Les entreprises turques sont les principales gagnantes de l'accord de libre-échange entre Rabat et Ankara. A voir les derniers chiffres, le tissu économique marocain ne profite pas pleinement des dispositions de l'accord de libre-échange signé avec la Turquie. L'écart dans l'échange de produits manufacturés est très important. Alors que l'économie turque ne cesse de se développer sur le marché national, les entrepreneurs marocains peinent à percer dans un marché tourné vers l'Europe, et pour lequel, le royaume n'offre aucune valeur ajoutée. Du phosphate et des pantalons La majeure partie des exportations marocaines vers la Turquie restent, évidemment, constituées de matières premières et semi-finies. Les principaux produits détenant la part du lion de la demande turque sont les phosphates et l'acide phosphorique. Les produits de la confection représentent 17% du total des exportations marocaines vers la Turquie. «Ceci dit, ces exportations de produits textile ont tendance à se tasser vu la conjoncture mondiale, et l'agressivité d'autres marchés comme la Chine et la Turquie elle-même» explique un commerçant marocain. En effet, la Turquie a cet avantage sur le Maroc de disposer de larges ressources en matières premières dans le secteur du textile. D'ailleurs, 16% des importations marocaines provenant de la Turquie sont composées de matières textiles. Par exemple, en 2008, le Maroc a importé de Turquie près de 133 millions de dollars de matières et produits textiles et n'y a exporté que 43 millions de dollars. Sur cette dernière somme, les Turcs achètent pour quelque 9 millions de dollars de pantalons marocains. Umit SEZER, le conseiller commercial de l'Ambassade de Turquie à Rabat, note tout de même un petit changement en ce début 2010 : «Ca commence à changer. Par exemple lorsqu'on regarde les détails des exportations marocaines durant les trois premiers mois de cette année, dans les 76 millions de dollars, il y en a pour 11 millions de dollars de voitures Logan Diesel. On a aussi reçu des câbles pour 3 millions de dollars». Le reste, c'est principalement des phosphates. En cette période, c'est la hausse des exportations de l'OCP qui sauvent la mise. L'augmentation des exportations globales qui a atteint 6,5% a été jugée insuffisante par les professionnels. Durant la même période, les exportations d'un pays comme la Turquie ont progressé de deux chiffres. Triste sort ! On se rappelle les propos euphoriques de ce responsable de la CGEM : «De ce partenariat, il faut retenir en priorité que l'accès des produits marocains au marché turc est immédiat dès l'entrée en vigueur de l'accord !». Aujourd'hui, un économiste rétrorque : «avec seulement 5% des entreprises marocaines qui exportaient, il fallait aussi se demander ce qu'on allait vraiment exporter vers la Turquie !». Au début des années 2000, les Marocains étaient très ambitieux quant à l'ouverture des frontières commerciales. Signatures d'accords en série, prospection dans les marchés étrangers, recherche d'opportunités dans les pays les plus lointains. Le tout s'accompagnant d'une vague de plans de mise à niveau des secteurs économiques, notamment «Emergence» qui devait doter le Maroc d'une industrie mature et compétitive à l'international. Dans cet esprit, les accords de libre-échange comme celui du Maroc avec la Turquie avaient pour objectif d'accompagner le développement de l'économie et de l'industrie marocaines. Disproportion Les volumes d'échange ont évolué, certes, mais le taux de couverture reste le même, favorable à la Turquie. En 2009, les exportations marocaines vers la Turquie n'ont couvert que 39% des importations. Autre donnée, la Turquie y va plus rapidement quand il s'agit de diversifier son offre sur le marché marocain. Si le royaume n'exporte, en gros, que les phosphates et dérivés, les produits textiles, la ferraille, les débris de fonte, la Turquie, elle, couvre un bon nombre de secteurs. Le Maroc importe principalement du fer et de l'acier, destinés à l'industrie automobile. Et contrairement aux Marocains, les Turcs investissent massivement le Maroc. Le montant total des investissements turcs dans le secteur des BTP a dépassé les 1,3 milliards de dollars. La grande distribution turque connait également un grand essor avec l'arrivée de l'enseigne BIM avec 10 millions de dollars d'investissement. La Turquie est également présente en force en matière de mobilier pour particuliers et dans l'hôtellerie. Partout dans le monde où les turcs s'installent, ils laissent des traces. Ils sont visibles. «Ils ont le sens des affaires dans le sang» laisse entendre ce commerçant qui fait des affaires avec les turcs, et de rajouter «Ce sont des prédateurs, ils attaquent tous les marchés, et n'hésitent pas à y aller en force». Bref, à côté de la politique d'agressivité menée par les entrepreneurs turcs, la notre a tout l'air d'être prise à la légère. Les hommes d'affaires turcs profitent également de la puissance industrielle de leur pays. Le Maroc qui, dans toutes ses politiques, ambitionne de devenir un pôle multisectoriel dans la région, aura la lourde tâche d'affronter un grand adversaire. Omar Radi