La guerre de l'eau aura-t-elle lieu ? Poser la question n'a plus rien de farfelu. L'or bleu est devenu un enjeu vital et une matière stratégique au même titre que le pétrole. Les faits sont affligeants : 1,5 des 6,5 milliards d'habitants de la planète n'ont pas accès à l'eau potable, y compris en Europe où ils sont plus de 40 millions. Dans quinze ans, les deux tiers de la population mondiale «souffriront de stress hydrique», affirme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Il s'agit d'une «crise globale» affirmait en mars à Istanbul, le directeur de l'Unesco, Koïchiro Matsuura, devant 25.000 experts réunis lors du Forum mondial de l'eau. A l'origine de cette catastrophe annoncée : le réchauffement de la planète et l'augmentation de la population mondiale. Dans l'hémisphère nord, le réchauffement climatique va provoquer des sécheresses catastrophiques, le désert gagne du terrain en direction du nord - même si, cette année, le Maghreb a connu des pluies torrentielles qui ont rempli les barrages et causé nombre d'inondations - et dans quelques dizaines d'années, la végétation de type méditerranéen atteindra le centre de la France. Le Maghreb, le Moyen-Orient et une partie de l'Afrique seront parmi les régions les plus touchées. Parallèlement, la fonte des glaciers va faire monter le niveau des mers, entraîner la disparition de petites îles et favoriser la diminution de l'eau douce à l'échelle de la planète. Or, celle-ci abritera 9 milliards d'habitants en 2050 pour une ressource dont, au mieux, la quantité n'aura pas augmenté et qui reste inégalement répartie à la surface de la terre. C'est une véritable bombe hydraulique à l'échelle de la planète qui nous menace si la communauté internationale ne se décide pas à gérer les 276 fleuves internationaux et les 300 grandes nappes aquifères transfrontalières. Deux pays sont, en particulier, au cur de cet enjeu: la Turquie et la Chine. Depuis les années 80, la Turquie prévoit de construire 22 barrages sur ses deux grands fleuves, le Tigre (1.950 km) et l'Euphrate (2.780 km) pour développer le sud-est du pays. Un «grand projet anatolien» qui affecte l'Irak et la Syrie qui dépendent largement pour leur approvisionnement des deux fleuves qui se jettent dans un estuaire commun, le Chatt al-Arab dans le golfe Persique. Non seulement Damas comme Bagdad reçoivent de l'eau de mauvaise qualité, polluée par des pesticides (les barrages retiennent les sédiments et privent les terres agricoles en aval de certains éléments fertiles), mais la Turquie dispose avec l'eau de ces fleuves d'une arme stratégique en cas de conflit. Elle a la capacité de stocker un an de leur débit d'eau en en privant ainsi la Syrie et l'Irak. La construction en 1990 du barrage Atatürk sur l'Euphrate avait entraîné un incident entre Ankara et ses voisins lorsque la Turquie avait fermé les vannes du fleuve pendant un mois. La géopolitique de l'eau est flagrante aussi dans le cas du Tibet, ce château d'eau de l'Asie qui représente 30% des réserves hydrauliques de la Chine via le Yang-tseu-kiang (6.300 km) et le Fleuve jaune (5.464 km qui y prennent leur source et irriguent une grande partie du pays. L'eau du Fleuve jaune alimente le nouveau et gigantesque barrage des Trois gorges qui fournit de l'électricité à toute la région en pleine expansion à l'ouest de Shanghai. Il est incontestable que la politique intransigeante menée par Pékin vis-à-vis des autonomistes au Tibet s'explique aussi largement par l'intérêt vital du Toit du monde, cette région qui fournit l'or bleu à la Chine.