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Malala Yousafzai, l'autre moitié de l'histoire musulmane | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 30 - 10 - 2012

Etant donné que mes cours et mes écrits traitent des femmes et du genre dans l'Islam, il arrive souvent que l'on me demande si les femmes ont joué un rôle quelconque dans la création de la tradition islamique. Je suis toujours heureuse de leur répondre oui. En effet, nombreuses sont les femmes à avoir occupé [...]
Malala Yousafzai a payé le prix fort pour sa position : elle se bat aujourd'hui pour survivre aux coups de balles infligés par les Talibans.
Etant donné que mes cours et mes écrits traitent des femmes et du genre dans l'Islam, il arrive souvent que l'on me demande si les femmes ont joué un rôle quelconque dans la création de la tradition islamique. Je suis toujours heureuse de leur répondre oui. En effet, nombreuses sont les femmes à avoir occupé une place importante à la naissance de l'Islam. Pour commencer, Aicha, la veuve du Prophète Mohamed, connue pour son érudition et son intelligence. Il est dit que le Prophète avait conseillé à ses disciples de « puiser la moitié de leur religion » dans les enseignements de sa femme Aicha – valorisant ainsi son savoir. Après la mort du Prophète, elle a consacré le restant de ses jours à transmettre les paroles de son défunt mari et à commenter le Coran. L'autorité de ses déclarations a déterminé ce qu'allait devenir la tradition juridique de l'Islam. La genèse de l'Islam, en particulier, est peuplée de femmes savantes, pieuses et faisant preuve de grande autorité, tout comme Aicha. Un autre nom qui vient à l'esprit est celui de Umm Umara et bien qu'elle ait été une compagne influente et admirée du Prophète Mohammed, son nom a sombré dans l'histoire au fil des siècles. Une des raisons possibles est que Umm Umara est décrite comme étant une femme « difficile » – elle posait beaucoup de questions et n'hésitait pas à manifester son mécontentement face à l'inégalité, plus particulièrement en matière des droits des femmes. Et pourtant, sa passion pour la justice et son franc-parler avaient bel et bien leur place au premier siècle de l'Islam. Les documents nous montrent que les femmes ont excellé dans les travaux religieux tout au long de la période Mamluk, à savoir aux XIVème et XVème siècles de notre ère. Ce fait n'est pas surprenant, car l'éducation est totalement garantie par l'Islam. Un des préceptes
Asma Afsaruddin
Professeure d'études islamiques à l'Université de Bloomington et éditrice de la Oxford Encyclopedia of Islam and Women, prévue
en 2013
bien connus du Prophète Mohammed rend la connaissance obligatoire, autant pour les hommes que pour les femmes – ce qui a permis qu'au cours des siècles, la gent féminine bénéficie d'une éducation au même titre que leurs homologues masculins. Les femmes savantes ont donc contribué à la composition du paysage intellectuel de l'Islam. Al-Shafii, célèbre juriste musulman du IXème siècle, que beaucoup considèrent comme le père de la jurisprudence islamique, tire ses connaissances de ses professeures. Ibn Hajar, autre juriste important du XVème siècle, reconnaît devoir une grande partie de son savoir à des professeures l'ayant accueilli dans leur cercle d'étude. Al-Sakhawi, étudiant d'Ibn Hajar, a consacré tout un volume de son encyclopédie biographique exclusivement aux célèbres femmes savantes de la période Mamluk. Parmi les 1057 femmes listées dans ce volume, plus de 400 étaient actives dans le domaine du savoir. C'est ce que montre l'exemple d'une femme se plaignant de n'être pas suffisamment rémunérée pour son enseignement (une revendication qui, sans doute, résonne terriblement aujourd'hui avec des femmes à travers le monde). Malheureusement, le souvenir de ces femmes accomplies s'est évanoui avec le temps. Les sociétés islamiques devenant plus patriarcales dès le premier siècle de l'Islam, beaucoup de les femmes ont été effacées du récit principal de l'histoire islamique, nous laissant l'impression que la tradition islamique a été principalement façonnée par les hommes. Cet effacement peut avoir de dangereuses conséquences, comme croire, à tort, que l'Islam exige la marginalisation de la femme. Le danger est réel – c'est ce que montre l'acte brutal et misogyne des Talibans contre l'indomptable Malala Yousafzai, âgée de 14 ans. Courageuse promotrice de l'éducation pour les femmes dans son Pakistan natal, Malala Yousafzai a payé le prix fort pour sa position : elle se bat aujourd'hui pour survivre aux coups de balles infligés par les Talibans. Son destin doit nous rappeler que le rôle joué par les femmes dans l'enseignement de l'Islam et dans le savoir doivent être mieux connus des musulmans. Il s'agit d'une nécessité qui permettra, à l'avenir, d'identifier immédiatement toute interprétation grotesque des droits des femmes par les Talibans – dans ce cas, une violation des principes fondamentaux de l'Islam, qui ne mérite pas même qu'on lui accorde le statut de légitimité religieuse. Le courage d'insister sur le besoin d'être entendue et sur l'importance du droit à l'éducation, Malala Yousafzai suit les pas des illustres ancêtres féminines qui ont marqué l'histoire depuis le premier siècle de l'Islam. Des femmes savantes, vaillantes et avec des principes ont grandement contribué à cet héritage. Ses tourments nous rappellent la nécessité de mettre en avant cet aspect de l'histoire et de redonner aux femmes une place majeure dans la tradition intellectuelle islamique. Ainsi, nous pourrons efficacement garder à l'écart des sociétés majoritairement musulmanes l'obscurantisme religieux, et plus particulièrement celui qui menace le bien-être des jeunes filles et des femmes musulmanes.
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