Une fumée aromatisée aux fruits se dégage des lieux et gagne les narines. En entrant, une serveuse sortie directement d'un clip made in Rotana, nous souhaite une bienvenue douteuse. Nous sommes dans un café servant de la Chicha à Casa. « La consommation de la Chicha s'érige en problématique sociale qui touche de très près nos enfants. Il est constaté que des mineurs fréquentent ces lieux», déclare avec fermeté et un brin d paternalisme Mohammed Talbi, directeur des affaires économiques à la préfecture d'Ain Sbaâ-Hay Mohammadi. Seul hic, l'Etat et spécialement la wilaya du Grand Casablanca, n'est pas à sa première tentative d'interdiction de la consommation de la pipe à eau dans les lieux publics. Elle a publié déjà un arrêté le 22 septembre 2004 dans ce sens. La décision, prise pour « des raisons sanitaires » avait ravi ceux qui se plaignaient de l'odeur trop forte des émanations. Où en est on aujourd'hui ? La Chicha continue de faire le bonheur financier des proprios de ce genre de cafés. Et les accros s'y adonnent encore à cur joie. Mais le risque des fermetures plane et inquiète. Schizophrénie marocaine Retour à l'ambiance boucanée de notre café et son décor en salon oriental. Une clique de mineurs est assise en face de nous, ces ados dégagent des effluves fruitées de leurs gosiers, des mecs draguent une bande de filles au look de starlettes libanaises. Tous font semblant de regarder le banal match de foot projeté sur l'écran plasma sur fond de musique orientale, mais se concentrent plus sur leurs pipes. Dès qu'on demande à parler au gérant, le visage (trop) maquillé de notre serveuse se crispe. Après des tractations animées, le gérant se pointe à notre table, on lui demande son avis sur la polémique en cours. Après un long silence il lâche : « je ne comprends pas pourquoi les bars sont ouverts et protégés alors que nous, nous subissons une répression atroce». Schizophrénie marocaine quand tu nous tiens ! Mustapha Mostaghfir, Secrétaire Général du syndicat libre des commerçants et des professionnels reconnait que « la Chicha est un phénomène étranger à notre société ». Il dénonce néanmoins ce traitement en deux poids, deux mesures «continuer à fermer de façon aléatoire certains cafés et laisser la consommation libre dans les hôtels est une chose inacceptable». De son côté, le responsable de la préfecture d'Ain Sbaâ avance que « l'arrêté de la wilaya est une décision administrative claire et la réponse du ministre de l'Intérieur au Parlement à ce sujet, l'est encore plus.» Que la chasse à la Chicha commence donc A la préfecture Ain Sbaâ, 13 locaux ont été fermés. Ces lieux ont dû baisser le rideau pour de multiples raisons. En premier lieu, la consommation de chicha et puis pour manque d'hygiène, tapage nocturne ou fermeture tardive. Dans le centre-ville de Casa, 5 descentes ont eu lieu le mois dernier. « A chaque fois, des mineurs sont présents. Lors de la dernière descente 17 personnes ont été interpellées dont certains des homosexuelles. En plus nous avons trouvé 600 bouteilles de boissons gazeuses périmées » affirme Taj Eddine Khalil, le chef du 2ème arrondissement à Casa. « Les autorités avertissent le maître des lieux la 1ère fois ce dernier s'engage par écrit à ne plus accepter des comportements contraire à la loi dans son établissement, et en cas de récidive c'est la fermeture.» 1100 espaces servent de la Chicha à Casa. Ce chiffre reste difficilement vérifiable. « Le recensement de ces lieux est très difficile car tout simplement ils ne disposent pas d'autorisation spécifique » assure M. Talbi. D'un autre côté, si ces cafés existent encore, c'est qu'ils profitent des failles du système. « Pour que je puisse rester ouvert, je donne de l'argent à tout le monde. Qui est tout le monde ? Du moquadem au chef d'arrondissement, du policier de patrouille au commissaire » confie notre gérant, visiblement excédé. L'autre paradoxe dans ce dossier, c'est que le tabac spécial (maâssal) qui est consommé dans ces lieux est produit et distribué par Altadis, même que les chiffres de vente de ce produit ont augmenté 84,2 % en 2006. Donc, comment l'Etat veut-il interdire un produit commercialisé par une société dont il est actionnaire ?Mettons ça aussi sur le dos notre schizophrénie bien marocaine. La solution selon le responsable syndical serait «une loi qui autorise ou qui interdit la consommation de la Chicha.» Dans notre café, ces débats semblent bien loin. Les mineurs en face continuent à tirer sur l'embout du narguilé, des éclats de rires toujours forts brisent les discussions, tout ce beau monde commence à décoller !