« Chaque passage en gynécologie a été un réel traumatisme pour moi. Petit exemple parmi tant d'autres : J'ai vu une sage femme, en voulant suturer une épisiotomie, geste qui est d'ailleurs très douloureux, dire à une maman célibataire « wa 7li rjlik al *** !!! wla kat3erfi t7illihoum ghir l rjal »», raconte, la mort dans l'âme, cette interne en médecine sur « Hors la loi », la page officielle du Collectif 490. Un récit triste qui n'est nullement isolé et qui décrit un vécu accablant pour un grand nombre de mères célibataires. Sara Nih, également médecin interne, raconte comment elle a été témoin pendant sa formation d'une scène similaire. « J'ai essayé par la suite de réconforter la maman mais je n'avais malheureusement pas le courage à l'époque de confronter la sage femme... Je le regrette encore », raconte, avec dépit, la jeune médecin. Préjugés tenaces Des récits et des scènes dont le théâtre n'est autre que les salles d'accouchement des hôpitaux publics. Réputé d'être une véritable souffrance, l'éprouvant passage dans ces salles n'est d'ailleurs pas l'apanage des seules mères célibataires. « Même les femmes mariées souffrent de maltraitance, de manque de respect et d'humiliation dans les hôpitaux publics. Mais les mères célibataires, elles, voient cette souffrance doublée. La stigmatisation et les préjugés sont les maîtres mots. Le comportement du personnel soignant en contact direct avec elles, est souvent infâme ! », s'insurge Leila Meghraoui, activiste féministe opérant auprès de mères célibataires. « L'hôpital ou la salle d'accouchement est une représentation miniaturisée de la société. La mentalité et la conscience collective vont s'exprimer dans ce milieu d'une manière naturelle et automatique. Ce qu'affrontent les mères célibataires et ce que le personnel exprime dedans ne peut qu'être le reflet de ce qui se passe ailleurs dans la « grande société » », nous explique Mehdi Sebbar, chercheur en sociologie. D'après ce dernier, le traitement infligé aux mères célibataires dans ces salles reflète en effet le rejet et la stigmatisation qu'elles rencontrent déjà dans leur milieu familial et social. Traumatisme Impuissantes, souvent dans une situation socio-économique fragile et rejetées par leurs familles, les mères célibataires n'ont d'autres choix que se diriger vers les hôpitaux publics pour accoucher. « Le travail a déjà commencé il y a plusieurs heures quand je me suis dirigée vers l'hôpital. Me tordant de douleur à cause des contractions, une infirmière m'ordonne de la fermer et de cesser de gémir comme une vache. Dès l'entrée, en demandant après mon mari et en apprenant qu'il n'y en a pas, le comportement s'est fait hostile, humiliant voire haineux. Mon accouchement était un véritable cauchemar entre la douleur et les insultes sensées m'encourager !!! Je me suis hais, j'ai hais mon existence et j'ai carrément espéré mourir pour échapper à cette souffrance physique et émotionnelle », raconte, les mots tremblants d'émotion, K.S, mère célibataire d'un garçon de 4 ans. Un souvenir profondément douloureux que la jeune femme n'arrive toujours pas à oublier malgré les années. Un grand traumatisme psychique dont l'effet perdure au-delà de l'accouchement et de ses conditions désastreuses, comme l'affirme les psychologues. « L'accouchement en soi déclenche un véritable bouleversement psychique et émotionnel chez la femme enceinte et implique une mise à l'épreuve pour les limites du moi. C'est un moment de passage capital dans la construction de sa nouvelle fonction de mère et dans les transformations de sa personnalité », nous explique Nadia Mouâtassim, psychologue. Effets et suites Entre les murs des salles d'accouchement, les infirmières et la sage-femme sont en première ligne pour aider les jeunes mamans comme l'explique la clinicienne. « Une multitude de facteurs peuvent influer sur le vécu de l'accouchement. Il est important de les prendre en compte car ce vécu peut avoir des conséquences importantes sur le devenir mère et la relation mère-enfant, notamment lorsqu'une psychopathologie se déclare », note la spécialiste. Cette dernière insiste d'ailleurs sur l'état psychique angoissé et profondément fragilisé des mères célibataires déjà assez malmenées durant leur grossesse. « L'accouchement est un moment fragile pendant lequel le refoulement mis en place depuis fort longtemps peut facilement céder. Et tout ce qui était soigneusement enfoui, met en sourdine peut être réveillé dans la pensée consciente et faire fracas au moment de l'accouchement », met en garde la psychologue. Un accouchement accompli dans l'humiliation et marqué par la violence verbale et émotionnelle peut ainsi engendrer des dégâts psychiques à long terme et même des violences sur la jeune mère et par extension sur son enfant. Des retombées lourdes d'un comportement discriminatoire et aux antipodes de la mission humanitaire du personnel de santé.