Les bovins domestiques importés du Brésil rejoignent plusieurs variétés européennes qui se sont bien « intégrées » au marché marocain, aux côtés de races locales dont la cote est en chute. Il est très rare que le consommateur marocain interroge le boucher sur la race bovine dont provient la viande qu'il s'apprête à acheter. Très rare, jusqu'à aujourd'hui, puisque depuis l'arrivée des premiers contingents de bovins domestiques importés du Brésil, ou encore la grande vadrouille de quelques vaches latines dans la rue de la capitale, les réseaux sociaux flambent de commentaires pas très obligeants vis-à-vis de ces pauvres bêtes. D'aucuns les trouvent maigres, d'autres les pensent moches, alors que d'autres doutent carrément de leurs qualités sanitaire et gustative (voir article ci-contre). Dans le torrent d'échanges à ce sujet, un commentaire intéressant nous a interpellés : « Je pense que ce n'est au fond ni une affaire de corpulence ni de standard sanitaire. Ce qu'on voit actuellement est la simple expression de la méfiance de ce qui est nouveau. Ces bêtes sont tout simplement physiquement très différentes de celles qu'on trouve habituellement au Maroc ».
L'éternel Beldi vs Romi
À se pencher sur cette question, et abstraction faite des croisements en tout genre, il est évident que les bovins sous nos cieux sont répartis entre deux grandes « familles » : les races locales et les races importées. Le Royaume a donc depuis très longtemps ouvert ses pâturages et ses abattoirs à de nouvelles races qui ont principalement été amenées pour leur potentiel productif (en lait ou en viande). Certaines de ces races, comme la Holstein, ont tellement eu de succès, qu'elles ont fini par devenir le personnage principal de bon nombre de nos paysages. La championne laitière - toutes catégories confondues - était pourtant une bête typiquement hollandaise avant de s'exporter aux quatre coins du monde, jusqu'à devenir l'archétype même de la Vache. C'est également le cas pour bon nombre d'autres races dont le caractère exotique se perd doucement, au fur et à mesure qu'elles sont engraissées, traites, abattues puis goûtées sous nos cieux : la Limousine, la Charolaise, la Montbéliarde, la Simentale...
Une brune de chez nous Fait notable, la majorité des races bovines qui ont été importées durant ces dernières décennies sont européennes. Si les Marocains ont fini par s'y adapter, certains d'entre eux peinent peut-être un peu plus à s'accommoder d'une race latino-américaine (d'origine asiatique) dont le phénotype est sensiblement différent. Néophobie alimentaire ou simple appréhension face au changement ? En attendant que les spécialistes trouvent la réponse, il est certain que l'apparence de nos races locales ressemble plus à celle des races européennes bien qu'elles soient plus chétives en dépit de leur résistance aux conditions extrêmes. En témoigne la Brune de l'Atlas, qui vit dans le Maghreb depuis la haute Antiquité et qui, à elle seule, représente près de 90% de l'effectif bovin du type local. Pourtant, les nombres de Brunes de l'Atlas dans notre pays sont en chute libre puisqu'elles sont passées de 3 millions en 1985 à moins de 700.000 têtes en 2013. « Son aptitude est mixte (lait et viande), mais les performances de production restent globalement faibles », écrivent les experts. Ceci explique-t-il cela ?
D'autres races Beldi Si la Brune de l'Atlas, race locale jadis la plus répandue, devient de plus en plus rare, il en est de même des autres races autochtones : la Blonde d'Oulmès-Zaer, la Noire-Pie de Meknès ou encore la Tidili du Sud, dernière race locale à avoir été officiellement identifiée en 1984. Selon les experts, en plus des races locales « pures », d'autres variétés, peu connues, ont également été identifiées. Il s'agit des variétés Souss, Zemmour, Béni-Hsen, Branès et Demnat, qui ont été dénommées selon leur origine tribale. Ces variétés semblent être le résultat du croisement entre les races Brune de l'Atlas et Blonde d'Oulmès Zaer ou entre celles-ci et les races importées pendant le protectorat. Ces races ne sont plus connues actuellement du fait de leur croisement intempestif et ont pratiquement disparu. À noter que l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a alerté sur le risque de perte de races locales africaines qui sont mieux adaptées au contexte local et qui pourraient jouer un rôle important dans l'adaptation future au changement climatique.
Omar ASSIF 3 questions à M'Hammed Karimine « Il s'agit de la race bovine qui est la plus exportée dans le monde » Président de la Fédération Interprofessionnelle des Viandes Rouges (FIVIAR), M'Hammed Karimine répond à nos questions sur la qualité des bovins domestiques importés.
* Que pensez-vous des avis - plutôt négatifs - qui circulent sur les bovins importés depuis le Brésil ?
Les bovins qui ont été importés du Brésil sont d'une excellente qualité. Il y a eu tout un dispositif sanitaire et zootechnique qui a été soigneusement déployé par les autorités concernées, notamment l'ONSSA, afin de garantir que les importations se fassent en conformité avec deux cahiers des charges détaillés. Le premier définit les conditions sanitaires que doit avoir le troupeau brésilien et le deuxième définit les qualités zootechniques des bovins domestiques à importer.
* Au-delà de la question sanitaire, c'est parfois la qualité gustative qui est pointée du doigt...
La qualité gustative est une affaire très subjective. Cela dit, il s'agit de la race bovine qui est la plus exportée dans le monde. Si le cheptel national est estimé à près de 3 millions de têtes, le Brésil en possède 220 millions et en exporte annuellement plus de 20 millions. Je pense que c'est plus une question d'adaptation à l'apparence de ce bovin. Autrement, les Marocains connaissent très bien sa viande puisqu'ils la consomment depuis plusieurs années à travers certaines enseignes très connues de burgers...
* Qu'en est-il des races bovines produisant des viandes bio ou de haute qualité ?
Au Maroc, nous produisons déjà une viande que nous pouvons plus ou moins qualifier de bio. Ceci s'explique par le fait que nous ne soyons pas encore dans une approche d'élevage intensif comme on pourrait trouver ailleurs dans le monde. Nous sommes encore à ce jour dans une approche extensive qui permet de produire une viande de très bonne qualité. C'est notre terroir qui nous donne notre qualité pas nos races.
Infographie Qualité gustative: Les Marocains entre steak de Kobe et kefta de Nélore Toutes les viandes bovines ne se valent pas. Alors que certaines races donnent des viandes « économiques », d'autres races comme le Wagyu, le Kobe ou encore le Black angus sont quasiment inaccessibles au commun des mortels. « Nous n'avons pas ce genre de races au Maroc parce que la qualité de leur viande est très liée à leur terroir et environnement d'origine. On peut toujours tenter de les ramener au Maroc, mais la qualité de la viande qui sera produite ne sera pas la même. Nous avons en revanche des entités qui importent ce genre de viande directement pour un certain type de clientèle, mais on parle de viandes qui sont vendues à 1200 ou 1300 dirhams le kilo... », explique M'Hammed Karimine, président de la FIVIAR. La question qui peut légitimement se poser (voir interview) se réfère à la qualité commerciale des bovins domestiques importés du Brésil. Selon des experts de l'Université de l'Oklahoma aux Etats Unis, « alors que la viande de bœuf de certaines races présente un excès de marbrures, c'est-à-dire de graisse intramusculaire, la viande de bœuf Nélore contient suffisamment de graisse pour être très appétissante.Le Nélore correspond à l'évolution récente de l'industrie de la viande bovine vers un régime pauvre en calories et plus maigre, sans compromettre le goût. Cela a été démontré lors du Houston Livestock Show and Rodeo de 1991, lorsqu'un bœuf Nélore de race pure a remporté le concours "Best Overall in Taste", face à des douzaines de bœufs hybrides et européens ». Si ce sont des Américains qui le disent, c'est que ça doit au moins valoir son pesant en burgers.
Alimentation: Des dizaines de races différentes pour une seule et même espèce Tous les bovins domestiques appartiennent à la même espèce qui est désignée par le nom latin de Bos Taurus, et elle-même considérée comme l'une des sous-espèces de l'aurochs sauvage (Bos Primigenius). À l'image d'autres animaux domestiques, les bovins domestiques se présentent actuellement sous forme d'un nombre incalculable de variétés, appelées races, qui sont le fruit de milliers d'années de sélections naturelles et humaines. Les traditions de sélection des bovins domestiques se sont raffinées durant le XIXème siècle avec le développement des concours agricoles. Les éleveurs commencèrent réellement à sélectionner leurs animaux à cette époque, qui voit le développement des races autochtones, mais également l'apparition de nouvelles, issues de divers croisements. Ces sélections ont pu ainsi donner des races « spécialisées » dans la production laitière pendant que d'autres seront plutôt élevées pour la production des viandes. De ce fait, les conditions d'alimentation et d'élevage ont également changé afin de renforcer la vocation productive de chaque race.