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Entretien – L'après Covid-19 : L'austérité n'est pas une option
Publié dans L'observateur du Maroc le 08 - 05 - 2020

Mohamed Benchaâboun, ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration
La crise planétaire de la pandémie du Covid-19 est aussi longue qu'intense. Toutes les économies du monde ont été touchées et au Maroc, la situation a été prise en main dès les premiers signes. Néanmoins, la fermeture des frontières, des espaces publics, de plusieurs entreprises et commerces, ont exercé une lourde pression sur les finances de l'Etat. Soutien aux familles, aux entreprises, facilités fiscales, équipements sanitaires sont autant de dépenses publiques exceptionnelles qui ne peuvent être étalées dans le temps. Le manque à gagner avec l'arrêt partiel des activités économiques, culturelles, sportives, touristiques… est énorme, ce qui rend la reprise plus délicate. Et là on est dans le rayon du ministère de l'Economie et des finances qui a pour mission d'analyser et de proposer des solutions non seulement de sortie de crise mais de relance de l'économie. Le ministre Mohamed Benchaaboun explique, dans cet entretien, aux lecteurs de L'Observateur du Maroc et d'Afrique comment son département conçoit une relance de l'économie.
L'Observateur du Maroc et d'Afrique: Lors de la dernière réunion du comité de veille économique, les travaux pour la mise en place du plan intégré de relance de l'économie ont été lancés. Quels seront les grands axes de ce plan et comment sera t-il décliné ?
Mohamed Benchaâboun : Effectivement, l'Etat est fortement conscient de l'importance d'anticiper la sortie de crise par le biais d'un plan de relance ambitieux. Ce dernier constituera un levier important permettant à la fois d'accélérer le redémarrage de l'activité économique nationale et de renforcer sa capacité de projection dans le monde post-crise Covid-19 qui se profile à l'horizon.
L'approche adoptée pour l'élaboration du plan se veut volontariste, globale et intégrée, s'appuyant sur des mécanismes transverses mais tenant compte des spécificités sectorielles traduites dans le cadre de plans sectoriels.
L'un des enjeux majeurs sera de penser quels mécanismes de financement devront être mis en place pour garantir aux Grandes Entreprises (GE) et aux PME la mise à disposition de fonds nécessaires pour le redémarrage de leurs activités et dans quelle mesure la garantie de l'Etat est nécessaire à un tel dispositif.
Il s'agira, également, de voir comment la commande publique pourrait être utilisée comme vecteur de relance économique, en revoyant ses modalités et ses priorités, afin de favoriser la production et la consommation locales.
Une autre orientation qu'on s'est fixée, lors du dernier CVE, c'est de profiter de la crise pour résoudre certaines problématiques structurelles, mises au grand jour par cette même crise, comme celle de l'informel ou de la protection sociale, et ce, en capitalisant sur l'expérience réussie du dispositif des indemnités financières octroyées par le Fonds Covi19.
Le Maroc devra également se préparer au monde Post-Covid-19, en impulsant les investissements nationaux dans les nouveaux secteurs stratégiques, comme la santé, l'éducation, l'énergie verte et le digital. Au niveau international, il sera question de préparer le Maroc à s'adapter à la nouvelle reconfiguration des chaines de valeur mondiales, en captant à grande échelle les investissements internationaux en quête de nouveaux centres de production à proximité des marchés de consommation.
Quels sont les secteurs prioritaires et quelles sont les mesures prévues pour les plus touchés d'entre eux?
Les secteurs diffèrent en fonction de l'ampleur de l'impact subi, de leur vulnérabilité intrinsèque et de la durée nécessaire à leur reprise. Ainsi, ils exigeront pour leur redémarrage des mécanismes de soutien différenciés. Il sera, alors, question de définir avec les institutions publiques et privées concernées quels sont ces secteurs mais aussi quelles sont les mesures les plus appropriées afin de leur permettre une reprise adaptée à leurs particularités et renforcer leur compétitivité de façon durable.
Les mesures à prévoir devraient agir, parallèlement, sur la stimulation de la demande, à travers des mécanismes d'incitation de la demande locale et internationale, et sur le soutien de l'offre, moyennant des plans d'investissement bien orientés et des instruments de financement adaptés.
Un plan de sauvegarde destiné aux entreprises publiques lourdement impactées est à prévoir, également, pour cibler l'assainissement et l'optimisation des coûts et qui pourrait envisager des schémas de recapitalisation différenciés selon l'ampleur de l'impact de la crise et leur niveau de résilience.
Quelle sera la base de relance, austérité ou relance par la consommation et l'investissement public ?
Je voudrais tout d'abord rappeler qu'en matière de finances publiques, le choix de l'austérité a été écarté dès les premières heures de cette crise. Il n'en a jamais été question. En témoigne la nature des mesures déployées par notre pays et qui ont visé la préservation de l'emploi, le soutien du pouvoir d'achat des citoyens et l'appui au tissu productif en difficulté.
Dans la continuité de cette dynamique, la relance économique souhaitée devrait être axée sur un appui à la consommation et un maintien d'un rythme soutenu de l'investissement public. Ce dernier pourrait représenter un outil crucial de relance économique, étant donné son effet multiplicateur sur la croissance économique. Toutefois, sa gestion devrait se faire selon des modalités différentes du passé, afin d'en maximiser les retombées sur l'économie nationale et d'en limiter les fuites en importations et son corollaire, la ponction des réserves nationales de devises.
Cet exercice qui a déjà été entamé, repose sur une revue des enveloppes budgétaires allouées aux différentes administrations, en vue d'examiner les priorités à retenir pour optimiser l'efficience et les impacts des dépenses publiques.
Il s'agit également de mobiliser des moyens supplémentaires pour lutter efficacement contre cette pandémie. Nous sommes en train d'explorer toutes les voies plausibles pour drainer des financements additionnels sans compromettre la soutenabilité de nos fondamentaux macro-économiques.
Dans le secteur privé, de nombreuses entreprises ont été contraintes de mettre la clé sous la porte. Que prévoit le ministère de l'Economie, des finances et de la Réforme de l'administration pour ces entités et leurs salariés en arrêt de travail?
Je tiens à rappeler la réactivité affirmée en temps opportun dont a fait preuve notre pays face à la crise engendrée par la pandémie Covid-19, en adoptant un ensemble de mesures, par le biais du CVE, en faveur des entreprises en difficulté et à leurs salariés qui sont en arrêt partiel ou total d'activité. L'objectif étant de préserver le pouvoir d'achat des citoyens et d'appuyer la résilience de notre tissu d'entreprises et d'éviter qu'il sombre dans une spirale de faillite en cascade.
A cet égard, des mesures ont été déployées en faveur des entreprises, notamment les TPME et les PME touchées par la pandémie. Il s'agit du report des échéances bancaires et leasing pour les ménages et les entreprises dont la crise COVID-19 a réduit les revenus avec un volume global de 33 milliards de dirhams; de l'allègement des charges salariales pour les entreprises affectées par la crise COVID-19 ; de l'accès au crédit de trésorerie pour les entreprises affectées par la crise COVID-19 avec une garantie de l'Etat à hauteur de 95%, dont plus de 9.000 prêts ont été traités, jusqu'à aujourd'hui, pour un montant global qui dépasse 3,7 milliards de dirhams. Il est question également du report du dépôt des déclarations fiscales avec suspension des contrôles fiscaux et des ATD pour les entreprises et les personnes physiques affectées par la crise ; de la mise en place de mesures d'assouplissements exceptionnelles visant à éviter aux entreprises bénéficiaires de contrats de marchés publics, le paiement de pénalités de retard de livraison, dont elles ne sont pas responsables et du prêt sans intérêt au profit des auto-entrepreneurs touchés par la crise du «Covid 19», avec un délai de grâce d'un an.
En outre, dans le cadre du plan de relance envisagé, d'autres solutions de financement sont prévues en faveur des entreprises. L'utilisation de ces instruments devrait être naturellement conditionnée par le maintien de l'emploi et par des comportements vertueux de la part des entreprises.
Le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration procédera, également, à l'examen de toutes les propositions de mesures émanant des plans sectoriels en cours d'élaboration par les départements concernés. Celles d'ordre législatif, une fois validées par le CVE, seront intégrées dans le projet de Loi de Finances rectificative prévu.
Le gouvernement a prévu la réduction de ses dépenses. A quelle hauteur ? et quelles sont les dépenses jugées inutiles ?
La responsabilité nous impose dans le contexte actuel de procéder à la revue de nos prévisions de la loi de finances non pas pour les diminuer juste pour le principe de diminuer mais pour les actualiser en tenant compte du ralentissement voire l'arrêt de certains secteurs économiques. Cette opération qui se déroule en concertation avec les départements concernés a pour but :
z Côté ressources : évaluer la baisse importante des recettes fiscales et non fiscales du fait des perturbations enregistrées dans divers pans de l'économie
z Côté emplois : relever les variations dans les postes de dépenses du fait notamment, de l'impossibilité de leur réalisation dans les délais prévus dans la Loi de finances. A titre d'exemple : les dépenses liées aux déplacements, réceptions et à l'organisation de manifestations ou encore l'arrêt provisoire de certains chantiers …
Cette phase d'actualisation a démarré il y a deux semaines et sera finalisée dans quelques jours.
La loi de finances rectificative est prévue pour quand?
Le travail que nous conduisons aboutira cette semaine et servira de base à l'élaboration d'un projet de loi de finances rectificative qui devra intégrer notamment les points suivants :
z Actualisation des hypothèses ayant servi à la préparation de la LF 2020 et des principaux indicateurs économiques,
z Nouvelles prévisions avec incidence sur le déficit budgétaire, la balance des paiements et la dette,
z Elaboration d'un plan vigoureux pluriannuel de relance de l'activité économique.
Comme vous le savez, nous nous penchons sur plusieurs scenarii de manière à être prêts à toutes les éventualités. Il reste bien entendu que chaque scénario engendre des impacts différents sur nos indicateurs d'activité et macro-économiques et nécessite en conséquence une batterie de mesures appropriés et soutenables.
C'est donc au fur et à mesure de la clarification du scénario de sortie du confinement sanitaire que nous adaptons ce qu'il y a lieu de faire en matière économique et social.
Quoiqu'il en soit, les principes suivants sont d'ores et déjà retenus :
z Le Comité de Veille Economique (CVE) restera à l'écoute de tous les opérateurs économiques et mettra en place les outils permettant aux entreprises de dépasser cette situation inédite.
z Un plan massif de relance de l'économie est en cours de finalisation et sera présenté le moment venu.
Sur le volet fiscal, est-ce qu'il y aura une révision à la hausse pour renflouer les caisses de l'Etat, ou à la baisse pour stimuler la demande ?
L'année 2021 sera difficile sur le plan des finances publiques notamment, pour l'impôt sur les sociétés (IS) qui sera assis sur les résultats de l'exercice 2020, année fortement impactée par les effets de la crise. Malgré cela, l‘effort sera orienté vers les secteurs sociaux et pour la relance économique de manière à rattraper rapidement le déficit de croissance de cette année.
Pour cela, nous devons revoir nos modes de fonctionnement pour les rendre plus fluides et digitalisés pour assurer davantage d'efficacité à l'action publique.
Quelles sont les entreprises publiques les plus impactées par les effets de la pandémie actuelle? Est-ce qu'il y aura des fonds spécifiques qui seront débloqués pour ces établissements?
Certains Etablissements et Entreprises Publics sont directement et fortement impactés par la crise sanitaire.
A titre d'exemple, la RAM fait face à plusieurs contraintes dont la perte quasi totale du chiffre d'affaires alors que près de la moitié de ses charges d'exploitation sont fixes et peu compressibles.
L'ONEE subit la baisse de la demande d'électricité de 13% se traduisant par la non couverture du prix de revient du kwh en raison de la prise en charge par l'ONEE des frais de puissance des centrales utilisées en régime bas. En même temps, il est confronté à la baisse du taux de recouvrement des recettes notamment, sous l'effet des mesures exceptionnelles visant l'étalement du paiement des factures sur plusieurs mois avec les risques associés.
De par le rôle moteur que jouent les établissements et entreprises publics (EEP) dans la dynamique économique de notre pays, l'Etat mobilisera tous les moyens pour les accompagner à dépasser cette situation difficile et inédite.
Il s'agira notamment de reconstituer les fonds propres qui seront détruits durant cette période et d'apporter les garanties nécessaires pour qu'ils puissent lever les financements dont ils ont besoin.
Ces financements serviront d'une part à reprendre leur activité normale et d'autre part, à accélérer le rythme de leurs investissements en vue de participer à la phase de relance de notre économie.
Des mécanismes appropriés sont en cours de finalisation et seront annoncés incessamment.
Le débat sur la nationalisation des entreprises stratégiques fait couler beaucoup d'encre ces dernières semaines. Est-ce que l'Etat a prévu une stratégie dans ce sens ?
Cette crise a permis à beaucoup d'Etats de prendre conscience de leur forte dépendance de certaines sources extérieures d'approvisionnement. En conséquence, après cette crise, la distribution des chaînes de valeur sera remise en cause en vue de réduire la concentration et répartir la production sur plusieurs régions moins lointaines.
Il y a là un gisement d'opportunités à saisir par notre pays.
Certaines unités industrielles doivent de ce fait être soutenues pour que le Maroc puisse se positionner de façon avantageuse dans cette nouvelle répartition du travail à l'échelle mondiale.
Sans envisager la nationalisation de ces entreprises, il est possible de déployer des outils adéquats pour les accompagner sur le plan financier.
Pour les ménages travaillant dans l'informel avec ou sans Ramed, l'Etat ne pourrait-il pas envisager le rallongement de la durée de soutien prévue pour atténuer les effets de la crise ?
Les aides apportées par l'Etat en cette période de pandémie ont un caractère provisoire. Elles ont pour objectif de soutenir les familles qui ont perdu leurs revenus suite à l'état d'urgence sanitaire décrété. Et surtout, de façon digne et respectable. Elles ont été décidées par le CVE, sur Hautes instructions de Sa Majesté le Roi.
Les aides ont été distribuées à 800.000 salariés du secteur privé déclarés à la CNSS ainsi qu'à 4,3 millions de ménages opérant dans le secteur informel.
Quant à la problématique plus générale du ciblage des mesures de soutien à apporter aux familles les plus fragiles, elle est liée à la mise en place d'une base de données qui les recense aussi bien pour les aides directes que pour organiser les filets sociaux.
Le maintien d'un système hybride combinant la caisse de compensation, un ensemble disparate de programmes sociaux et les aides directes est coûteux et peu efficace.
Y'aura-t-il des actions particulières pour les personnes et corps de métiers qui étaient en première ligne de lutte contre la pandémie du covid-19 dont le corps médical ?
Le monde post-Covid sera Différent de celui que nous avons connu jusqu'à maintenant sur bien des aspects. Cette crise sanitaire nous pousse à revoir les priorités en remettant l'homme au centre des politiques publiques.
Les Etats vont, à l'avenir, accorder davantage de moyens aux secteurs sociaux.
Le Maroc, sous la guidance directe de Sa Majesté Le Roi, que Dieu Le glorifie, a fait preuve d'anticipation et de rigueur, ce qui lui a valu d'être cité en exemple à l'international en matière de lutte contre cette pandémie.
A l'issue de cette crise, le fonctionnement du système de santé dans notre pays devra être remis à plat pour lui apporter les moyens nécessaires à sa mise à niveau aussi bien pour l'infrastructure que pour l'amélioration de son fonctionnement au quotidien.
Concernant le secteur bancaire, est-ce que des concertations sont prévues avec la Banque Centrale ?
La banque centrale est un membre permanent du Comité de Veille Economique. Elle y est représentée par la gouverneur de Bank-Al-Maghrib.
Outre l'approbation des mesures bancaires de report des échéances ou de mise en place de nouvelles lignes de crédit, la banque centrale a annoncé une batterie de mesures dont le but est justement de permettre au sytème bancaire d'être à même de supporter toutes ces mesures. Il s'agit de nouvelles dispositions visant l'injection des liquidités nécessaires et l'assouplissement de certaines règles prudentielles.
La concertation entre le ministère chargé des finances et la banque centrale est continue. Elle est consacrée par la loi sur le statut de Bank-Al-Maghrib.
La gestion du tirage récent de la ligne de précaution et de liquidité du FMI (LPL) est un bel exemple de concertation et de coordination.
Justement, comment sera utilisé le tirage du FMI?
Le Maroc a tiré la totalité du montant prévu dans la LPL ; à savoir 3 milliards de dollars. Il n'avait pas prévu de le faire avant l'avènement de la pandémie Covid-19 en raison de l'amélioration progressive de ses marges macroéconomiques et de l'absence de chocs exogènes sévères.
Les prévisions des organisations internationales montrent que cette pandémie fera plonger l'économie mondiale dans une récession sans précédent. De par son ouverture sur le monde, l'économie marocaine sera naturellement impactée.
Par conséquent, le tirage sur la LPL permettra d'atténuer l'impact de cette crise sur notre économie et de soutenir la balance des paiements dans le but de maintenir une croissance soutenue, d'assurer la stabilité du marché des changes et de consolider la confiance des investisseurs et partenaires étrangers dans notre économie. Ceci sans impact sur notre taux d'endettement Θ


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