Amine, 28 ans, jeune cadre, l'exemple même du jeune premier et du gendre modèle. Seul hic, il est fou de mangas. Cela pourrait ressembler au synopsis d'un film d'épouvante pour fiancée ou future belle mère ; mais rassurez vous, il s'agit de la réalité. De plus en plus de jeunes adultes retombent en enfance et cèdent à l'appel des histoires graphiques à forte concentration d'action ou de fiction. L'objet du crime est feuilleté le temps d'une navette Casa-Rabat ou, alors, est discrètement dissimulé entre l'étude financière de l'exercice 2010 et la liste des courses. Le coupable répond au doux nom de manga et sa frénésie n'a pas fini de faire des victimes. A l'heure ou les «Pif gadget», «Picsou Mag» et autres «Tintin» peinent à nous faire rêver au delà des premières hormones pré pubères, le manga réussi le tour de force de perdurer et garder une place de choix au sein de nos bibliothèques. Le mérite d'une telle longévité tient en une seule recette : un brin d'adaptabilité, quelques pincées d'exotisme nippon et surtout une bonne rasade d'effet de série hautement addictif. Là où les Bandes dessinées franco-belges et les comics américains se contentent de nous vendre un monde plus ou moins fantaisiste, le manga s'évertue à monter de toutes pièces des histoires qui évolueront en fonction de son lectorat. Un Japonais sur deux est un lecteur assidu de manga, avec ce qu'un lectorat aussi important implique comme variété culturelle, tranches d'âge et aspirations personnelles, le mangaka n'a de choix que de segmenter ses publications et proposer à chacun le manga qui lui convient. Shonen, Shojo, Seinen, josei… derrière ces noms barbares se cache une classification cartésienne des genres, par sexe, par sujets abordé et par public visé. Le cadre otaku Revenons à notre jeune cadre, lecteur en cachette de Naruto, Bleach et consorts. Il se procure généralement ses exemplaires auprès des librairies locales, les commande à l'étranger. Quand les finances se font rares, il va faire un tour du côté des sites scans (ces sites sont le plus souvent illégaux et leur présence ne peut être cautionnée que par l'absence d'une traduction officielle de certains mangas). Loin d'être un «adulescent» à la recherche d'un passeport pour l'enfance perdue, il affectionne les mangas pour leurs qualités scénaristiques et graphiques. Son enfance a été meublée d'épisodes de «Captain Majid», «Annamiro Al Moqannaâ» et «Sally». Il a été nourri aux versions animées, édulcorées par une traduction arabophone à forte teneur de messages moralisateurs et souvent aux antipodes des dialogues de la version originale. Lorsque ses finances et sa technologie lui permettent enfin de se réconcilier avec les personnages qui ont fait rêver ses pauses goûter devant l'ex-RTM et 2M, il découvre un univers différent. Au rythme des pages, il réalise le retard accumulé et surtout les lacunes scénaristiques dans lesquelles il a vécu. En véritable Otaku (version nipponne et plus honorifique du geek), il cherchera d'abord à revivre les aventures de son super-héros-footballeur préféré avant de tomber au hasard sur des noms tels que Akira Toriyama, Miyazaki ou Osamu Tezuka. Il parcourra alors les 42 tomes de Dragon Ball Z en environ trois jours de congé maladie, se pressera de réserver deux tickets pour la prochaine séance du Voyage de Chihiro et regardera d'un œil condescendant tous ceux qui croient dur comme fer que Disney détient la paternité légitime du Roi Lion. Une fois le rattrapage temporel effectué, le cadre-Otaku plongera dans les Shonen, mangas destinés aux jeunes garçons, il baignera dans des histoires matinées d'héroïc fantaisy, ou de science fiction. Si la variété des histoires Shonen approche de l'infini, elles gardent toujours pour dénominateur commun, une quête d'initiation qui mènera le héros vers l'âge adulte, tout en lui transmettant les valeurs d'honneur, de compassion et d'altruisme. Notre cadre-Otaku, une fois repu de manga pour jeunes premiers, pourra jeter son dévolu sur une branche plus mature de l'histoire dessinée japonaise. Communément appelé Seinen (littéralement manga pour jeunes hommes), ce type de manga offre généralement un trait graphique plus mature et des scenarii plus complexes. Les personnages sont souvent banalisés vis-à-vis de ce qui compte le plus : l'histoire. Le plus souvent, les sujets sont traités avec des angles plus réalistes et avec violence graphique ou psychologique. Il n'est pas rare que certains Seinen trempent dans le gore où l'érotique et les fins heureuses ne sont pas toujours au rendez-vous. Ici, il est question de traiter de guerre, de phénomènes de société relativement sérieux et d'ouvrir des portes autrement plus risquées pour un manga destiné aux jeunes. Du dessin adulte pour non adultes L'exemple type du Seinen est « Ikagami», de Motoro Mase. Une fable surréaliste où, afin de montrer à la population la valeur de la vie, chaque enfant reçoit dès son entrée à l'école primaire un vaccin. Parmi ces enfants, un sur mille reçoit un vaccin différent des autres car il contient une micro-capsule indétectable qui est capable de donner la mort à une date et heure précises. Entre leurs 18 et 24 ans, ce vaccin se met en route à la date programmée et ils reçoivent de la part d'un fonctionnaire l'ikigami, leur préavis de mort qui leur informe qu'il ne leur reste plus que 24 heures avant de mourir pour la nation. Une telle histoire ne pourrait pas résumer tout ce que le Seinen propose, mais elle constitue un bon exemple de la complexité des sujets abordés. En refermant son dernier manga, le cadre-Otaku aura plus l'impression d'avoir lu un roman ou regardé un film d'auteur que d'avoir feuilleté le «Gaston Lagaffe» de son enfance. Il pourra fièrement revendiquer d'avoir une littérature mature, ouverte variée et abordant la vie sous des angles sérieux, sans avoir à supporter la hantise des pavés de textes, ni à passer pour un jeune imberbe aux yeux de sa fiancée. Yassine Ahrar La petite histoire du manga L'origine du manga remonte à une époque assez lointaine. Le peintre Hokusai (1760-1849), est à l'origine du terme manga signifiant littéralement «image dérisoire» ou «dessin malhabile». Mais c'est Osamu Tezuka, le fondateur du petit robot Astro, qui a fixé après la Seconde Guerre Mondiale le style et les codes typiques du manga actuel. Un manga est d'abord publié en revue spécialisée et est presque toujours à ce stade dessiné en noir et blanc. Les meilleurs mangas sont ensuite publiés en volume . Ceux qui connaissent le meilleur tirage papier sont adaptés en série pour la télévision.