Jusqu'où ira l'onde de choc du scandale Weinstein, du nom de ce producteur américain qui abusait de son pouvoir pour soumettre des actrices ? Après les politiques et les médias sommés de révéler les abus sexuels qu'ils préféraient ignorer, c'est au tour des ONG humanitaires occidentales d'être secouées par le phénomène « Me too ». Le scandale a frappé en premier l'une des plus vénérables organisations humanitaires, la britannique Oxfam. C'est une institution séculaire et une multinationale de l'aide d'urgence, présente dans 90 pays et employant plus de 5.000 salariés. Le Times a révélé qu'une équipe avait eu recours à des prostituées. Cela se passait en Haïti après le tremblement de terre de 2010 qui a rasé la moitié de Port-au-Prince, faisant 300.000 morts, autant de blessés et un million de sans-abris. Comme un malheur n'arrive jamais seul, les Casques bleus de l'Onu ont débarqué avec le choléra dans leurs bagages: 800.000 Haïtiens déjà privés de tout ont été contaminés, dix mille en sont morts… Au milieu de cette fin du monde, les humanitaires envoyés sur place par Oxfam appelaient leur villa « le Lupanar ». L'enquête interne menée par l'organisation est accablante. Elle raconte un groupe de secouristes qui organise des partouzes, paient des prostituées en rations alimentaires, les chauffeurs locaux servant de rabatteurs, avec le tournage de vidéos pour immortaliser ces débauches. Sitôt les faits établis, Oxfam a évidemment licencié ses employés qui n'avaient pas encore démissionné, mais l'organisation n'a pas déposé plainte, comme le prescrivait sa charte de bonne conduite. On comprend que le chaos dans lequel était plongé Haïti l'en a dissuadé. Mais Oxfam n'a pas non plus alerté les autres ONG sur le passif de ses employés et ils ont pu se recycler ailleurs, continuant à mener leur vie de sagouins sans frontières… Le scandale Oxfam a été connu alors qu'Haïti fêtait le carnaval, grand moment de défoulement, où les classes sociales s'effacent derrière les masques, où tout un peuple croyant s'autorise la transgression, où la foule danse dans les rues en mélangeant pour une fois les très pauvres et les très très riches, car Haïti reste une île scandaleusement inégalitaire. Les concours de chansons raillent les dirigeants, racontent la corruption, les petitesses des puissants. On se moque, on rit de la fatalité, tout est permis. Tout sauf l'écœurante morale à géométrie variable des tartuffes de l'humanitaire. Le scandale a réveillé en Haïti quelque chose de puissant, le sentiment d'indignité, le scandale de l'injustice, la haine des Blancs qui mentent, le souvenir de l'esclavage… Le Président haïtien a dénoncé une « violation extrêmement grave de la dignité humaine »… La révélation de cette affaire, somme toute banale, a entrainé des scandales en cascade. Le gouvernement britannique menace de suspendre son financement à l'ONG. L'Europe fait de même. Le public est déjà passé à l'acte, les dons sont en chute libre. La démission du N°2 de l'organisation ne suffit pas à calmer les tabloïds. Le déballage continue… Des scandales sexuels au Tchad, des viols au Soudan du sud, des salariés qui racontent le harcèlement sur le terrain… Oxfam reconnait une « culture de l'abus sexuel »… Une ancienne secrétaire d'Etat de Teresa May rapporte que 120 travailleurs humanitaires ont été signalés l'an dernier par leurs employeurs (Oxfam, la croix rouge, Save the Children, etc.) Pour des abus sexuels. Dix par mois, quand même ! La ministre qui est en campagne affirme que des prédateurs pédophiles se sont infiltrés et qu'Haïti n'est que la partie immergée de l'iceberg…. Des élus conservateurs en profitent pour exiger que le budget de l'aide humanitaire internationale qui atteint 0,7% du Pib soit revu à la baisse. L'opération « balance ton humanitaire » commence à peine. Elle va secouer un univers qui s'affranchit volontiers des règles communes. Mais ce serait un désastre de jeter l'humanitaire avec l'eau du bain ! Que sous couvert de transparence et de morale, l'aide aux pays les plus pauvres souffre des turpitudes de quelques paumés sans frontières.