Mahmoud Lemseffer, conseiller artistique et chargé de la programmation orientale de « Mawazine Rythmes du Monde », nous éclaire sur cet éclectisme arabe qui déferlera sur les scènes de la capitale, du 18 au 26 mai 2012. Selon Mahmoud Lemseffer : « La part de la chanson marocaine dans la programmation a augmenté jusqu'à 52 pour cent ». Une mixité de culture orientale, vivier du festival, marquera les trois scènes arabes de cette 11e édition, la scène Bahnini, Nahda et Salé où un éventail d'artistes venant des pays du Golfe, du Levant, d'Afrique du Nord et du Maghreb se produiront. Le cru local est plus dense que jamais, et représente 52 pour cent de la programmation globale. Mahmoud Lemseffer nous éclaire sur la diversité de la chanson orientale, emblématique de cette grand-messe de la musique. Quels sont les critères de la programmation des chanteurs orientaux. Est-ce la proximité ou l'engouement du public marocain? Nous essayons de jongler entre la demande du public et la performance des artistes, et entre artistes de grade A et de grade B. L'affluence du public sur les scènes arabes nous oblige à inviter le meilleur. Les fans qui voient leurs idoles à la télévision sont contents d'assister à leurs concerts gratuitement. Dans le monde arabe, les artistes de grade A sont plus au Liban et en Egypte, parce qu'ils ont un niveau de promotion très élevé, et sont présents massivement dans d'autres festivals. Ils ont une production annuelle importante, un ou deux albums par an, en moyenne. Et quand certains reviennent dans notre festival tous les deux ou trois ans, ils ont en général quatre ou cinq albums à présenter à leur public marocain. Nancy Ajram par exemple est une icône arabe qui a une forte assise. Elle s'est produite à Mawazine il y a 5 ans, et a signé une poignée de chansons depuis. Il y a peu d'engouement pour la fusion – ou musique de jeunes – au Maroc, versus le chaâbi et la musique populaire. Comment contournez-vous ceci ? Il est de notre devoir d'aider les jeunes talents, de les programmer tous les deux ou trois ans, et de leur octroyer une présence, tels que les jeunes de Génération Mawazine ou ceux de Star Academy. Nous sommes un laboratoire musical, et nous optons pour une mosaïque des couleurs, une diversité de scène, de la chanson amazighe au hassani, au chaâbi, à la taktouka chamaliya, à la fusion, et nous accompagnons les artistes tout au long de leur carrière, jeunes et confirmés. La scène chaâbi, par exemple, n'existe plus, elle a été fusionnée avec la scène marocaine, sans toutefois porter atteinte à la part de la chanson marocaine, qui a augmenté jusqu'à 52 pour cent. Pourquoi n'y a-t-il pas de fusion entre jeunes chanteurs de pop marocaine et anciens de la musique classique ? Nous avons déjà réalisé des créations musicales entre Nass el Ghiwane et Safy Boutella l'année dernière, et dont le CD sort bientôt. Cette année, le public assistera à un duo entre le chanteur et compositeur libanais Merwann Khoury et la chanteuse marocaine Karima Skalli, qui se produiront en soirée d'ouverture. Il est vrai qu'il faut multiplier ce genre d'initiatives, qui consiste à demander aux anciens de parrainer de jeunes chanteurs, mais l'essentiel est de trouver les bonnes formules. Pensez-vous que la jeunesse montante a trouvé son identité musicale, entre musique du patrimoine et sonorités modernes? Ce n'est pas chose facile. La chanson marocaine n'est plus ce qu'elle était auparavant, et l'absence de la chanson de l'âge d'or est désolante. Nous avons quelques talents actuellement qui sont de vrais créateurs et qui ont amené une nouvelle résonance, en mixant entre le nouveau et l'ancien, et c'est louable, mais nous sommes toujours en période de gestation. C'est la période inerte de la chanson marocaine. Quelle en est la raison ? La production au Maroc est chancelante, et les gens du métier ne discernent pas entre organisation et production. La démarche de production englobe un processus à long terme, une stratégie et une gestion pointues qui doivent accompagner une vraie carrière. Je me souviens qu'un grand producteur arabe m'avait dit que les capacités au Maroc sont d'une extraordinaire qualité, mais pâtissent d'un marketing défaillant. Contrairement au Liban, par exemple, où les potentialités ne sont pas souvent à la hauteur mais où la promotion est d'une grande efficacité. Le public marocain n'est pas habitué à payer pour les festivals de musique. Que pensez-vous de ce phénomène ? Les gens pensent que la culture est gratuite, alors que ce n'est pas le cas. Mawazine est à 98 % gratuit, alors que le festival de Carthage en Tunisie est un festival payant, depuis 47 années. Dans les autres pays arabes, cette démarche est ancrée, contrairement au Maroc où la gratuité est installée depuis l'époque de « Sahrat el Akalim » (soirée des provinces) il y a une vingtaine d'années. Nous avons hérité de la gratuité de la culture.