Michel Petit, ancien cadre à la Banque Mondiale, revient pour le Soir échos sur la question centrale du financement agricole en Afrique. Entretien avec un expert des questions agricoles, professeur associé à l'Institut agronomique méditerranéen de Montpellier. Vous avez été cadre à la Banque Mondiale pendant 10 ans, de 1988 à 1998. Quel regard portez-vous sur l'action menée par cet organisme ? La Banque Mondiale n'a malheureusement pas pratiqué ce qu'elle a prêché pendant longtemps. Lorsque j'étais directeur du département Agriculture, les documents officiels soulignaient le rôle de l'agriculture et l'importance de son rôle dans le financement du développement. Et pourtant, le soutien de la Banque Mondiale au secteur agricole en Afrique n'a cessé de diminuer en 1988. Il continue à diminuer encore aujourd'hui, alors que la Banque Mondiale continue d'affirmer son importance. Il y a une analyse insuffisante des raisons, notamment dans les interactions avec les gouvernements. Dans de très nombreux pays d'Afrique, les gouvernements n'accordent pas au secteur agricole ce qu'il devrait avoir. Au Maroc, il y a eu un sursaut avec le Plan Vert. Dans le discours du gouvernement, il y a une prise de conscience de l'insuffisance d'intérêt porté au domaine agricole. Le Plan Vert est-il une initiative qui va dans le bon sens selon vous? On peut espérer. Je ne le connaîs pas dans le détail, mais deux choses sont évidentes : cela va dans la direction souhaitable, et l'analyse faite reconnaît l'existence d'un secteur de pauvreté rurale. Au Maroc, comme dans de nombreux autres pays africains, on observe un dualisme entre un secteur commercial dynamique et un secteur tourné vers l'agriculture de subsistance, qui n'a pas reçu les soutiens nécessaires. Il y a une tentative pour aller dans ce sens-là. Mais je crois d'une façon régionale, que malgré le discours de la Banque Mondiale, on ne sait pas vraiment comment financer l'agriculture de subsistance. C'est très difficile, et il y a plus d'éches que de réussites, dus à la difficulté de ce secteur, car qui dit financement dit recherche d'une rentabilité des investissements. Quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics dans le financement agricole ? Doit-on évoluer vers une alliance privé-public ? Il n'y a pas d'alternative. Les deux sources de financement doivent être mobilisées de façon accrue. Il y a des rôles spécifiques des secteur publics, qui sont indispensables, comme dans le financement des infrastructures, dans l'éducation, ou encore dans la recherche agronomique. Sur ces domaines de nature plutôt régalienne, il faut mobiliser les financements privés, mais ils ne pourront jouer qu'un rôle secondaire. Dans le domaine de l'infrastructure, il y a des demandes considérables, d'où le besoin de partenariat public-privé. De même pour les ressources en eau, pour les besoins en infrastructures, le secteur public ne peut trouver les moyens financiers seul, mais il ne peut pas s'en désintéresser non plus. Il faut notamment mettre en place un environnement politique favorable aux investissements privés. Le système de crédit agricole a été un des outils mis en place pour apporter un financement à l'agriculture de subsistance. Quels en ont été les résultats ? On a cru effectivement qu'une des solutions était de mettre en place des systèmes de crédit agricole. C'est un financement qui arrive par le sommet, par l'Etat, avec parfois des fonds extérieurs, comme la Banque Mondiale. L'opération s'est produite dans les années 70-80, mais ce n'est pas une bonne solution, au vu du taux de remboursement. Au final, le système de crédit agricole n'est pas un moyen de distribuer le financement de manière équitable, car souvent, ce sont les gros exploitants qui empruntent tandis que les petits hésitent. Dans un pays comme le Brésil où on s'est servi du crédit agricole il y a 15 ans, c'était devenu un tel poids sur l'Etat qu'on a dû le réformer. Les systèmes nationaux de crédit agricole ont montré leurs limites. Une des alternatives pour le financement de l'agriculture, notamment pour les petits exploitants agricoles, réside dans le micro-crédit. Est-ce une solution plus valable selon vous ? Le micro-crédit présente l'avantage d'avoir des taux de recouvrement très élevés. Mais, il y a une difficulté : cela marche beaucoup mieux pour financer les achats d'artisans que pour des dépenses agricoles. Les risques dans la fabrication textile sont limités, alors que les cycles de production agricole sont plus longs. En conséquence, le micro-crédit n'est pas une solution. Si les systèmes de crédit agricole ou le micro-crédit ne semblent être des outils 100% efficaces, vers quel modèle de financement doivent se tourner les exploitants agricoles ? C'est à inventer. Ce que je suggère, c'est qu'il n'y a pas de solution simple ou passe-partout. Il faut surveiller de très près les coûts et les personnes à qui on fait des prêts. Il faut tirer les leçons des échecs du passé et avoir beaucoup d'humilité intellectuelle et de volonté politique.Retrouvez, demain, la deuxième partie de l'entretien avec Michel Petit. Dans de très nombreux pays d'Afrique, les gouvernements n'accordent pas au secteur agricole ce qu'il devrait avoir.