La vallée de Drâa est en péril. Ses ressources naturelles se détériorent, à travers la dégradation des oasis, la raréfaction des ressources hydriques et l'avancée du désert. « Le sable gagne du terrain, l'eau manque dans les nappes phréatiques et les tempêtes sont plus fréquentes », témoigne Ibrahim Sbai, acteur associatif à Mhamid el Ghizlane. Autant de changements, causés par les activités anthropiques et les changements climatiques, dont les habitants de la région pâtissent. Confrontés à un environnement qui se dégrade, certains d'entre eux migrent vers les grandes villes, ne disposant plus des ressources nécessaires pour vivre. « Ce sont principalement les jeunes, et surtout les jeunes dynamiques, qui ne peuvent plus vivre, qui partent. C'est une vraie perte pour la région », estime Halim Sbai, président de l'association Zaila. Cette dégradation du milieu naturel et ses lourdes conséquences ont largement été évoquées à l'occasion du Forum sur le tourisme durable, organisé à Zagora, du 29 mars au 1er avril. A cette occasion, élus, associations et travailleurs de la région ont tiré la sonnette d'alarme et appelé à une prise de conscience des enjeux environnementaux au plus vite. La faune menacée Plusieurs espèces sont en voie de disparition dans la vallée de Drâa. Selon l'association Zaila, qui œuvre pour l'environnement à Mhamid, la disparition de certains espèces, telles que les gazelles, les outardes ou les fennecs, est due, en grande partie, à la chasse des touristes du Golfe. « Le désert est une zone de non-droit, la réglementation sur la chasse n'est pas appliquée », dénonce Halim Sbai. Du côté de la Délégation régionale des eaux et forêts, le son de cloche est bien différent, et les responsables nous affirment que la loi de 1923 est bien appliquée, conformément à l'arrêté annuel qui prévoit la période de chasse. « Bien sûr que nous contrôlons ! Appelez-moi quand vous trouverez un saoudien qui chasse la gazelle » nous répond Youssef Amzil, responsable des eaux et forêts à Mhamid, avant de concéder « C'est vrai que c'est difficile de contrôler dans le désert tout de même ». Selon Ahmed Berda, responsable des eaux et forêts à Zagora, aucune infraction n'a été verbalisée l'année dernière. Un zéro faute des chasseurs, vraiment ? Le bayoud décime les palmeraies Le danger majeur réside dans la dégradation des oasis, avec la disparition progressive des palmiers dattiers. « Au début du XXe siècle, le bassin du Drâa comptait presque 5.5 millions de palmiers dattiers, ils ne sont aujourd'hui que 2.4 millions », indique au Soir-échos, Jamal Akchbal, Président de l'association « Les amis de l'environnement ». Or le palmier dattier est source de vie dans l'oasis. Outre sa position clé dans l'écosystème oasien, protégeant du vent et de l'avancée du désert, cet arbre assure également un rôle social et économique. Outre sa production de dattes que les habitants exploitent, le palmier dattier crée un micro-climat favorable au développement de cultures annexes (céréales, fourrages,etc). L'une des raisons de la régression des palmeraies est le bayoud, un champignon du sol qui affecte les meilleures variétés. « C'est une sorte de cancer qui tue chaque année 5 % des palmiers dattiers », estime Adil Moumane, professeur de biologie à Zagora, membre des «Amis de l'environnement ». Pour lutter contre ce champignon, l'INRA a trouvé des variétés résistantes au bayoud et encourage les habitants à planter ce type de palmiers. Une solution en cours de mise en œuvre. Mais outre le bayoud, les oasis ont été victimes pendant plusieurs années de l'arrachage des palmiers. « Des mafias exploitaient la sécheresse et la pauvreté des paysans, achetant les palmiers à 150 dirhams pour les revendre comme décoration dans les grandes villes », raconte Jamal Akchbal. Ce phénomène était surtout criant entre 2000 et 2005, mais depuis, la loi 01-06 sur la sauvegarde de palmeraies a permis de réduire ce phénomène de brigandage. La pastèque intensifiela pénurie d'eau Un «cimetière» de palmiers près de Amezrou, décimés par le bayoud, un champignon du sol qui attaque les meilleures variétés. Le deuxième défi de la région, qui cause notamment la disparition des palmiers, est la pénurie d'eau. « La sécheresse est un problème structurel qui tue chaque année des centaines de palmiers dattiers », constate Jamal Akchbal. Les précipitations se limitent actuellement à 70 mm par an, soit une pluviométrie largement insuffisante pour alimenter les nappes phréatiques. Dans ce contexte de stress hydrique, les ressources sont surexploitées, ce qui a comme conséquence d'augmenter la salinité de l'eau, empêchant son pompage par les palmiers. Selon l'association « Les Amis de l'environnement », c'est également la culture d'un nouveau fruit dans la région, la pastèque, très demandeuse d'eau, qui a entraîné depuis 5 ans une surexploitation des ressources. « Le problème de la rareté de l'eau est lié à l'absence de stratégie pour une agriculture durable », résume Jamal Akchbal. Pour ce problème de taille, plusieurs techniques pourraient être envisagées selon lui : la mise en place de barrages pour collecter l'eau de pluie et de nouvelles méthodes d'irrigation, ainsi que le traitement des eaux usées. Le désert gagne du terrain En raison de la disparition des palmiers dattiers, rempart contre l'ensablement, et du changement climatique, le désert gagne du terrain. Environ 100 hectares par an sont envahis par le désert, au détriment des terres agricoles. « La fixation des dunes est l'objectif principal de Drâa. A Mhamid el Ghizlane, nous reboisons 30 hectares par an, en installant des barrières mécaniques et biologiques », explique au Soir échos Youssef Amzil, responsable des Eaux et Forêts à Mhamid. Pour lutter contre la désertification, la méthode est d'installer des barrières mécaniques, composées de palmes entrelacées, tout en reboisant à l'intérieur par l'implantation d'acacia radiana et tamarix afila. Ces deux espèces permettent de fixer les dunes, en changeant la constitution du sol. Si pour chaque problème environnemental une solution existe, sa mise en place reste souvent limitée. « Il est urgent de réfléchir ensemble, au niveau des populations locales, des autorités et des touristes pour arriver à une solution durable. C'est presque déjà trop tard », alarme Ibrahim Sbai. Pour son frère, Halim, l'absence de solutions s'explique, en partie, par la corruption qui règne dans la région. « Les palmiers peuvent s'adapter à un milieu aride, mais ils ne peuvent pas faire face à la corruption et la sécheresse des cœurs, qui remplissent les poches », dénonce-t-il avec véhémence. Pour le moment, la vallée du Drâa connait plus de problèmes locaux que de solutions globales. Un solide tissu associatif, épaulé par quelques institutions, travaille activement à sensibiliser la population et mener des actions dans la région. Mais tous sont unanimes : faute de moyens et de soutien, leur travail ne sauvera pas la région du péril environnemental qui la guette. Tourisme et écologie Organisé à Zagora du 29 mars au 1er avril, le Forum sur le tourisme durable a posé la question de l'impact des activités touristiques sur l'environnement. « L'équation entre la préservation de l'environnement et l'approche économique est complexe », a souligné Ahmed Chahid, président du Conseil provincial du tourisme de Zagora. Dans le cas de la palmeraie de Mhamid el Ghizlane par exemple, dernier oasis avant le désert, « le tourisme s'est développé de manière non organisée, impactant l'écosystème », estime Aziz Bentaleb, chercheur à l'IRCAM. Un constat que partage Najib Abdelwahab, président de l'Association des guides touristiques de Zagora, qui regrette le peu de réglementation du secteur. Après le passage des touristes, de nombreux déchets solides sont laissés sur le site. « Le produit touristique désertique risque d'en souffrir à long terme », alerte Najib Abdelwahab. Pour Halim Sbai, de l'association Zaila, basée à Mhamid, ces problèmes environnementaux ne sont pas pris en compte par les autorités qui délaissent la région. Il dénonce ainsi un « dialogue de sourd ». « L'environnement se dégrade. Tout le monde voit le changement, mais ils attendent », insiste son frère, Ibrahim Sbai. De plus, en véhiculant la société de consommation, le tourisme entraine également un changement de mode de vie et l'oubli de certains savoir-faire et traditions, qui jadis, participaient à la protection du milieu naturel.