Il y a à peine plus de deux ans, Romain Saïss (23 ans) évoluait encore chez lui, à Valence, en CFA 2. Aujourd'hui le milieu de terrain du Havre fait partie des talents les plus suivis de la Ligue 2. Une simple étape, sans aucun doute, pour un garçon aussi déterminé que réfléchi. Parfois, une carrière professionnelle peut se jouer à rien. Pour Romain Saïss, elle aurait pu se décider sur une roulette. 28 janvier 2012, Clermont reçoit Bastia, est réduit à dix, et Michel Der Zakarian décide de lancer dans le grand bain le joueur de 21 ans, arrivé six mois plus tôt de Valence (CFA 2 à l'époque). «Dès son premier ballon, il nous a fait une espèce de roulette-rateau entre deux adversaires devant notre surface, se rappelle Fabien Farnolle, le gardien clermontois. J'avais flippé ! Quand le ballon lui est arrivé, je lui ai crié de dégager. Il en a décidé autrement…» «C'était un peu osé, reconnaît l'intéressé dans un sourire. Quand j'ai revu l'action je me suis dit : ''Si ça n'était pas passé…'' Connaissant le coach et son caractère, je ne sais pas ce qui m'était passé par la tête. Je pense que si je l'avais ratée, je repartais en CFA 2 et je n'étais pas prêt de revoir le monde professionnel…» C'est finalement tout le contraire qui s'est produit, puisque Saïss s'est immédiatement imposé dans l'Auvergne, avant de confirmer depuis cet été au Havre, qu'il a rejoint après la fin de son contrat à Clermont.
Un choix qui a pu surprendre (l'Italie et la Ligue 1 lui faisaient notamment les yeux doux) mais qui correspond parfaitement au plan de carrière que s'est fixé celui qui n'a jamais connu de centre de formation et évoluait encore en DH à 18 ans. «Rester un an de plus en Ligue 2 ne me dérangeait pas si je venais dans un club comme Le Havre, qui a une histoire et est capable de jouer les premiers rôles. Je n'ai pas voulu brûler les étapes. Signer en Serie A ou en Ligue 1 pour faire banquette, ça ne m'intéressait pas.» Ce qui le bottait, en revanche, c'était de quitter la défense centrale pour retrouver le milieu de terrain, son poste de prédilection, en arrivant au HAC. «Il aime le contact, mais il a également un gros bagage technique, énumère Farnolle. Il allie bien les deux, avec un sang froid exceptionnel et un mental de gagnant. C'est un joueur complet, même si je pense qu'il doit prendre un peu de masse pour franchir un cap. Pour moi, il a clairement le niveau L1. Depuis deux ans, il fait partie des joueurs les plus surveillés de L2. Le Havre était le bon chemin à prendre pour sa progression. Mais je pense qu'il ne va pas y rester longtemps…»
De la DHR à la sélection marocaine L'ascension du jeune homme a été rapide. Elle aurait pu lui faire tourner la tête, mais ce n'est pas le genre de la maison. «Je me rends compte de la chance que j'ai. Plus jeune, on a tous le même rêve : devenir joueur professionnel. Moi, je me prenais trop la tête avec ça, puis j'ai pris de nouveau le foot comme un plaisir et ça m'a aidé à progresser. Je suis plus relâché, plus détendu.» Entre 17 et 21 ans, il joue donc pour le plaisir, chez lui, à l'AS Valence, aidant le club à remonter de DHR en CFA. C'est alors que Jean-Noël Cabezas, membre du staff du Clermont Foot, détecte son potentiel et le convainc de rejoindre l'Auvergne. «Je me dirigeais plutôt vers les études, sans chercher à percer, et quand Clermont est arrivé, je me suis dit que c'était la chance que je n'avais jamais eue. J'ai foncé.»Aujourd'hui, il savoure ce qu'il appelle lui-même une «revanche» «Au collège ou au lycée, tous mes profs me disaient : ''Travaille à l'école, tu ne seras jamais pro…'' Je me suis nourri de ça pour avancer, ça m'a forgé un mental. Aujourd'hui ils sont un peu surpris…» Mais Romain Saïss a parfois été lui-même dépassé par sa trajectoire. Notamment à l'automne 2012, lorsque ce fan du Barcelonais Sergio Busquets est devenu international marocain. «J'ai appris ma sélection en partant à Lyon récupérer mes papiers pour ma double nationalité. Sur le moment, j'ai dû crier de joie pendant une bonne dizaine de secondes, avant d'appeler toute ma famille… C'était trop d'émotions d'un coup. Je me retrouvais en équipe nationale du Maroc, c'était inespéré, incroyable, j'étais comme dans un rêve. Ç'a été une grande expérience. Et puis pour une première, jouer face à Emmanuel Adebayor, c'était un gros morceau ! Ça donne envie d'y retourner…» Plus appelé depuis, le numéro 6 havrais a un objectif clair : disputer la CAN 2015 à la maison : «Jouer devant le peuple marocain et une partie de ma famille, ce serait magique ! C'est dans un coin de ma tête, mais je ne veux pas me mettre trop de pression.» «Blesser un joueur n'est pas évident, alors un ancien coéquipier...» A seulement 23 ans, le natif de Bourg-de-Péage a donc déjà un parcours bien rempli. Cet été, Romain Saïss a également dû faire face aux premiers soubresauts de sa jeune carrière. Dès la 2e journée, il a retrouvé Clermont et, emporté par son envie, a gravement blessé son ancien partenaire Pierrick Capelle sur un tacle «maladroit». «Blesser un joueur n'est déjà pas évident, alors un ancien coéquipier... Durant les premiers jours, j'avais même du mal à m'entraîner, explique-t-il. Ç'a été dur pendant quelque temps.» Rattrapé par la commission de discipline, il a écopé de trois matches de suspension, purgés en septembre. «Mais ce qui l'a touché, c'est que les gens disent qu'il l'avait fait exprès. Il n'avait aucune mauvaise intention», assure son coéquipier Riyad Mahrez. Fabien Farnolle en est lui aussi convaincu : «C'était un geste malheureux, je suis sûr qu'il ne voulait pas lui faire mal. Le geste est vilain, pas l'intention. Je ne peux pas imaginer que c'était volontaire.»
Capelle, victime d'une rupture des ligaments croisés du genou, n'est pas du même avis. «Il m'en veut encore, regrette Saïss. Pourtant je me suis excusé à maintes reprises, auprès de lui, du coach, du président, du directeur sportif... Je le comprends, parce qu'il a été coupé dans son élan et sa progression. Mais à aucun moment je n'ai voulu lui casser la jambe comme j'ai pu le lire dans certains journaux.» Pour se défaire de l'étiquette de joueur dur qui pourrait le poursuivre, le milieu du HAC est bien décidé à (re)faire parler son talent. Dans sa nouvelle équipe, il est devenu incontournable aussi vite que dans la précédente. «Il apporte quelque chose en plus, il nous tire vers le haut», résume Mahrez. Et s'il faut mettre le pied, Romain Saïss n'hésitera pas. «Mais je préfère la roulette, quand même…»