Le soufisme est cette quête en Islam d'une spiritualité pure connue pour sa tolérance. Le Maroc, terre de brassages et de passages a une longue tradition soufie. Afin de mieux la connaître, nous vous donnons rendez-vous chaque semaine pour en exploiter quelques facettes. Parler des débuts de soufisme au Maroc c'est rappeler ces formes d'organisations liées au groupe ou « tâifa » et au « ribât », ce lieu de rassemblement d'ascètes et de combattants pour la foi. Dans les études historiques on a souvent distingué entre le Maghreb, pays des saints et l'Orient, pays des prophètes. L'organisation confrérique n'est apparue au Maroc qu'avec la confrérie shâdhiliyya au XIIIe siècle et surtout avec l'émergence de la confrérie nationale qui est la Jazûliyya aux XIV-XVe siècles. Le soufisme est devenu depuis cette période un phénomène de société lié à une crise politique et économique ainsi qu' à des bouleversements sociaux et humains durables. Le Maroc connaissait les manifestations locales des luttes entre les tribus et les pouvoirs locaux qui s'établissaient dans ces lieux de trouble et d'insécurité. Le pouvoir central était trop faible pour exercer la moindre influence sur ces contrées - surtout dans le Sud - qui lui échappaient totalement. C'était le cas pour l'ensemble du Maroc dans cette période de transition entre la fin de la dynastie mérinide et l'apparition des Saâdiens. Si les mouvements mystiques se sont répandus dans le Nord du Maroc , ce n'est qu'à la fin du XVe siècle que le sacré allait apparaître, dans les oasis, comme un recours auquel individus et collectivités faisaient appel pour se protéger des malheurs de temps dramatiquement incertains. C'est un mouvement profond, inspiré du grand mystique El Jazouli mort en 1463, qui allait marquer la société marocaine dans ses fondements les plus existentiels. En effet, rares étaient les saints au XVe siècle, à une exception près, celle de la zaouia des saints d'Aqqa, qui jouaient un rôle d'arbitre entre les différentes factions tribales, coalitions qui ne se formaient pas systématiquement sur une base ethnique, impliquant toutes les composantes de la société : bédouins, berbères, noirs, paysans sédentaires ou nomades. La zaouia d'Aqqa procédait à l'établissement de trêves de courtes durées, pendant lesquelles le port d'armes était interdit et la circulation des hommes et des produits non entravée. Sidi Ouissaâdine El Moubarek joua un rôle essentiel dans la pacification du Bani central, non loin de l'ancienne cité de Tamedoult, en réconciliant les adversaires. Ce qui donna une notoriété remarquable à cette zaouia d'Aqqa, dont l'Oasis devint prospère, attirant à elle des populations désirant vivre dans le calme et la paix à l'ombre de la sainteté. Ce rôle d'intermédiaire et d'arbitrage allait se généraliser aux zaouias naissantes, comme celle de la Nasiriyya ou encore la Wazânia et la Sharqâwia à partir du XVI siècle. La zaouia Dilâ' dans l'actuel village de Aït Ishâq a pris une autre direction puisqu'elle s'est emparée du pouvoir politique avec le déclin de la dynastie saâdienne et les débuts de l'émergence du pouvoir alaouite dans l'oasis du Tafilalt. Le mode d'organisation des zaouias et confréries ainsi que les liens de solidarité et de luttes ne sont pas les seuls à être derrière la consolidation des rôles des saints. D'autres événements avaient cependant contribué à l'expansion d'un mysticisme, espèce d'antidote à la double menace qui pesait sur la société : l'effondrement de l'ordre étatique à la fin de la dynastie mérinide, aggravé par l'extrême faiblesse de leurs successeurs, les Wattassides d'une part, et la menace extérieure, à la fois espagnole et portugaise plus particulièrement sur les côtes du Souss, d'autre part. Les premiers étaient déjà installés dans l'oued Noun à Tagaost, les seconds intervenaient à partir d'Agadir en armant quelques chefs tribaux qui étendaient leur autorité jusqu'au Draa oriental. Ce mouvement spirituel entendait répondre à ces deux menaces pour la société, en dépassant les clivages et les conflits entre les tribus, quelle que fût leur ethnie, en les mobilisant sur un même registre religieux qui ne pouvait que gagner les cœurs et établir la paix et la concorde dans les esprits. Le mode d'organisation des zaouias et confréries ainsi que les liens de solidarité et de luttes ne sont pas les seuls à être derrière la consolidation des rôles des saints. Parallèlement à la recherche de cet objectif, les zaouias créées au XVIe siècle, se tenaient éloignées de toute velléité de conquête d'un pouvoir temporel, n'accordant aucun prix aux richesses de ce monde. Il en était ainsi de la zaouia d'Aqqa, comme plus tard de la zaouia de Sidi Hmad ou Moussa qui s'implanta dans le Tazaroualt, aux lisières nord ouest de l'Anti Atlas au début du XVIe siècle et dont l'influence se fera sentir jusqu'au début du XXe siècle. Le mouvement soufi était parti en fait du Souss, qui vit naître le grand mystique M'hamed Ben Souleimane Al Jazouli, adepte de la Chadhiliyya et fondateur de la Tariqa (la voie) Jazouliya et qui allait marquer l'histoire du pays comme un qotb, un grand maître soufi, dont les enseignements avaient eu une influence déterminante sur le soufisme au Maroc et un animateur du iihad pour la défense du pays contre les menées portugaises et espagnoles. Ainsi, de Aqqa à l'oued Massa, en passant par la zouia de Tazaroualt, la rénovation religieuse ne tarda pas à se répandre dans le reste du pays. Les remontées des courants mystiques du pays des oasis allaient devenir structurelles dans les événements façonnant l'histoire du Maroc. A partir de ces contrées arides, leur influence se répandait partout, de l'Orient au Sahara, et au-delà en Afrique noire. Le commerce caravanier ne transportait pas que des produits matériels, il était également vecteur de valeurs culturelles, intellectuelles et spirituelles. Cependant, le soufisme de rédempteur des âmes et d'adjuvant des énergies pour la défense du pays, devint pendant le XVI et XVIIe siècles, l'un des vecteurs du renouvellement des structures de l'Etat comme nous le verrons la semaine prochaine… Jillali El Adnani Jillali El Adnani, né en 1966 à Tiflet, docteur en histoire de l'Université de Provence, Aix-En-Provence, est chercheur-associé à l'Iremam d'Aix-en-Provence et ancien fellow au Wissencshaftslolleg de Berlin. Il est l'auteur de La Tijâniyya, 1781-1881, les origines d'une confrérie religieuse au Maroc aux éditions Marsam. Jillali El Adnani Merci monsieur Jillali El Adnani pour cet article. Vous élevez le débat et la vision musulmane de notre pays. C'est un plaisir. Continuer sur cette voie…Merci