A l'instar de l'année dernière, les plages marocaines du Nord connaissent une invasion de méduses, suscitant la méfiance des touristes. Zoom sur un phénomène cyclique dont l'intensité ne fait que s'accentuer. A la plage Oued Laou, située à 44 km de Tétouan, les méduses envahissent les eaux. Ce phénomène qui concerne toute la rive méditerranéenne inquiète les estivants, surtout que plusieurs baigneurs souffrant de brûlures cutanées et de malaises après un contact avec cette espèce, postent des images affolantes sur les réseaux sociaux. Invertébrés marins, souvent urticants, les méduses peuvent provoquer des piqûres douloureuses. « Il s'agit d'un phénomène qui n'est pas nouveau. Mais cette dernière vague, à l'instar de celle de l'année dernière, a quand même été impressionnante par son intensité », fait remarquer Younes Baghdidi, président de l'Association Abtal Fnidek pour l'Environnement et la Plongée Sous-Marine. Selon l'Institut National de Recherche Halieutique (INRH), les premiers phénomènes d'apparition massive des méduses sur le littoral méditerranéen national ont eu lieu au début des années 90, notamment la prolifération de l'espèce « Pelagianoctiluca » en 1992. Un phénomène qui s'intensifie « Le phénomène a été suivi plus régulièrement depuis 2005, année où la même espèce a proliféré au mois d'avril. Le phénomène s'est estompé progressivement entre 2005 et 2007 puis a disparu complètement en 2008, pour réapparaître à nouveau au début du mois de mai 2011 », indique notre interlocuteur. La prolifération des méduses est d'ailleurs un phénomène qui ne se limite pas aux seules côtes marocaines. Plusieurs pays de la Méditerranée font face à la même situation qui perturbe le bon déroulement des saisons estivales et qui, dans certains cas, porte préjudice au tourisme balnéaire local. Au Maroc, ce phénomène fait l'objet d'un programme national mené par l'INRH afin de réaliser un suivi de la biodiversité, en général, et d'occurrence spatiale des taxons gélatineux, en particulier. Ce programme est appuyé par des observations scientifiques en mer (au large et sur le littoral) et des enquêtes in situ auprès des pêcheurs, des autorités civiles et de la population locale. Des impacts sur divers secteurs La prolifération des méduses enregistrée, initialement, au mois de juin n'a pas manqué d'occasionner plusieurs cas de piqûres chez les baigneurs. Le plus souvent rapidement et facilement soignées, ces piqûres sont cependant un véritable repoussoir qui, pendant les épisodes de prolifération, peut complètement gâcher la saison touristique d'une destination balnéaire. Car, si aucune des espèces de méduses qui vivent au large des côtes marocaines n'est mortelle pour l'Homme, elles n'en demeurent pas moins équipées d'un venin qui est injecté pour paralyser leurs proies naturelles à travers leurs tentacules couverts de filaments urticants. L'impact de la prolifération des méduses ne se limite cependant pas au seul secteur des loisirs, car de nombreuses activités maritimes en Méditerranée se retrouvent parfois pénalisées par ce phénomène : ruine de pêcheries, perte massive de poissons dans des fermes aquacoles, quand ce n'est pas des sites nucléaires ou industriels qui sont forcés d'arrêter leur activité le temps d'évacuer les méduses qui bouchent leurs canalisations de refroidissement.
La pollution plastique par exemple profite doublement aux méduses puisqu'elle décime les tortues marines qui font partie de leurs prédateurs naturels. La prolifération accélérée par la pollution Les méduses peuvent apparaître comme des êtres vivants plutôt gracieux. Leurs formes, mouvements, consistances et transparences peuvent fasciner, voire apaiser un observateur. Ces animaux marins sont cependant une redoutable machine de l'évolution qui existe depuis plus de 600 millions d'années et qui a appris à survivre, même dans les milieux les plus inhospitaliers. La pollution plastique par exemple profite doublement aux méduses puisqu'elle décime les tortues marines qui font partie de leurs prédateurs naturels, alors que les particules de microplastique servent de support à leurs polypes, leur permettant ainsi de mieux sillonner les eaux marines. Comment lutter contre les dégâts occasionnés par les méduses ? Selon le biologiste marin Mustapha Aksissou, « il n'y a pas de solution miracle. Seuls peuvent faire la différence les efforts conjugués pour la sauvegarde de l'intégrité écologique de la Méditerranée, la conservation de la biodiversité et la lutte contre la pollution ». Souhail AMRABI L'info...Graphie Diversité d'espèces Huit espèces de méduses recensées dans les eaux marocaines
Les méduses sont constituées à 95% et 98% d'eau, il en existe de toutes les tailles et toutes les couleurs. Elles ont la particularité de n'avoir ni oeil, ni cerveau. La plupart des méduses sont marines et vivent près de la surface, mais certaines espèces reposent dans les profondeurs abyssales ou en eau douce. Il existerait dans le monde autour de 1.500 espèces de méduses, pour la plupart planctoniques. Selon les données de l'Institut National de Recherche Halieutique (INRH), 15 espèces de méduses ont été inventoriées le long des côtes marocaines. En Méditerranée, 8 espèces ont été recensées, avec des apparitions qui demeurent très saisonnières (fin du printemps et début de l'été). D'après les résultats du suivi des méduses en Méditerranée marocaine, tout particulièrement à l'Ouest, la présence abondante de ces espèces est déterminée par la direction et le sens des courants de marée. Elles sont plus abondantes lorsqu'elles sont charriées par le courant du Sud-Est, en provenance du large, et relativement plus rares lorsque le courant longe la côte dans le sens Nord-Ouest.
Zoologie Quand les méduses deviennent aussi dangereuses que les vipères
Les piqûres de méduses que peut subir un baigneur dans une plage marocaine peuvent être douloureuses mais jamais mortelles. Cela est dû à l'absence en mer Méditerranée d'espèces de méduses qui peuvent être fatales pour les humains. Il existe cependant dans l'océan Pacifique tropical (zone située entre le Viet Nam et l'Australie et qui s'étend à l'est jusqu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée) une espèce particulière de méduse qui est potentiellement létale pour l'Homme. Il s'agit de la «cuboméduse» (Chironexfleckeri) dont le venin peut passer directement dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques et paralyser les muscles respiratoires et cardiaques en moins de 5 minutes. Jeune, elle n'est dangereuse que pour les crevettes et les petits poissons dont elle se nourrit, mais au cours de sa croissance, la puissance de son venin augmente. Une fois adulte, sa taille maximale avoisine seulement 30 cm, mais elle traîne une soixantaine de filaments de plusieurs mètres de long si fins (environ 6 mm) qu'ils sont presque invisibles dans l'eau. Chaque tentacule est garni de millions de capsules venimeuses avec un petit crochet prêt à injecter son venin mortel. Chironexfleckeri est appelée «piqueur marin», « guêpe de mer » ou encore « main de la mort ». Fort heureusement, les piqûres mortelles sont assez rares : en Australie, par exemple, seules environ 70 cas de personnes décédées à cause de cette espèce ont été enregistrés durant les 100 dernières années.
3 questions à Mustapha Aksissou « Les cycles d'apparition massive des méduses se raccourcissent et augmentent en intensité »
Professeur de biologie marine à l'Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan, Mustapha Aksissou répond à nos questions à propos du phénomène de prolifération des méduses en Méditerranée. - Le phénomène d'émergence des méduses dans les plages est-il causé par les changements climatiques ? - L'apparition massive des méduses à une plage donnée est un phénomène cyclique et donc naturel à la base. La prolifération de ces invertébrés marins est toutefois très liée à l'augmentation de la température de l'eau qui déclenche leur cycle reproducteur. À cela, il faut ajouter que les eaux de la Méditerranée se réchauffent à un rythme plus rapide que les autres mers et océans. D'un autre côté, il faut noter que les méduses profitent de l'impact des activités humaines (pêche, pollution, changement climatique) et se retrouvent dans une situation favorable pour proliférer à cause de cela. C'est pour toutes ces raisons que nous constatons que les cycles d'apparition massive des méduses se raccourcissent et augmentent en intensité. - Les effectifs de méduses augmentent-ils également à cause de la raréfaction de leurs prédateurs ? - Absolument. Les tortues marines par exemple sont de plus en plus rares en Méditerranée, notamment à cause de la pollution plastique et de la pêche accidentelle. D'autres prédateurs naturels des méduses sont également dans la même situation. - Existe-t-il au Maroc des études scientifiques qui se focalisent sur la problématique des méduses ? - Malheureusement, les études sur les méduses ne sont pas très nombreuses au Maroc. Durant ces dernières années, nous avons eu toutefois dans notre université quatre ou cinq publications qui ont étudié divers aspects, notamment la variation de l'abondance de ces espèces selon des échelles de temps définis. Nous avons cependant un doctorant qui va soutenir une thèse, l'année prochaine, dédiée exclusivement aux méduses. Recueillis par S. A.