Le corps humain est un élément moteur de votre recherche. Pourtant votre trait a évolué, du figuratif à l'abstrait. Oui, mes premières expositions montraient des formes plus nettes, ma peinture était plus chargée et incorporait plus de détails, et je travaillais la notion de la répétition et des psalmodies. Le corps était en blanc et habillé de jellaba, maintenant il est noir et dénué de forme. Je peignais des scènes de danse, de rituels arabes où les couleurs éclatantes ressemblaient à celles du zellige, jusqu'à récemment où ma peinture s'est mue en une peinture plus simple. « Figures entrelacées » font-elles donc référence à ces rituels de transe soufie ou gnaouie? Elle font référence aux cercles qui sont emblématiques du patrimoine arabe, comme le turban soufi, les mouvements circulaires des transes gnaouies, les cercles des soufis, ou encore le patio des maisons traditionnelles. Les cercles sont représentatifs de plusieurs danses populaires, comme la Ghiyata, sorte de danse à la fois festive et belligérante que les hommes dansaient du temps de la résistance. Cette danse consiste à tenir des fusils, des tambours et la « ghitta » (sorte de flûte) et finit par une ronde où les hommes tirent en direction du sol. Il y aussi une forme d'élévation et de célébration, par le biais du corps. Est-ce en rapport avec le soufisme ? Certes. Les grandes figures soufies prônaient l'élévation par le corps et la fusion avec Dieu, et la concentration qui mène à l'élévation. Le grand penseur Al Hallaj, par exemple, été condamné à mort parce qu'on ne comprenait pas sa poésie, «Et maintenant je suis Toi-même. Ton existence c'est la mienne et c'est aussi mon vouloir ». C'est comme la musique des Issawa où le rythme mène à un degré d'oubli de soi. Pourtant, certains corps semblent être en souffrance, d'autres absents, et d'autres festifs. Quand je travaille, je ne me concentre pas sur l'état des corps ou leurs formes. Mon trait est spontané et je travaille au hasard. Les taches noires, la gestuelle et la superposition de couleurs forment mes silhouettes. Il y a de l'attente, de la contemplation, de la danse, de la célébration, il y a même de la calligraphie, mais ce n'est pas forcément réfléchi. Certains diraient que les corps se bagarrent, ou appellent les esprits, ou souffrent. Je n'en sais rien. La figuration est normalement un processus planifié, alors que l'abstraction relève de l'aventure. Après c'est de l'intprétation. Un tableau se touche avec les yeux. Pourquoi le noir prime-t-il dans vos œuvres ? Le noir est une couleur attachée aux coutumes et aux rituels de l'Afrique, aux transes africaines, à la jungle et au masque du continent noir. C'est aussi une partie de la culture soufie, et représente le noir des gnaouis. Les gnaouis dansent en s'habillant de différentes couleurs, et chaque couleur représente un rythme particulier. Le noir représente les rythmes les plus effrénés, la transe. Quelle est la part des formes géométriques et de la calligraphie dans vos œuvres ? Les formes géométriques c'est pour créeer l'équilibre, et la calligraphie se crée instinctivement, dès lors que les silhouettes sont tracées. Je fais beaucoup de recherches sur la composition en amont, mais mon trait reste spontané. Le plus difficile, dans le processus de création, c'est le début et la fin de l'œuvre, l'instant où on se lance dans la création, ou celui où l'on se dit « c'est fini, je ne rajoute plus rien ». A la galerie Amadeus, jusqu'au 17 mai.