire façonné par l'Histoire et la géographie Les vêtements « traditionnels » du Maroc se sont développés depuis l'apparition du tissage, il y a des milliers d'années. Cette évolution s'est faite différemment selon les caractéristiques des territoires et du climat local. L'évolution des outillages et la disponibilité locale des matériaux ont également influencé l'évolution des habits qui représentent aujourd'hui toute la diversité culturelle, ethnique et patrimoniale du Maroc. « Depuis le milieu du XXème siècle, la djellaba a rejoint la garde-robe féminine. A cette époque, en effet, les Marocaines ont abandonné le haïk, large morceau de tissu, généralement blanc, dont elles se recouvraient le visage et le corps pour sortir, au profit de la djellaba qui est devenue un vêtement d'extérieur. Aux coupes très strictes et très larges d'antan, se sont substituées aujourd'hui des djellabas féminines beaucoup plus proches du corps, plus colorées et inspirées des tendances de la mode contemporaine », décrit ainsi un site spécialisé, démontrant un exemple du dynamisme qui a façonné le patrimoine et les habitudes vestimentaires des Marocains.