Lengouement à la 16e édition du Salon international de lédition et du livre (SIEL) est à son comble. Plus de 700 stands nichés dans tous les coins de la Foire internationale de Casablanca exposent livres, romans et encyclopédies sous le regard curieux de centaines de visiteurs en extase. Maroc, Algérie, Tunisie, Liban, Palestine, Syrie, Egypte, France ou encore Italie étalent, non sans fierté, leurs produits et attirent les conquis de la littérature arabe et étrangère. Carrefour des belles lettres, le SIEL est le cadre parfait dun Maroc intellectuel où se mêlent littérature, intellectualisme et lectures. Pourtant, cest un Maroc loin de mettre la lecture sur un piédestal dhonneur, un Maroc où le pouvoir dachat ne permet pas aux citoyens de se permettre ce «petit luxe» quest la lecture. La scène se répète pratiquement dans tous les stands : les livres sont feuilletés avec intérêt mais sont rapidement remis sur les étagères à la lecture des prix. Le SIEL, une réalité voilée La 16e édition du Salon international de lédition et du livre fête la lecture, les écrivains et lédition. Toutefois, ces trois éléments principaux de la littérature nationale ne vivent pas leurs plus beaux jours. Les chiffres tirent la sonnette dalarme et les enquêtes ne sont guère optimistes. «La société marocaine na jamais eu la tradition de la lecture» explique Hassan Nejmi, directeur du livre. Lévaluation de lintérêt pour la lecture est traduite en 1981 lorsque Lucile Bouissef Rekab élabore la première enquête de terrain sur ce thème. En 1984, Mohamed Bennis et Ahmed Rdaouni présentent une deuxième «Enquête sur la lecture et les lecteurs au Maroc». Une troisième «Enquête sur la lecture au Maroc» est réalisée par Abdelali El Yazami sur un échantillon de lecteurs francophones. Et une autre appartient au ministère de la Culture dont les résultats sont présentés en 2001. Triste constat : un recul indéniable de la lecture au Maroc si lon compare les résultats de ces enquêtes au fil des années. Létude la plus récente est présentée en 2006 par Hassan Ouazzani, auteur de lenquête «Secteur du livre au Maroc, état des lieux et perspectives» qui tire les choses au clair. Les Marocains ne lisent que 2,4 livres par an en moyenne, un sur dix nen lit jamais aucun, 64% des répondants ayant arrêté de lire confirment que lexistence dautres moyens daccès à la connaissance, tels que la télévision et lInternet qui constituent une entrave au développement des habitudes de lecture, les traduction du français en arabe restent très nombreuses Une image flagrante corroborée par dautres chiffres du ministère de la Culture : 900 livres seulement sont publiés dans le royaume chaque année depuis 2002 (70% en arabe et 20% en français), la moyenne générale dune première édition ne dépasse pas les 1500 exemplaires (contre 44.000 en France !) et 50% de Marocains seulement lisent annuellement entre 2 et 5 livres. Pire, le Maroc compte 243 bibliothèques publiques. 24 à Rabat et 8 seulement à Casablanca ! On nest pas au bout de nos surprises. La fâcheuse habitude de non lecture a ses raisons que lon marginalise. Si quelques «best-sellers» (si lon ose les appeler ainsi) font lexception à linstar de «Au-delà de toute pudeur» de Soumaya Naâmane Guessous vendu à 48.000 exemplaires en vingt ans et «Tazmamart Cellule 10» dAhmed Merzouki écoulé à 25.000 exemplaires voilent une crise alarmante, écrivains, éditeurs et libraires dénoncent la réalité dun secteur en agonie. «Il ny a pas dincitation à la lecture. Même les médias ny jouent aucun rôle» dénonce Omar Salim, écrivain journaliste. «Appeler un livre vendu à 2000 exemplaires un best-seller est une honte», se désole Hassan Nejmi, directeur du livre. Grande crise «Quand est-ce quon finit cette visite ?» simpatiente Youssef, dix ans, dont lécole organise une visite au SIEL à Casablanca. Démarche nonchalante, regard dispersé et désintérêt total, lenfant à linstar de ses amis, a hâte de quitter les lieux. «Les élèves sennuient malgré tous nos efforts pour les familiariser avec la lecture», se désole Khadija, enseignante. La majorité préfère prendre des photos en attendant la fin de la visite. «Pourquoi les gamins des missions françaises et espagnoles lisentv?» se demande Omar Salim. Les failles de lenseignement apparaissent dans la structuration de lesprit de ses élèves. «Les élèves nauront jamais le niveau escompté sils ne lisent pas» ajoute lenseignante, la famille joue un rôle primordial dans ce sens. «Il faut encourager les enfants à lire des petites revues, des bandes dessinées ou des contes afin de développer la passion de la lecture». Hassan Nejmi confirme : «la famille doit éduquer son enfant sur le principe de la lecture et donner lexemple. Comment voulez-vous quun enfant aime la lecture alors quil ne voit pas de bibliothèque chez lui ?». Il ajoute que même à lécole, on na jamais eu une enveloppe temporelle pour la lecture. Omar Salim se rappelle de lépoque de son père, homme denseignement, où la structuration de lesprit et la bonne instruction étaient privilégiées. «Une tête bien faite est toujours mieux quune tête bien pleine» explique-t-il. Si les écoliers qui savent lire et écrire ne sapprochent pas des livres, que dire de 43% de la population analphabète ? Malgré les efforts consentis pour promouvoir la scolarisation, la réduction du taux danalphabétisme ne dépasse pas 1 à 2%. Une forte concentration de ce phénomène est enregistrée chez les femmes en atteignant plus de la moitié, et dans les zones rurales peuplées à concurrence de 61% par des analphabètes. «Si le Maroc compte ce taux danalphabètes, il ne faut pas oublier que 20 à 25% de la population savent lire et écrire en arabe, français et espagnol», optimise O. Salim. «On a 386.000 enseignants au primaire, au collège et au lycée, environ 7000 cadres universitaires censés encadrer la société, donner lexemple et créer. Ces gens ne lisent même pas !» rétorque H. Nejmi. Crise de lecture ou crise de livre ? «Cest indéniable, le Maroc souffre dune crise de lecture. Pourtant, les maisons dédition ne ferment pas et le marché de lemploi dans les imprimeries continue à attirer» constate le directeur du livre. Ce qui prouve une demande incessante malgré un désintérêt flagrant pour la lecture. Même les écrivains ne perdent pas espoir malgré plusieurs défaillances. «Sans citer de noms, léditeur marocain ne paie pas» sinsurge O. Salim. Autre point négatif. Pourtant, les 10% de progression enregistrés en 2008 par rapport à lannée précédente laissent présager un avenir meilleur. «Je ne dirais pas que le Maroc vit une crise de lecture. Cest trop généraliste», constate Karim, responsable dune librairie à Rabat. Il ajoute quil a des clients depuis des années qui ne peuvent vivre sans livres ce qui montre que la lecture au Maroc a ses passionnés. Dans un autre contexte, alors quune étude panarabe sur le lectorat montre que 90% des Marocains sont des lecteurs réguliers de la presse, lenquête de Hassan Ouazzani met en exergue dautres données selon lesquelles le nombre de ventes quotidiennes reste faible et se situe à 13 exemplaires par 1000 habitants contre une moyenne mondiale de 95 exemplaires. Ce chiffre ne suit pas non plus lévolution enregistrée au niveau du nombre de titres passés de 306 à 618 titres en 2004. Cest loin du potentiel dun pays qui compte une trentaine de millions dhabitants Loin des livres et des romans, la presse écrite a ses mordus malgré un faible taux de lecture, selon lenquête. Et cette lecture ? «Le secteur du livre semble toujours être cautionné par sa pesanteur historique marquée, paradoxalement, dune part, par sa dynamique culturelle propre, portant la marque de ses origines historiques profondes et, dautre part, par le retard enregistré au niveau de lémergence et de la consécration de ses composantes et de ses structures modernes», résume Hassan Ouazzani.