Ahmed charai Cependant, la question des droits de lhomme a été remise sur le tapis. Les Européens reconnaissent les efforts fournis par le Maroc mais considèrent quil peut mieux faire. En réalité, ils relèvent quelques déficiences dans larsenal juridique, ce quils appellent timidement «les relations avec la presse», et enfin le Sahara. Tout porte à croire que nous sommes face à des influences contradictoires. Dabord ceux qui, de bonne foi, considèrent que lexpérience marocaine dans son exemplarité doit être encouragée et que cela passe par le dépassement dautres paliers. Cest le sens même du contenu de la déclaration finale, document officiel de référence. Lautre influence, cest celle née du travail dONGs ou de lAlgérie pour instrumentaliser des cas particuliers et porter atteinte à la crédibilité de lexpérience de la construction démocratique au Maroc. La diplomatie marocaine a raison, quand elle négocie ce point, de mettre en avant ces deux questions. La première, cest quon ne peut remettre en cause ni la sincérité du choix de la démocratie, ni le réel attachement aux droits de lhomme dans leur acceptation universelle même si, et cest le cas dans toutes les sociétés, il y a toujours des aspirations à lamélioration. La seconde, cest que lUnion européenne ne peut faire de quelques cas isolés au Sahara, au demeurant reconnus par le Maroc, une affaire et ne pas lever le petit doigt alors que les refugiés de Tindouf subissent les violations extrêmes que lon sait. Personne nest dupe. Le Maroc sait que les positions de lUnion européenne sont souvent le fruit de compromis internes à cette institution. Rabat peut donc être satisfaite des perspectives dun statut qui se rapproche encore plus de lintégration pure et simple. La diplomatie sait aussi quelle doit rester vigilante et, dans la patience, combattre les effets de la propagande algérienne. Economiquement, cest en diversifiant nos marchés que lon diminuera le poids de lEurope et donc la force de ses prétendues pressions. Maroc-UE Le Maroc veut du concret DNES à Grenade Mohamed Zainabi Tout ce qui est positif et important pour le Maroc est positif et important pour l'Espagne et l'Union européenne». A elle seule, cette phrase prononcée par le chef du gouvernement espagnol résume le fervent enthousiasme qui a marqué les sommets économique et politique tenus, lun après lautre, entre lUE et le Maroc à Grenade. Cest aussi par la voix de José Luis Rodriguez Zapatero que le message essentiel de ce double sommet a été envoyé du côté européen. «Chefs dentreprises, vous êtes essentiels pour quon sorte de la crise. Vous avez besoin de confiance. Cest cette confiance que nous voulons vous donner à travers cette rencontre», a-t-il déclaré. Zapatero sexprimait à la clôture des travaux du sommet économique qui a réuni, à la veille du sommet politique Maroc-UE, des représentants de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) avec leurs homologues de Business Europe et de la Confédération espagnole des organisations demployeurs (CEOE), en plus de représentants politiques marocains et européens. Cest ce quil soutiendra le lendemain lors du sommet politique. Voilà que lEspagne place le business au cur du processus de mise en place de la «grande alliance» entre le Maroc et lUE voulue par son chef de gouvernement. Voilà que le voisin européen immédiat du Maroc présente, même si cestdune manière indirecte, le Maroc comme solution possible de sortie de crise aux patrons européens. Rien que pour cela, le sommet mérite le qualificatif dhistorique que lui a attribué le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos dans une déclaration accordée à LObservateur du Maroc à la fin du sommet entrepreneurial. Lui aussi a insisté sur la confiance que lEspagne et lUE veulent donner au monde économique en exprimant leur totale confiance au Maroc. De la confiance, il était aussi question dans lintervention du président de la Commission européenne. «Je suis confiant que le Maroc poursuivra sa dynamique de réformes sur le plan socio-économique comme sur le plan de la régionalisation, mais aussi dans le domaine de la justice comme dans celui de la protection accrue des droits de l'homme et des libertés fondamentales», a souligné, avec le même enthousiasme, José Manuel Dur?o Barroso dans le double sommet comme dans la conférence de presse qui la suivi. Pour aller de lavant, Barroso a émis une proposition concrète : «L'UE se tient prête à lancer, le moment venu, les négociations en vue d'établir avec le Maroc un accord de libre échange global et approfondi». Pour y arriver, le président de la Commission européenne sest montré pragmatique. «Pour accélérer la mise en uvre de cette nouvelle étape dans l'approfondissement de nos relations et soutenir le Maroc dans son programme de réformes, nous avons décidé d'accroître notre aide financière», a-t-il lancé. De combien ? Personne ne veut encore le dire. Mais déjà, Barroso pose un préalable : «Les négociations commerciales en cours doivent être maintenant conclues aussi rapidement que possible». Cette recommandation ressortira dans la déclaration finale du sommet politique Maroc-UE : «Les Parties ont convenu d'intensifier les négociations en cours sur la libéralisation du commerce des services et du droit d'établissement avec pour objectif de parvenir a un accord ambitieux avant la fin de 2010». Cest ce que confirmera au lendemain du sommet à lObservateur du Maroc John Clancy, porte-parole de l'UE pour le commerce : «Le Commissaire De Gucht (ndlr : commissaire européen au commerce) se réjouit des discussions profondes avec le gouvernement marocain à Grenade, précédées par un dialogue technique intense sur le plan commercial UE-Maroc. Il souhaite la continuation et l'accélération de ce dialogue en vue de la conclusion d'ici fin 2010 d'un accord sur les services. Une réelle avancée sur ce dossier permettra d'engager un pas plus ambitieux en vue du lancement de négociations sur un statut avancé pour le Maroc, à l'aune des aspirations marocaines.» Le Maroc nen demande pas mieux. Cest ce que dira, à sa façon et en arabe, Abbas El Fassi qui a pris part à ce double sommet aux côtés de 7 autres ministres marocains. Réponse anticipée du roi Mohammed VI Le message royal adressé au sommet politique Maroc-UE de Grenade est tombé comme une réponse immédiate aux propositions européennes. Il a aussi permis de clarifier la nouvelle position du Maroc. Le souverain a employé ce terme de «co-acteur» pour qualifier le rôle que joue et continuera à jouer le Royaume dans sa relation avec lUE. Mieux, «le Maroc plaide pour aller au-delà du simple établissement d'une zone de libre-échange et appelle à la dynamisation des flux d'investissement, à la promotion des synergies industrielles et agricoles, aux redéploiements d'activités de services, et à la mise en uvre de politiques communes en matière de recherche-développement et d'économie de la connaissance», écrit le roi Mohammed VI. Et preuve que le pays veut accélérer la cadence du partenariat euro-marocain, le souverain souligne : «eu égard à l'importance que revêt le nouvel accord agricole conclu récemment et aux opportunités qu'il offre, le Maroc, tout en réaffirmant son attachement à sa mise en uvre rapide, en application de nos engagements communs, regrette le retard enregistré dans son entrée en vigueur». Pour rappel, le nouvel accord maroco-européen sur lagriculture a été paraphé en fin de lannée dernière, mais na pas encore été ratifié. Il devra lêtre dans le cadre du traité de Lisbonne, ce qui risque de retarder le processus, comme le soutien Younes Zrikem qui préside la commission du commerce extérieur à la CGEM. Sur un autre registre, le roi Mohammed VI rappelle aussi dans son message les attentes du Maroc : «Un espace commun entre le Royaume du Maroc et l'Union européenne en matière d'économie du savoir pourrait investir, de manière spécifique, les nouveaux enjeux énergétiques et environnementaux, en veillant à la promotion de la recherche en matière éco-énergétique, d'énergies propres, d'économie verte, de recherche météorologique, de biodiversité, de dessalement de l'eau de mer, de prévention des situations exceptionnelles (inondations, sécheresses ). Le souverain affirme aussi que le Maroc avance en direction de l'Europe et quil attend de l'Europe qu'elle avance, à son tour, vers le Maroc. Le Maroc décomplexé «On ne peut pas détruire l'intégrité du Maroc à partir d'un cas ou deux». Cest ainsi que le Premier ministre marocain, Abbas El Fassi a répondu après que la question des droits de lhomme a été soulevée par Herman Van Rompuy. Le président du Conseil européen a lié ce sujet à la question du Sahara. Dans sa réponse, Abbas El Fassi a demandé à ses partenaires européens de ne pas appliquer la méthode de deux poids deux mesures. Il a vivement critiqué l'attitude de l'Algérie, notamment sur l'aspect des droits de l'homme. «La sécurité militaire algérienne viole constamment les droits de l'homme dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf où il n'y a ni liberté de parole ni liberté de mouvement», a-t-il rappelé. Changement de ton Lors du sommet économique Maroc-UE, deux ateliers sectoriels ont été organisés. Le premier sur le transport et la logistique et le second sur les énergies renouvelables. Ce qui a permis aux responsables marocains de présenter, devant un parterre dentrepreneurs et de bailleurs de fonds (la BEI notamment était représentée à ces rencontres), les opportunités quoffre désormais le Maroc dans ces deux secteurs. Seulement, le ton a changé. Cette phrase introductive lancée aux participants à latelier sur les énergies renouvelables par Mustapha Bakkoury, en sa qualité de président de la nouvelle Agence marocaine de lénergie solaire, en dit long sur la nouvelle attitude marocaine : «Le plan énergétique (ndlr : marocain) nest pas seulement pour limport et lexport de lénergie, mais aussi pour mettre en place une dynamique industrielle énergétique et aussi pour avoir de vrais pôles dexcellence pour la recherche et développement». Cest ce que défendra aussi à loccasion Saïd Mouline qui dirige le Centre de développement des énergies renouvelables. Multilinguisme marocain Au cours du sommet économique Maroc-UE, les représentants marocains ont brillé par leur multilinguisme. Ahmed Réda Chami a présenté un brillant exposé, en anglais, sur toutes les nouvelles opportunités dinvestissement quoffre désormais le Maroc. «Le Maroc nest pas seulement le pays du soleil, du couscous et des chameaux» a lancé le ministre marocain du Commerce, de lindustrie et des nouvelles technologies pour introduire son propos. Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Youssef Amrani, a quant à lui discouru en espagnol. Il a bien insisté sur lengagement du Maroc daller de lavant dans le processus de rapprochement poussé avec lUE. De son côté, le patron des patrons marocains a préféré sexprimer en français. Pour sa part, Abbas El Fassi est intervenu en arabe. La CGEM veut adhérer à Business Europe La CGEM a présenté, par la voix de son président Mohamed Horani, une demande orale dadhésion à Business Europe (lorgane patronal européen) lors du sommet économique Maroc-UE. «Une telle adhésion nous permettra d'être au fait des changements opérés en Europe et de les suivre, sachant que l'ultime objectif de ce Statut avancé est d'avoir un marché commun auquel participera activement notre pays», a soutenu Mohamed Horani. Agenda Maroc-UE Le plan daction UE-Maroc adopté en 2005 pour une période de 5 ans arrive à son terme. Dans limmédiat, les deux parties sont appelées à adopter un nouvel instrument au cours de cette année. Selon la déclaration finale du sommet Maroc-UE, le nouveau document devra donner un contenu opérationnel aux objectifs du Statut avancé en intégrant notamment les réformes agréées et les actions prévues dans le cadre du Plan daction. Il devra également intégrer les éléments du programme gouvernemental de convergence réglementaire. Les représentants du Maroc et de lUE devront se retrouver lors du sommet de lUnion pour la Méditerranée prévu à Barcelone en juin 2010. LUE et le Maroc sont aussi appelés à collaborer dans le cadre de la Stratégie Afrique-UE et de renouveler, le cas échéant, le Plan dAction en vue du IIIe Sommet Afrique-UE prévu au second semestre 2010. «A partir de 2013, une nouvelle étape pour laccès aux moyens financiers communautaires adéquats pour accompagner le Maroc dans une logique de la politique régionale et de cohésion de lUE et dadoption de nouvelles procédures de mise en uvre», peut-on lire dans la déclaration finale.