En avalant une rasade de poison au moment où était prononcée sa condamnation en appel à 20 ans de réclusion pour crimes contre l'humanité, le général Slobodan Praljak a « réussi sa sortie » comme on dit au théâtre. Cet ancien ingénieur avait été directeur de théâtre, par goût de la comédie. C'était avant que la guerre civile lui donne un premier rôle dans la tragédie yougoslave. Mercredi, il a joué sa dernière représentation. Texte laconique, mise en scène minimale, audience mondiale grâce aux caméras du Tribunal Pénal international pour l'ex-Yougoslavie qui retransmettaient le procès. Le monde devenu totalement indifférent au sort des Balkans découvre Slobodan Praljak quand il claque la porte. Grâce à internet, il ne va plus cesser de mourir en direct. Cette vidéo obscène où il sort une fiole et l'avale, tête renversée, n'a pas fini de nous empoisonner. « Pas un criminel » Comme tout prisonnier qui se suicide, Slobodan Praljak a réussi la grande évasion. On peut facilement comprendre qu'un septuagénaire refuse de pourrir 20 ans en prison. A cet âge, c'est une condamnation à perpétuité et tant qu'à faire, en finir immédiatement, en se donnant le beau rôle et en défiant l'ordre du monde peut sembler préférable à un milicien endurci. Mais Praljak ne s'est pas contenté de dégrader le tribunal en en faisant une scène de crime et de discréditer ses juges. C'est un kamikaze qui a voulu assassiner le TPIY. Les derniers mots d'un mourant méritent d'être entendus. Il a prononcé deux phrases, traduites par les agences de presse sous trois versions différentes, ce qui est d'ailleurs une bonne leçon sur la fragilité des témoignages que devraient méditer les juges qui enquêtent sur les crimes de masse commis il y a vingt-cinq ans dans la région de Bosnie-Herzégovine disputée par les Croates et les Bosniens... Slobodan Praljak a protesté contre le verdict. Mais pas comme le font les condamnés ordinaires qui se prétendent innocents. Le milicien a dit précisément : « Je rejette votre verdict, Praljak n'est pas un criminel ! ». Autrement dit, on peut tuer, ordonner de tuer, sans être un criminel. Cela s'appelle la guerre. C'était la ligne de défense de Slobodan Praljak. On peut même être directeur de théâtre et se retrouver général, c'est la guerre civile. Grande Croatie A écouter les Croates, la guerre leur a été imposée. Par les Serbes et l'armée yougoslave qui refusaient leur déclaration d'indépendance. C'est pour se défendre que le peuple s'est levé et a combattu avec les moyens du bord. Praljak a été l'un de ces civils saisis par les évènements. Il a gagné ses galons en montant des filières pour armer ses compatriotes. « Praljak n'est pas un criminel » sera son épitaphe. C'est ce que pensent les Croates. L'opinion publique et les plus hautes autorités de ce petit pays, désormais pacifié et intégré à l'Union Européenne. Le Premier ministre Andrej Plenkovic dénonce « une profonde injustice morale ». La Présidente Kolinda Grabar-Kitarović rentre précipitamment d'un voyage à l'étranger et rend hommage au disparu en affirmant qu'il « incarnait la vérité qu'il a sans cesse défendue ». Ce n'est pas un syndicat du crime, une association d'anciens miliciens déplorant la disparition d'un des leurs. Ce sont des dirigeants jeunes, à la tête d'une démocratie, membre de l'union Européenne. Ils ont une bonne raison de récuser le TPIY. La semaine dernière, le TPIY a condamné, pour le génocide de Sebrenica, Ratko Mladic le chef militaire suprême des Serbes de Bosnie. Huit jours après, un souci d'équilibre qui marque sa tartufferie, lui a fait condamner une demi-douzaine de chefs militaires croate de Bosnie, pour crimes contre l'humanité. Quelle habileté politique ! Mais l'égalité de traitement est illusoire car le jugement dénonce la Croatie elle-même, accusée d'avoir couvert le nettoyage ethnique et d'avoir voulu annexer une partie de la Bosnie pour constituer une « grande Croatie »... Alors que la Serbie n'a pas été mise en cause alors que le rêve de « Grande Serbie » animait tous ses dirigeants pendant la guerre. Laurent Gbagbo devant sa télévision Tout procès finit par celui de la justice. Le TPIY dont les procédures de sécurité sont tatillonnes au point de faire subir deux fois le passage au scanner des personnes admises en son sein, devra expliquer comment le condamné a pu obtenir du poison. Pourquoi les secours ont mis si longtemps à accourir. Négligences d'autant plus choquantes que le tribunal disposait de tous les moyens dont rêvent les magistrats ordinaires. Le TPIY ferme ses portes sur cet échec éclatant. Pendant vingt-cinq ans, ce système kafkaïen aura incarné une justice tatillonne et implacable, rendue dans une langue étrangère, par des magistrats étranges, sensibles à toutes sortes d'influences politiques, dans la petite capitale d'un empire évanoui qui se veut le Vatican du droit. Une justice hors de prix et atrocement lente. Ses errances ont été telles que désormais toute justice pénale internationale est remise en cause. Elle avait été une des promesses de la mondialisation. L'espoir d'une démocratisation de la gouvernance mondiale. L'affirmation d'un contrat social à l'échelle globale. L'idée forte qu'un certain nombre d'absolus lient tous les hommes. L'utopie s'est dissipée. A la Haye, les accusés viennent tous des Balkans ou d'Afrique. Et on ne trouve en Afrique ou dans les Balkans que des gens qui s'en plaignent. Ce jeudi, cela fait six ans jour pour jour que Laurent Gbagbo, l'ancien président ivoirien a été transféré à la prison de la Haye. C'est de sa cellule qu'il contemple les dirigeants africains réunis en sommet à Abidjan avec les dirigeants européens. Son tombeur, Alassane Ouattara doit être le seul à faire confiance à la Justice internationale ! Il devrait se méfier : Laurent Gbagbo passe désormais pour une victime de l'injustice. C'est son capital politique et il attend son retour pour le faire fructifier.