Le Dr. Abdellah Ouardini, pédopsychiatre, membre du groupe psychanalytique Tiers et membre fondateur de la Société marocaine de pédopsychiatrie et professions associées (SMPPA) revient, dans cet entretien, sur la complexité de la relation entre les enfants autistes et leurs parents. Le Dr. Abdellah Ouardini, pédopsychiatre, membre du groupe psychanalytique Tiers et membre fondateur de la Société marocaine de pédopsychiatrie et professions associées (SMPPA) revient, dans cet entretien, sur la complexité de la relation entre les enfants autistes et leurs parents. Comment annonce-t-on aux parents que leur enfant souffre d'autisme ? L'annonce de l'autisme, c'est-à-dire du diagnostic, est un moment capital. On ne peut pas s'y prendre n'importe comment, il y a une manière et un cadre précis de le faire car l'annonce, c'est le début d'un long chemin. On ne peut pas annoncer aux parents un diagnostic aussi lourd que l'autisme et les lâcher dans la nature, il faut les accompagner. L'autisme met en difficulté et l'enfant et sa famille ; il compromet l'avenir de l'enfant et suscite chez les parents plusieurs questions : est-ce que mon fils pourra aller à l'école ? Est-ce qu'il pourra apprendre comme les autres ? Schématiquement, quand les parents vont chez le pédopsychiatre, ils sont envoyés par quelqu'un, ils ont d'ores et déjà des idées sur l'état de leur enfant. En fait, ils viennent chez le spécialiste pour la confirmation d'un diagnostic qui a été fait ou à moitié ou avec des doutes parce qu'on a vu une émission ou entendu quelque chose… Il existe toujours un laps de temps entre ce que les parents ont soupçonné et la confirmation du diagnostic par le pédopsychiatre. C'est une période de grande angoisse chez les parents qui chercheront à comprendre en allant sur Internet. Mais sur la Toile, ils trouveront un tas d'informations qu'ils ne peuvent pas gérer seuls : tests à faire, des adresses d'associations, des vérifications… Le diagnostic du pédopsychiatre, c'est d'accueillir tout cela : l'angoisse, les informations préétablies et surtout l'enfant. Quel est alors le rôle du pédopsychiatre ? Dans un premier temps, ce spécialiste fait abstraction de tout pour se focaliser uniquement sur l'observation de l'enfant au cours de plusieurs séances. Par la suite, le diagnostic pédopsychiatrique peut être établi avec précision. Le pédopsychiatre doit alors l'expliquer aux parents, dont la présence, tous deux, est primordiale dans cette étape. L'annonce doit se faire de manière claire, sans détours et sans dramatisation non plus parce que les parents sont parfois tellement angoissés qu'il leur arrive de jeter le bébé avec l'eau du bain. Le pédopsychiatre fait son annonce en prenant en compte l'état psychologique des parents et pour leur apporter des éléments nécessaires : expliquer la maladie, ses risques par rapport à l'apprentissage, au développement de l'enfant et sa capacité de s'intégrer, etc. En même temps, le pédopsychiatre propose des solutions, en aiguillant les parents vers les adresses qu'il faut pour, par exemple, la rééducation spécifique de l'enfant, son inscription dans une crèche spécialisée. Après le diagnostic s'amorce le long chemin de la prise en charge de l'autisme. Quel en est l'impact sur les parents ? Le diagnostic est un coup d'assommoir pour les parents. Je vois dans leurs yeux un tremblement de terre, alors comment voulez-vous qu'ils assimilent toutes les informations qu'on leur donne? Ce que le pédopsychiatre doit faire du point de vue accompagnement s'effectue progressivement et non d'un seul coup. Il faut donner aux parents le temps de métaboliser le choc, de l'assimiler avant de commencer avec eux le projet de soin qui, très souvent, dure toute une vie. Mais, il ne faut être ni fataliste ni dramatiser la situation, car depuis quelques années, on voit arriver chez nous, des enfants de plus en plus jeunes. A un âge précoce, 2 ans ou 3 ans, la prise en charge est plus efficace, et cela conforte un peu les parents, les encourage dans le processus d'accompagnement de leur enfant. Dans les grandes villes, la famille se nucléarise et l'enfant y devient précieux, objet de beaucoup d'attention. Les jeunes mamans sont plus attentives aux besoins de leur enfant notamment en matière d'éveil et de psychomotricité. Il y a incontestablement un lien entre le fait que nous ayons des patients de plus en plus jeunes et le changement de comportement des parents vis-à-vis de l'éducation de leurs enfants. Pour le pédopsychiatre, c'est essentiel, car l'autisme se manifeste par un ensemble de troubles qui touchent l'enfant très jeune, au moment même où le bébé arrive au monde. Mais ces troubles n'apparaissent qu'à la fin de la première année, lorsque les parents constatent que leur enfant ne parle pas. Il ne communique pas à l'âge où il faudrait qu'il le fasse. Quel impact suscite le projet de soin de l'autisme sur une famille ? Il est certain qu'il va y avoir des remaniements profonds d'abord au niveau de la personnalité des parents qui doivent faire face à cette blessure narcissique : « Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un enfant autiste ? ». Pour dépasser cette question, continuer à se battre, il y a tout un travail à faire. Certains parents sont plus fragiles que d'autres : des couples souffrent, d'autres se séparent ou s'enferment sur eux-même de manière autistique en miroir de l'état de leur enfant. C'est pour cela qu'il est capital d'avoir un bon accompagnement pas seulement médical, mais aussi social, familial et que l'Etat fasse le nécessaire : éducateurs spécialisés, crèches, espaces. Il faut que les parents puissent avoir une prise sur quelque chose. L'intégration de l'enfant autiste en soi est thérapeutique. Et plus il s'intègre,plus il peut aller plus loin dans sa scolarité (collège, lycée et université). Actuellement, on parle de troubles du spectre autistique. Schématiquement, il y a des enfants qui ont un bon niveau intellectuel : autistes de haut niveau. Parmi eux les « Aspergers », surdoués dans un domaine précis. J'en connais quelques uns qui ont obtenu leur baccalauréat et suivent leurs études à l'université, mais toujours avec des aménagements et l'accompagnement des parents. Comment peut-on définir un bon accompagnement ? Un bon accompagnement commence dès le diagnostic et se poursuit jusqu'à la fin. A chaque difficulté, il faut leur proposer des solutions adaptées pour les aider à continuer. Et il n'y a pas que les difficultés inhérentes à la maladie, mais d'autres matérielles, ou liées au manque de personnel. Si j'avais un message à transmettre, ce serait celui de former des psychologues, des psychomotriciens, des orthophonistes spécialisés. Des associations effectuent des formations mais le gouvernement doit s'engager dans la formation de ce personnel en l'envoyant à l'étranger. Mon second message, ce sera d'appeler à la création, au niveau des région, de structures intermédiaires «des centres ressources» où les enfants autistes pourront profiter de soins précis. Les parents pourraient ainsi y être orientés dès que les signes de l'autisme se manifesteraient afin d'éviter la perte de temps. Pour vérifier l'audition, l'intégrité du tissu cérébral, l'aspect génétique et métabolique, il faut compter à peu près entre 25 et 30.000dirhams. Il faut que les associations, les mutuelles, le gouvernement soient mobilisés pour alléger ce fardeau aux familles. Lorsque les parents ont les moyens, ils vont à l'étranger. S'il y a une pathologie qui ne supporte pas l'exclusion, c'est l'autisme. Ailleurs, le diagnostic a plus de légitimité parce qu'il est pluridisciplinaire. Le taux de prévalence de l'autisme est d'un enfant sur 500, donc au Maroc, on a entre 30 000 et 40 000 enfants, sinon plus. Et nous assistons à une recrudescence due peut-être aux changements de l'environnement dans le monde entier. Si un enfant autiste n'est pas pris en charge, il sera limité à tous les niveaux, ce sera une personne profondément handicapée, marginalisée socialement et une charge énorme pour sa famille.