La radicalisation islamiste bat son plein en Espagne. Certains radicaux Espagnols rejoignent Daech. Comment le voisin du nord du Maroc en est-il arrivé là ? Jamais le niveau d'alerte concernant une éventuelle menace terroriste islamiste n'a été aussi élevé qu'il ne l'est actuellement en Espagne. « Il ya une forte possibilité que survienne une attaque en Espagne ou contre ses intérêts à l'étranger », avertissent des membres spécialisés des forces de sécurité. Ces déclarations concordent avec les conclusions de bon nombre de spécialistes relevant de différents organismes indépendants dont, notamment, le Real Instituto Elcano. Cet institut a révélé, dans un récent rapport, qu'après la France, l'Espagne est le pays le plus menacé par le terrorisme. D'abord parce qu'il est directement visé par les fatwas de certains leaders terroristes dont Setmarian, l'un des fondateurs de la cellule espagnole d'al-Qaida, ou encore Ayman Zawahiri, le successeur de Ben Laden. Ensuite, au cours de ces dernières années, l'Espagne a vu le nombre des radicaux islamistes augmenter sur son sol. A titre indicatif, 120 Espagnols ont rejoint les rangs des combattants en Syrie. C'est d'ailleurs ce phénomène des jihadistes espagnols qui a mis la puce à l'oreille des autorités. Des islamistes maison En Espagne, 71,6% des terroristes islamistes ont été radicalisés à l'intérieur du territoire espagnol. Ce chiffre fait dire à l'expert en terrorisme, au Real Instituto Elcano, Fernando Reinares, que la radicalisation est « un phénomène intérieur ». Cependant, ceux qui ont été radicalisés en dehors de l'Espagne, l'ont été principalement en Algérie (39%) et au Pakistan (30%). Le processus de radicalisation des jihadistes en Espagne touche les jeunes, en premier, du fait de leur vulnérabilité. Les mosquées sont citées comme étant les « chefs-lieux » de la radicalisation. Suivent les prisons et certains lieux de réunion tels les cybercafés, les centres d'appels, les boucheries halal, les gymnases, etc. Les espaces d'accueil des populations les plus nécessiteuses (centres d'éducation, d'aide sociale, etc.) sont également pointés du doigt. Ainsi, les prisons auraient été le champ de radicalisation pour au moins 17,3% de l'ensemble des jihadistes espagnols. Selon des sources travaillant dans un établissement pénitencier, le fait de faire cohabiter les détenus jihadistes avec des délinquants n'a pas favorisé la prévention de la radicalisation. « Beaucoup de gens qui se retrouvent en prison pour vol, par exemple, voient dans le salafisme extrémiste une solution à leurs problèmes », estiment nos sources. En outre, les petits commerces tels que les salons de coiffure, les boutiques de vêtements ou encore les magasins d'alimentation, les restaurants, généralement situés dans un même quartier, sont également des zones de radicalisation et d'embrigadement idéologique particulièrement attractifs. Dans le quartier de Lavapies à Madrid, par exemple, à la fin des années 90 et au début des années 2000, de nombreuses entreprises ont vu le jour.Elles étaient contrôlées par des jihadistes ou par leurs sympathisants. C'est là qu'a commencé la radicalisation massive des jeunes musulmans. Par ailleurs, parmi les lieux de culte musulman en Espagne ayant été utilisés comme lieu de radicalisation, on trouve le Centre culturel islamique de Madrid communément appelé « M-30 », la mosquée d'Abou Bakr de la même ville ou encore la mosquée Tarek ben Ziyad à Barcelone. Dans ces mosquées, on prépare des sorties, mais aussi des activités sportives et on tient également des réunions en utilisant certains espaces ouverts, généralement loin de la ville. Cet exemple donné par Fernando Reinares est édifiant : « Certains sites situés près de la rivière Alberche, non loin de Madrid, ont été souvent utilisés, depuis 1995, par Imad Eddin Barakat Yarkas, chef d'Al-Qaïda en Espagne, pour la radicalisation jihadiste de ses adeptes ». Du reste, l'endoctrinement extrémiste se pratique aussi à distance. Sa propagation est amplement facilitée par Internet et surtout les réseaux sociaux, faisant entrer le monde dans une nouvelle phase de la menace terroriste globale. Un homme d'affaires devenu terroriste Membre de la Brigade Al-Andalus, Navid Sanati Koopaei combat actuellement en Syrie aux côtés des jihadistes. Cet homme est né en Iran, mais il a quitté son pays pour venir vivre en Espagne très jeune. Sa famille musulmane ne fréquentait pas régulièrement la mosquée et il a donc grandi dans un environnement plutôt séculier. Enfant, il a fait ses études primaires à l'école publique Martina García où il avait réussi un excellent parcours. En 2001, il a même obtenu la nationalité espagnole. Quelques années plus tard, il a commencé à fréquenter la mosquée M-30 où il fréquentait ses amis d'enfance. C'est là que sa radicalisation progressive a commencé, parrainée par un certain Mohamed Amin El Aabou, qui réside aujourd'hui en Egypte et qui est connu pour son rôle de facilitateur de recrutement des Espagnols et des Marocains candidats au jihad en Syrie. Pourtant, Navid Sanati menait une vie normale et paisible. Il est même devenu un homme d'affaires prospère après avoir fondé N&N Investments Spain SL, une société spécialisée dans la transformation et la distribution des denrées alimentaires. Ses proches le croyaient définitivement casé quand il eut épousé une jeune fille musulmane qu'il a rencontrée dans la mosquée. Sauf que tout allait changer quand il rencontrera, lors de réunions privées dans une ferme à Santa Cruz de Pinares à Avila, les principaux leaders du terrorisme en Espagne, notamment Lahcen Ikassrien, ancien détenu de Guantanamo. En outre, il a souvent contacté, à travers Internet, des dirigeants d'Al-Qaïda. Cet endoctrinement a fini par le transformer, en 2011, en membre actif de la Brigade Al-Andalus, une filiale d'Al Qaïda . Début 2013, Navid a rendu visite à Mohamed Amin en Egypte. A son retour, gonflé à bloc par la propagande extrémiste, il a pris la ferme décision de quitter l'Espagne, pour l'Egypte. Pays qu'il a quitté peu après le coup d'Etat du 3 juillet 2013. Il est alors revenu en Espagne pour préparer son exil volontaire et a continué à travailler. Ses affaires tournaient tellement bien qu'il s'est offert plusieurs résidences à Madrid et en Syrie. Il s'est même procuré des montres de luxe. Quand il a décidé de se rendre en Syrie en avril 2014, il a confié à un imam de la mosquée la gestion de ses affaires, la location de ses résidences et le remboursement de ses dettes. « Il lui a laissé aussi quelques montres », indique le juge Ruz, qui précise que Navid a, en outre, déboursé plus de 50.000 euros pour payer un voyage en Syrie à certains combattants. Le juge ajoute que, fin février 2014, Navid est parti au Maroc accompagné de sa famille de là, il s'est rendu en Turquie avant d'arriver en Syrie. «On sait que Navid Sanati était dans la ville syrienne d'Ar Raqqah le 28 mai 2014», souligne le juge. Navid n'est pas le seul Espagnol à combattre aux côtés de Daech.