Une fois de plus, les Marocains ont été pris de court par une flambée des prix de certains produits de première nécessité, sans qu'aucune explication ne soit donnée par qui que ce soit. Les associations réagissent, le gouvernement silence radio. Depuis plus d'une semaine, une nouvelle grogne citoyenne a pris place dans les réseaux sociaux suite à la flambée brusque des prix de certains produits de première nécessité. Une hausse qui intervient dans une conjoncture où le pouvoir d'achat des Marocains est touché de plein fouet par la crise sanitaire au point qu'en 2020 quelque 33% des ménages ont dû s'endetter pour survivre. « La hausse des prix se situe entre 25% et 50% sur des produits à forte demande. Comme les lentilles dont le kilogramme est passé de 7,5 à 13 DH ou encore la semoule dont le prix a augmenté de 3 dirhams », nous informe un grossiste, précisant qu'eux-mêmes ils subissent les effets ravageurs de cet état des lieux. Le prix de l'huile, qui pour rappel avait causé une grande polémique en février dernier au point que les cybernautes ont lancé un appel au boycott, a également connu une montée vertigineuse, passant de 10 dirhams le litre à 16 dirhams. « Cette augmentation trouve réponse dans le marché international », nous explique sous couvert d'anonymat le responsable des opérations d'une marque d'huile marocaine, notant que les produits utilisés pour la fabrication des huiles de table connaissent une flambée depuis l'année dernière : « Le cours du soja a augmenté de 80% et celui du tournesol de 90% ». Cela dit, l'opinion publique n'exclut pas la possibilité d'une entente anticoncurrentielle entre les différents opérateurs économiques appelant le gouvernement à intervenir. Mutisme de l'Exécutif En réaction à la polémique, la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC) a dénoncé le manque de réactivité du gouvernement, appelant par la même occasion les professionnels « à ne pas profiter de la conjoncture pour tirer davantage de profits » et augmenter leurs bénéfices au détriment du consommateur, qui est le maillon faible du circuit. Dans ce sens, Ouadie Madih, président de la Fédération, nous indique que « depuis que le Maroc a pris le choix en 2000 de promulguer la loi 06/99 sur la liberté des prix et la concurrence, il a laissé le champ libre aux opérateurs de jouer le jeu du marché et le gouvernement ne peut donc pas agir directement sur les prix des produits, du moins pas tous ». En effet, avant 2000, le nombre de produits dont le prix est réglementé était de 172. Un chiffre qui a dégringolé à 15 groupes de produits et services. Toutefois, la FNAC indique que les appareils de l'Etat, notamment le Conseil de la Concurrence, doivent veiller au respect des bonnes pratiques dans le marché afin de préserver le pouvoir d'achat de la population faisant rupture avec certaines pratiques anti-concurrentielles, telle que la spéculation qui fait grimper les prix. Ainsi, la Fédération appelle le régulateur à renforcer les audits auprès des entreprises et commerçants afin d'assurer le principe de la concurrence loyale en appliquant la loi relative à la protection du consommateur.
Saâd JAFRI Repères
Une hausse qui ne date pas d'aujourd'hui Les prix des produits et services au Maroc connaissent une hausse graduelle depuis plusieurs mois. L'indice des prix à la consommation (IPC) a enregistré une hausse de 2,2% en juillet 2021, comparativement au même mois de l'année précédente, selon le Haut- Commissariat au Plan (HCP). Cette évolution s'explique par la hausse de l'indice des produits alimentaires de 2,8% et de celui des produits non alimentaires de 1,8%, avait indiqué le HCP dans une note relative à l'IPC du mois de juillet 2021.
Le Conseil de la Concurrence s'engage à doubler les efforts Dans son dernier rapport annuel, le Conseil de la Concurrence a indiqué que sa section chargée des ententes prévoit d'examiner en 2021 les potentielles pratiques anticoncurrentielles dans les secteurs stratégiques de l'économie nationale. A cette fin, la section travaillera en étroite collaboration avec les autres sections, principalement sur des sujets d'ordre commun. Elle entend, aussi, contribuer à l'animation des évènements nationaux et internationaux qu'organisera le Conseil en 2021 et poursuivre son travail de benchmark en s'ouvrant sur la doctrine et la jurisprudence en matière de lutte contre les ententes dans des pays étrangers.
« Au Maroc, le problème n'est pas dans les lois, mais dans leur application »
Nous avons contacté Ouadie Madih, Président de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC), pour nous donner sa lecture de la hausse des prix des produits de consommation.
- Plusieurs produits alimentaires ont connu une hausse soudaine, suscitant la grogne des consommateurs. Qu'en dit la loi ?
- Depuis l'année 2000, date de promulgation de la loi relative à la liberté des prix et la concurrence, les fournisseurs de produits et services sont devenus libres à la concurrence. Ce qui veut dire qu'ils peuvent vendre les produits aux prix qui leur conviennent, sauf pour les produits réglementés. Bien sûr, lors de la mise en place de la loi, l'idée était de renforcer les conditions d'une concurrence saine et loyale par l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles ou des comportements tendant à fausser le jeu. Néanmoins, pour que les règles du marché soient respectées, il faut que le régulateur applique la loi, afin de prohiber les ententes sur les prix ou sur la répartition des marchés, et les abus de position dominante qu'occupe un opérateur ou un groupe d'opérateurs sur un marché. Dans ce sens, le Maroc accuse toujours un retard. - Le gouvernement peut-il intervenir pour remédier à la situation ? - Le problème du gouvernement c'est qu'il ne s'est pas prononcé sur cette hausse des prix, ce qui pourrait mettre une certaine pression sur certaines instances, voire même les opérateurs. Toutefois, le vrai acteur qui devrait entrer en jeu c'est le Conseil de la Concurrence qui, pourtant, dispose de toutes les prérogatives pour jouer pleinement le rôle de gendarme de la concurrence. Celui-ci dispose de la possibilité de s'autosaisir des dossiers dont il devrait user quand les griefs des citoyens se font entendre. Au Maroc, on n'a pas un problème de lois, mais un problème d'application. - Quels sont les autres problèmes rencontrés par les consommateurs marocains ? - Il y a un grand manque de respect flagrant de la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur et qui imposent à tout fournisseur d'informer le consommateur sur le prix de tout bien ou service qu'il propose, et ce, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié. Il faut donc plus d'engagement des ministères de tutelle pour obliger les opérateurs économiques à respecter la loi.