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Le livre agonise
Publié dans L'observateur du Maroc le 01 - 03 - 2010

L’engouement à la 16e édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) est à son comble. Plus de 700 stands nichés dans tous les coins de la Foire internationale de Casablanca exposent livres, romans et encyclopédies sous le regard curieux de centaines de visiteurs en extase. Maroc, Algérie, Tunisie, Liban, Palestine, Syrie, Egypte, France ou encore Italie étalent, non sans fierté, leurs produits et attirent les conquis de la littérature arabe et étrangère. Carrefour des belles lettres, le SIEL est le cadre parfait d’un Maroc intellectuel où se mêlent littérature, intellectualisme et lectures. Pourtant, c’est un Maroc loin de mettre la lecture sur un piédestal d’honneur, un Maroc où le pouvoir d’achat ne permet pas aux citoyens de se permettre ce «petit luxe» qu’est la lecture. La scène se répète pratiquement dans tous les stands : les livres sont feuilletés avec intérêt mais sont rapidement remis sur les étagères à la lecture des prix.
Le SIEL, une réalité voilée
La 16e édition du Salon international de l’édition et du livre fête la lecture, les écrivains et l’édition. Toutefois, ces trois éléments principaux de la littérature nationale ne vivent pas leurs plus beaux jours. Les chiffres tirent la sonnette d’alarme et les enquêtes ne sont guère optimistes. «La société marocaine n’a jamais eu la tradition de la lecture» explique Hassan Nejmi, directeur du livre. L’évaluation de l’intérêt pour la lecture est traduite en 1981 lorsque Lucile Bouissef Rekab élabore la première enquête de terrain sur ce thème. En 1984, Mohamed Bennis et Ahmed Rdaouni présentent une deuxième «Enquête sur la lecture et les lecteurs au Maroc». Une troisième «Enquête sur la lecture au Maroc» est réalisée par Abdelali El Yazami sur un échantillon de lecteurs francophones. Et une autre appartient au ministère de la Culture dont les résultats sont présentés en 2001. Triste constat : un recul indéniable de la lecture au Maroc si l’on compare les résultats de ces enquêtes au fil des années. L’étude la plus récente est présentée en 2006 par Hassan Ouazzani, auteur de l’enquête «Secteur du livre au Maroc, état des lieux et perspectives» qui tire les choses au clair. Les Marocains ne lisent que 2,4 livres par an en moyenne, un sur dix n’en lit jamais aucun, 64% des répondants ayant arrêté de lire confirment que l’existence d’autres moyens d’accès à la connaissance, tels que la télévision et l’Internet qui constituent une entrave au développement des habitudes de lecture, les traduction du français en arabe restent très nombreuses… Une image flagrante corroborée par d’autres chiffres du ministère de la Culture : 900 livres seulement sont publiés dans le royaume chaque année depuis 2002 (70% en arabe et 20% en français), la moyenne générale d’une première édition ne dépasse pas les 1500 exemplaires (contre 44.000 en France !) et 50% de Marocains seulement lisent annuellement entre 2 et 5 livres. Pire, le Maroc compte 243 bibliothèques publiques. 24 à Rabat et 8 seulement à Casablanca ! On n’est pas au bout de nos surprises. La fâcheuse habitude de non lecture a ses raisons que l’on marginalise. Si quelques «best-sellers» (si l’on ose les appeler ainsi) font l’exception à l’instar de «Au-delà de toute pudeur» de Soumaya Naâmane Guessous vendu à 48.000 exemplaires en vingt ans et «Tazmamart Cellule 10» d’Ahmed Merzouki écoulé à 25.000 exemplaires voilent une crise alarmante, écrivains, éditeurs et libraires dénoncent la réalité d’un secteur en agonie. «Il n’y a pas d’incitation à la lecture. Même les médias n’y jouent aucun rôle» dénonce Omar Salim, écrivain journaliste. «Appeler un livre vendu à 2000 exemplaires un best-seller est une honte», se désole Hassan Nejmi, directeur du livre.
Grande crise
«Quand est-ce qu’on finit cette visite ?» s’impatiente Youssef, dix ans, dont l’école organise une visite au SIEL à Casablanca. Démarche nonchalante, regard dispersé et désintérêt total, l’enfant à l’instar de ses amis, a hâte de quitter les lieux. «Les élèves s’ennuient malgré tous nos efforts pour les familiariser avec la lecture», se désole Khadija, enseignante. La majorité préfère prendre des photos en attendant la fin de la visite. «Pourquoi les gamins des missions françaises et espagnoles lisentv?» se demande Omar Salim. Les failles de l’enseignement apparaissent dans la structuration de l’esprit de ses élèves. «Les élèves n’auront jamais le niveau escompté s’ils ne lisent pas» ajoute l’enseignante, la famille joue un rôle primordial dans ce sens. «Il faut encourager les enfants à lire des petites revues, des bandes dessinées ou des contes afin de développer la passion de la lecture». Hassan Nejmi confirme : «la famille doit éduquer son enfant sur le principe de la lecture et donner l’exemple. Comment voulez-vous qu’un enfant aime la lecture alors qu’il ne voit pas de bibliothèque chez lui ?». Il ajoute que même à l’école, on n’a jamais eu une enveloppe temporelle pour la lecture. Omar Salim se rappelle de l’époque de son père, homme d’enseignement, où la structuration de l’esprit et la bonne instruction étaient privilégiées. «Une tête bien faite est toujours mieux qu’une tête bien pleine» explique-t-il. Si les écoliers qui savent lire et écrire ne s’approchent pas des livres, que dire de 43% de la population analphabète ? Malgré les efforts consentis pour promouvoir la scolarisation, la réduction du taux d’analphabétisme ne dépasse pas 1 à 2%. Une forte concentration de ce phénomène est enregistrée chez les femmes en atteignant plus de la moitié, et dans les zones rurales peuplées à concurrence de 61% par des analphabètes. «Si le Maroc compte ce taux d’analphabètes, il ne faut pas oublier que 20 à 25% de la population savent lire et écrire en arabe, français et espagnol», optimise O. Salim. «On a 386.000 enseignants au primaire, au collège et au lycée, environ 7000 cadres universitaires censés encadrer la société, donner l’exemple et créer. Ces gens ne lisent même pas !» rétorque H. Nejmi.
Crise de lecture ou crise de livre ?
«C’est indéniable, le Maroc souffre d’une crise de lecture. Pourtant, les maisons d’édition ne ferment pas et le marché de l’emploi dans les imprimeries continue à attirer» constate le directeur du livre. Ce qui prouve une demande incessante malgré un désintérêt flagrant pour la lecture. Même les écrivains ne perdent pas espoir malgré plusieurs défaillances. «Sans citer de noms, l’éditeur marocain ne paie pas» s’insurge O. Salim. Autre point négatif. Pourtant, les 10% de progression enregistrés en 2008 par rapport à l’année précédente laissent présager un avenir meilleur. «Je ne dirais pas que le Maroc vit une crise de lecture. C’est trop généraliste», constate Karim, responsable d’une librairie à Rabat. Il ajoute qu’il a des clients depuis des années qui ne peuvent vivre sans livres ce qui montre que la lecture au Maroc a ses passionnés. Dans un autre contexte, alors qu’une étude panarabe sur le lectorat montre que 90% des Marocains sont des lecteurs réguliers de la presse, l’enquête de Hassan Ouazzani met en exergue d’autres données selon lesquelles le nombre de ventes quotidiennes reste faible et se situe à 13 exemplaires par 1000 habitants contre une moyenne mondiale de 95 exemplaires. Ce chiffre ne suit pas non plus l’évolution enregistrée au niveau du nombre de titres passés de 306 à 618 titres en 2004. C’est loin du potentiel d’un pays qui compte une trentaine de millions d’habitants… Loin des livres et des romans, la presse écrite a ses mordus malgré un faible taux de lecture, selon l’enquête. Et cette lecture ? «Le secteur du livre semble toujours être cautionné par sa pesanteur historique marquée, paradoxalement, d’une part, par sa dynamique culturelle propre, portant la marque de ses origines historiques profondes et, d’autre part, par le retard enregistré au niveau de l’émergence et de la consécration de ses composantes et de ses structures modernes», résume Hassan Ouazzani.


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