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A l'école agricole de Bayti : « Cultivons notre jardin ! »
Publié dans L'observateur du Maroc le 30 - 01 - 2013

Situé à 200 km de Casablanca, la ferme pédagogique de Bayti surprend par ses réalisations et ses belles ambitions. Visite guidée dans cette école pas comme les autres…
Par : Hayat Kamal Idrissi
En cette matinée pluvieuse du vendredi, Douar Ouled Marrouane semble plutôt paisible. Située dans la région de Mnasra à une trentaine de km de Kénitra sur le littoral atlantique, la ferme école de Bayti nous accueille avec hospitalité. Etendu sur 11 hectares, cet espace verdoyant n'a rien de commun avec les rues d'où viennent la plupart des « locataires » de la ferme. « Ce sont des enfants et des jeunes en situation difficile (entre 15 et 24 ans). Ils viennent principalement de l'association Bayti, mais également d'autres associations actives à travers le royaume », nous explique Hassan Zaïm, directeur de la ferme pédagogique. Lancé en 2005, le projet est né d'une idée plutôt ingénieuse : Eloigner ces enfants en situation très difficile de la zone urbaine et de ses attraits négatifs, tout en leur proposant une alternative plus attrayante, celle d'une réinsertion socioprofessionnelle.
« Ici, les bénéficiaires apprennent un métier qui va leur permettre plus tard de vivre avec dignité », nous lance Zaïm. A la ferme, loin de la rue, de la drogue et des différentes formes d'exploitation et autres tentations, ces adolescents, autrefois victimes et délinquants, retrouvent leur condition d'enfants. Ils recouvrent par la même occasion leur droit à l'éducation. D'après le directeur, le rôle de cette école particulière ne se limite pas à former aux métiers de l'agriculture : « Nous essayons de répondre aux besoins éducatifs très spécifiques de ces jeunes souffrant pour la plupart d'une grande instabilité. Un suivi psychologique est également prévu à travers l'intervention de médecins professionnels ».
Des propos qui sont confirmés par Mohamed, l'un des deux formateurs de l'école. « Former ces jeunes n'est pas une mince affaire, vu la particularité de leur situation. Toutefois, nous nous adaptons et nous ne faisons surtout pas d'exception. Ils restent des élèves qui doivent être performants pour pouvoir affronter le marché du travail très concurrentiel », explique-t-il. Point de pitié ou de compassion ici. Le passé de ces ex enfants de la rue n'entre pas en ligne de compte. Les jeunes qui sont présélectionnés pour être admis à l'école doivent faire leurs preuves. C'est au plus méritant dès le départ. « Nous organisons deux séjours de sélection par an durant lesquels nous procédons à la sélection des futurs bénéficiaires. Ce choix se fait selon différents critères qui prennent en considération les traits profonds de la personnalité de chacun, ses dispositions et ses aptitudes physiques. Le travail agricole n'attire pas tout le monde et pour être formé dans ce domaine, il faut être motivé », souligne le gérant en nous présentant quelques bénéficiaires.
Habillés et chaussés comme des travailleurs agricoles, une dizaine de jeunes s'affairent en cette matinée dans le jardin du foyer. Ils enlèvent les mauvaises herbes tout en taillant des arbustes décoratifs. Jetant un coup d'œil furtif en nous voyant arriver, ils retournent aussitôt à leur besogne. Avant de commencer leur journée, les jeunes élèves se chargent du « ménage ». Faire leurs lits, nettoyer, préparer à manger, s'occuper des tâches ménagères, tout en s'acquittant de leur devoirs de classe et leur TP. Leur emploi du temps quotidien est bien rempli. Au sein de l'école de Bayti, « indépendance et sens de la responsabilité» sont les mots d'ordre. D'ailleurs, les nouvelles « recrues» sont appelées à signer des contrats de formation avant d'être admises à la ferme. « C'est une réhabilitation totale. L'élève est préparé à revivre en société, à s'occuper de lui même et à honorer ses engagements », insiste cet ingénieur agronome converti en éducateur. Pour Nabil, 16 ans, originaire de Fès, le processus est déjà entamé. Habile et attaché aux vaches de la ferme, il a une grande préférence pour l'activité de l'élevage. « Le travail des champs m'a complètement changé de la ville. Ici j'apprends un métier et je vis une nouvelle vie », nous confie-t-il, l'air plutôt timide. Sa forte implication et son travail minutieux sont appréciés par ces encadrants. Pour Mustapha, technicien agricole chapeautant la section élevage, la formation à la ferme permet d'être polyvalent tout en permettant de développer certaines spécialités. Fier de l'exploitation qui ne cesse de se développer, le directeur nous montre les champs avec les différentes cultures pratiquées : agrumes, céréales, cultures potagères, cultures fourragères, apiculture… Les neuf hectares cultivables de la ferme représentent un laboratoire de travaux pratiques pour la soixantaine d'élèves. Si ces derniers sont majoritairement des garçons, les filles ne sont pas en reste.
« Elles représentent à peu près 10% des élèves. Mais, malgré leur nombre limité, l'approche genre reste primordiale. Nous avons commencé avec une seule fille, aujourd'hui nous en sommes à 6. Cinq ont déjà décroché leur diplôme et la sixième y arrivera dans quelques mois », ajoute le directeur non sans fierté. Explication de cette prévalence masculine ? « C'est juste une question d'adaptation qui se fait progressivement », répond-t-il. Lorsqu'il s'agit d'adaptation, ce n'est pas question uniquement de structure ou de moyens, les mentalités sont également concernées. Si la plupart des élèves arrivent à décrocher leurs diplômes au bout d'une formation qui dure de 18 mois à 3 ans, il arrive que certains abandonnent en cours de route. Les raisons ? « Nous avons enregistré trois abandons (deux garçons et une fille) pour des raisons socio-économiques. C'était plus fort qu'eux ! Leurs parents voulaient les rentabiliser au plus vite », regrette le directeur. Perçus comme des poules aux œufs d'or, ces malchanceux ont dû regagner le foyer parental dans la région d'Essaouira et à Khenifra. La rémunération perçue à la ferme pour les tâches accomplies par les élèves n'arrangeait nullement leurs tuteurs. « La rémunération varie selon la tâche. Ca peut aller de 10 à 25 DH l'heure. C'est une façon de cultiver l'indépendance financière des jeunes », détaille le gérant de la ferme. Organisation, respect des règles, discipline… rien n'est laissé au hasard dans cette école. Ainsi, pour éviter toute sorte de rechute (drogue, vol, ...), une loi interne rigoureuse a été élaborée par les élèves eux-mêmes. Représentés par une sorte de délégué, ils veillent personnellement à son respect et son application. « Un bon moyen d'auto-responsabilisation », insistent les éducateurs de la ferme Bayti.
Une ferme novatrice
Respectueuse de l'environnement, la ferme-école de Bayti dispose d'un réseau d'irrigation novateur. Mieux, elle est équipée d'un dispositif de traitement des eaux usées par bio-UV (ultra violet). Ouverte sur son environnement, cet établissement contribue activement au développement de la région en mettant son savoir-faire à la disposition des agriculteurs », nous explique Hassan Zaïm. De la rationalisation de la consommation d'eau aux formations aux nouvelles techniques d'irrigation en passant par l'utilisation rationnelle des engrais et des pesticides, la ferme s'ouvre sur les agriculteurs locaux et n'hésite pas à les soutenir. Même les jeunes souhaitant suivre une formation en agriculture sont les bienvenus. « Cela permet un véritable échange tout en participant à la réinsertion sociale de nos jeunes », argumente le responsable en désignant une ouverture improvisée par les jeunes du douar voisin sur le grillage du stade de foot de la ferme. Un espace de liberté où les différences, les frontières et le passé se dissipent pour laisser place à une ambiance bon enfant, loin de toutes sortes de préjugés.


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