Il n'y a pas de doute, la priorité du gouvernement Benkirane est la relance de l'économie. L'emploi, le financement des services sociaux et des réformes profondes en dépendent. La mission s'annonce d'ores et déjà difficile, mais n'est pas impossible. L'orientation générale qui sera déclinée à l'occasion de l'investiture devant le Parlement, probablement au courant de la troisième semaine de janvier, s'attarde sur deux volets essentiels : l'accélération du déploiement des stratégies sectorielles en améliorant leur gouvernance et la dynamisation du marché intérieur. En empruntant cette voie, le gouvernement collera, sans aucun doute, aux conseils (ou recommandations) de Bank Al Maghrib. La banque centrale avait en effet et à plusieurs reprises, insisté sur le rôle grandissant de la consommation des ménages dans la croissance du PIB. Presque 3,5% de la croissance enregistrée ces dernières années émane du marché domestique. La valeur ajoutée des exportations demeure faible pour des raisons connues, notamment la faiblesse de l'offre exportable et la crise qui touche les marchés ciblés par le Maroc. Deux facteurs qui persistent en 2012 et 2013 et auront un impact conséquent sur la croissance des exportations. L'essentiel se fera donc localement. Des investissements étrangers financés localement L'unanimité est faite sur l'effet des stratégies sectorielles : étant complètement tournées vers l'export, certaines stratégies risquent de ne produire que des effets très limités en cette période de crise. En effet, les plans de développement sectoriels visent avant tout la croissance de l'offre exportable. C'est dans cette optique que le plan Emergence a vu le jour avec cette concentration sur les métiers mondiaux du Maroc. Les marchés cibles connaissent une crise sans précédent et le gouvernement Benkirane ne manquera pas de le rappeler lors de sa déclaration devant le Parlement. Une façon d'annoncer la couleur sur la croissance à venir et ses possibilités limitées sur les deux prochaines années. Il n'en demeure pas moins qu'il reste des pistes sur lesquelles peuvent compter les ministres fraichement installés. Par ailleurs, le Pacte national pour l'Emergence industrielle, visant le développement de cinq secteurs clés (offshoring, aéronautique, automobile, électronique, agroalimentaire, en plus de trois secteurs classiques comme le textile, le tourisme et l'artisanat) repose essentiellement sur l'investissement étranger. La stratégie mise en place consiste en la préparation d'espaces dédiés avec des services sur mesure et l'invitation des majors nationaux et internationaux à investir dans des métiers porteurs. Les nationaux étant en nombre très limité, les attentes des investissements étrangers sont grandes et vitales pour la création de l'emploi, le drainage des devises et la relance de la croissance. Sauf que la machine bloque chez les pays émetteurs des investissements souhaités. Et comme l'a souligné le nouveau ministre du Commerce, de l'industrie et des technologies de l'information, en s'adressant à son staff, «le Maroc a besoin d'investissement productif». Les témoins qui nous rapportent cette déclaration veulent souligner l'importance de l'investissement industriel. Une façon de dire qu'il ne suffit pas de comptabiliser les investissements drainés, mais leur qualité. Pour illustrer leurs arguments ils rappellent le cas de Renault à Tanger. Le constructeur automobile français a été confronté à la crise et ne doit son projet au Maroc qu'à l'implication des institutions financières marocaines, surtout la Caisse de dépôt et de gestion. Le même schéma est attendu pour l'extension de la Somaca, un dossier qui était en négociation avec l'Etat marocain à la veille des élections du 25 novembre 2011. Le dossier de Bombardier tend vers la même logique. Le canadien a signé une lettre d'intention avec le Maroc portant sur un investissement possible de 2 milliards de dirhams sur huit ans. Il ne précise pas, toutefois, si cette somme sera autofinancée ou levée sur le marché marocain. En tout cas, les négociations vont reprendre de plus belle pour définir les contours de cet investissement. Et il est clair que le Maroc mettra la main à la poche. Le message à retenir de ces exemples est clair : l'Etat doit faire de la promotion des investissements étrangers, mais en faisant prévaloir un financement local conséquent. Toute la question est de savoir si l'équipe de Benkirane et à sa tête Nizar Baraka, le ministre des finances, pourra mobiliser des ressources financières pour à la fois maintenir la cadence des grands travaux et soutenir l'investissement par des effets de levier ? Mohamed Najib Boulif, ministre des affaires générales y croit puisqu'il a déclaré à plusieurs reprises que le système financier marocain peut mobiliser une partie des ressources nécessaires tandis que l'autre partie pourrait être fournie par des financements alternatifs, comprendre des fonds islamiques. Des décisions déterminantes et stratégiques Par ailleurs, l'accélération de la mise en œuvre des stratégies sectorielles est souvent liée à l'amélioration de la gouvernance. Le nouveau gouvernement s'engagera dans sa déclaration devant le Parlement à faire mieux en matière de coordination. « Plus question que chacun travail pour soi », nous confie une source proche du gouvernement. La concrétisation de cette promesse est possible dans certains dossiers, mais sera complexe dans d'autres. Les cas les plus emblématiques sont ceux du plan Rawaj et de la stratégie énergétique. Le plan de développement du commerce a prouvé qu'il était impératif d'agir sur le circuit de commercialisation des denrées alimentaires pour tirer les prix vers le bas, une action à impact populaire et politique important. Sauf que pour y arriver, il faut que le ministère de l'intérieur s'associe à celui du commerce pour clore le dossier de la réforme des marchés de gros. La pertinence ainsi que l'efficacité du gouvernement de Benkirane seront mesurées à travers ce type de dossiers. Plus rapide sera la décision et le déploiement, plus grand sera le gain économique et politique. Sur le plan énergétique, le plan gazier du Maroc n'a pas encore vu le jour sachant que sa première mouture a été présentée en 2003. Affiné sous l'ère de Driss Jettou puis présenté au Roi sous l'ère de Abbas El Fassi, le dossier n'a pas encore donné ses fruits. Pourtant ses impacts économique, écologique et géostratégique ne sont plus à prouver. Qu'est ce qu'il lui manque ? Une décision portuaire. Que ce soit à Nador West Med ou à Jorf Lasfer, la construction du port conditionne la mise en place du terminal gazier, le premier pas vers le renforcement des capacités gazières du Maroc. Le même type de blocage plane sur la concrétisation du plan halieutique. Ce dernier table sur la construction d'un grand port de pêche au sud du Maroc, mais le projet n'a pas encore été traité, ni les études lancées. Résultat, un retard monstre dans l'application de la stratégie.