Selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le poids démographique des classes moyennes au Maroc serait de 41,8%. Ce chiffre grimpe à 54,1% selon l'approche de l'Université Québec. Quant à la Banque mondiale, elle estime que cet indicateur serait de 84,4% ! D'après Ahmed Lahlimi, le haut commissaire au Plan, un modèle de référence étranger ou souhaité est, d'emblée, inapproprié. Que sont donc les modèles propres aux Marocains ? Si on retient l'auto-déclaration des ménages comme un critère subjectif, les classes moyennes au Maroc représenteraient 55,8% de la population, contre 39,4% pour les catégories sociales modestes (pauvres et relativement pauvres) et 3,2% pour les catégories riches ou relativement riches. Ces classes regroupent 17,2 millions d'habitants, dont 10,1 millions d'urbains et 7,1 millions de ruraux. Cette approche, bien qu'elle soit basée sur des critères propres au vécu marocain, présente des limites. Des contours flous Les résultats issus de l'auto-évaluation sont manifestement biaisés par un facteur culturel. La valeur du juste milieu, si caractéristique de la culture dominante, incline aussi bien des riches que des pauvres à s'identifier à la moyenne. C'est ainsi que parmi les 20% les plus riches, 75% se considèrent moyens. Parmi les 20% les plus pauvres, cette proportion est de 37%. Pire, dans les zones urbaines d'habitat, ceux qui s'auto déclarent moyens sont nombreux. Plus, le pourcentage des ménages qui s'identifient aux classes moyennes baisse parmi les ménages aisés et augmente parmi les ménages modestes. Ainsi, A. Lahlimi déclare que cette approche s'avère impertinente pour une analyse statistique des classes moyennes d'une portée opérationnelle à l'usage d'une politique publique. S'impose alors une approche économique. Elle situe les classes moyennes dans la fourchette centrale de la distribution sociale des revenus ou des dépenses de consommation. Pour ce faire, le revenu moyen par ménage et par mois est retenu par les enquêteurs du HCP pour définir la classe moyenne. D'ailleurs, il ressort du dernier rapport publié par cette institution que 28% des classes moyennes constituent la catégorie supérieure avec un revenu dépassant la moyenne nationale (5308 DH) ; 42% constituent la catégorie intermédiaire avec un revenu situé entre la médiane et la moyenne nationales ; 30% constituent la catégorie inférieure avec un revenu inférieur à la médiane nationale (3500 DH). Il semble que tous les niveaux médians choisis pour encadrer les niveaux inférieur et supérieur de la classe moyenne ne recoupent nullement l'avis de ceux qui qualifient une vie descente par tout niveau de vie en dessous d'un salaire mensuel de 15.000 DH nets. La même étude démontre que, dans notre pays, les 10% les plus aisés de la population totalisent 38% des revenus et 33% des dépenses de consommation, alors que 27% vivent au-dessous du seuil de vulnérabilité et ne participent qu'à hauteur de 11% dans les revenus et 10% dans les dépenses de consommation. Le revenu moyen par tête des premiers est 10 fois supérieur à celui des seconds. Il est clair que le système de répartition des fruits de la croissance n'a pas permis l'émergence d'une classe moyenne. L'accumulation des déficits sociaux a ainsi été le corollaire de cette situation. Voilà ce qui rompt avec un certain discours, malheureusement dominant, qui ne jure que par la croissance en tant que levier unique du développement. Or, l'existence d'une classe moyenne est considérée par certains comme un indicateur majeur de développement. Alors, peut-on parler de l'existence ou de l'émergence d'une classe moyenne au Maroc? A-t-on donc une réponse tranchée permettant d'aboutir à un quelconque résultat? Tant que les critères de définition de la classe moyenne ne dépassent pas le critère partiel du revenu ou encore de l'accès aux services et équipements sociaux, la classe moyenne restera introuvable. Bien que les classes moyennes se présentent dans le rapport du HCP comme un terme clair, il n'en demeure pas moins que la catégorie a besoin de plus de clarification.