L'affaire est étrange. Elle a même un air de déjà vu. Elle semble ressembler à cette mémorable session de l'ONU en 2003, à quelques semaines de l'invasion américaine en Irak, lorsque Colin Powell, le Secrétaire d'Etat américain de l'époque, était allé devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies expliquer que Saddam Hussein détenait l'arme atomique. Les pays occidentaux voulurent le croire mais Colin Powell dira ensuite, mécontent, après avoir quitté son poste, qu'il avait été lourdement trompé par les agences de renseignements de son pays. En cette fin d'avril, ce n'est plus l'Irak qui est mise en cause mais la Syrie accusée par la CIA, lors d'un rapport fait devant le Congrès américain, de développer un programme nucléaire avec l'aide de la Corée du Nord. Plus précisément, les Coréens auraient fourni à Damas un réacteur nucléaire capable de produire du plutonium qui pourrait être utilisé à des fins militaires. Le scepticisme est grand au sein de la communauté internationale. Car les preuves manquent, les questions abondent. Les services de renseignements américains n'expliquent pas comment la Syrie va trouver le combustible fissible nécessaire pour faire fonctionner le réacteur. Damas n'a pas les moyens de le fabriquer, faute de séparateur. De plus, pourquoi la Syrie voudrait-elle utiliser du plutonium, une technologie déjà ancienne, alors qu'un réacteur à l'uranium enrichi est relativement plus facile à mettre en uvre ? Un expert nucléaire proche de l'AIEA affirme que les photos fournies ne montrent que des installations en début de construction et que les murs ne ressemblent pas à ceux nécessaires pour abriter un réacteur au plutonium. En outre, pourquoi les Etats-Unis et Israël n'ont-ils pas référé d'abord à l'AIEA, dont c'est la tâche, s'ils estiment qu'il y a une possibilité que la Syrie se dote d'une arme atomique ? Si le régime de Bachar el-Assad n'est guère respectable, la bonne foi américaine peut, elle aussi, être mise en doute. Certains se demandent si de telles allégations ne servent pas à justifier le bombardement israélien, le 6 septembre dernier, d'un site à l'est de la Syrie. Tel-Aviv a déclaré qu'il abritait un réacteur militaire, Damas affirme qu'il s'agissait d'un site militaire en construction. Israël aurait-il bombardé préventivement une construction tout en restant dans le doute sur sa finalité? On ne peut l'exclure. Quoiqu'il en soit, cette révélation syrienne arrive à point nommé pour pousser la Corée du Nord à se montrer plus prolixe sur ses activités nucléaires. Sinon, l'accord passé entre six pays (la Russie, la Chine, le Japon, les Etats-Unis et les deux Corées) l'an passé, et prévoyant la dénucléarisation de la Corée du Nord, pourrait être remis en cause. En fait, à Washington, les dissensions sont évidentes au sein de l'administration sur la politique qu'il faut adopter vis à vis de la Corée. Les « révélations syriennes « donnent du grain à moudre aux durs du Congrès américain. Pour une fois, la Syrie ne semble avoir servi que de prétexte.