Nous avons conclu notre chronique du vendredi dernier dédiée aux préalables devant inspirer une nouvelle approche de la réforme du système éducatif marocain, en faisant allusion au constat relatif aux grands retards enregistrés dans la mise en œuvre des dispositions prévues par la Charte Nationale de l'éducation et de formation, tout en signalant par la même occasion que l'élaboration et la mise en place du Plan d'urgence pour redonner un nouveau souffle à l'entreprise de réforme présentent des signes de multiples dysfonctionnements, faisant courir à notre pays le risque majeur de reporter à des lendemains incertains la réhabilitation de l'école et la mise à niveau de l'université marocaine. Au-delà de ce constat il s'avère de l'ordre de l'impératif de formuler dans un premier temps un questionnement de base qui vise à déterminer les causes profondes, n'ayant pas favorisé l'émergence d'un enseignement de qualité et un système de formation correspondant aux exigences du développement socio-économique et culturel auquel aspire le Maroc et ce depuis des lustres. Un tel questionnement revêt en effet une importance particulière du fait même qu'il porte sur la dimension historique et culturelle ayant déterminé le statut de la production et de la transmission du savoir dans notre société de par le passé, autant qu'il renseigne sur les blocages sociaux et politiques entravant au présent l'avènement des conditions propices au renouveau culturel et à l'émancipation sociale. Signalons au passage que la transmission des savoirs et des savoir-faire, ont représenté depuis l'aube de l'histoire le fondement même sur lequel reposent les différentes expressions culturelles, ainsi si les cultures humaines, dans leur diversité extraordinaire, se sont assignées comme tâche primordiale la transmission de l'héritage culturel et la sauvegarde du patrimoine civilisationnel, elles se sont distinguées aussi, les unes par rapport aux autres, par leur capacité d'articuler la tradition au renouveau. L'expérience historique témoigne de l'extrême importance que revêt cette articulation ayant permis à des sociétés de se renouveler dans un élan créateur, alors que d'autres ont sombré dans une léthargie millénaire. On a beau répertorier les facteurs ayant causé le déclin des civilisations qui se sont distinguées pourtant par leur rayonnement durant des siècles, il n'en demeure pas moins, que l'un de ces facteurs se rapporte nécessairement à la perte de la maîtrise des savoirs et des techniques et à l'essoufflement de la flamme de la culture et des arts. On le sait, chaque fois que la raison s'épuise et la créativité s'étouffe, les ténèbres de l'ignorance couvrent le ciel de l'esprit et libèrent tous les démons qui s'acharnent à anéantir le génie humain. On ne le répétera jamais assez, parmi les défis majeurs auxquels le Maroc est confronté, celui se rapportant à l'édification d'une école de qualité et une université incarnant les connaissances de notre temps, demeure un défi duquel dépendra en grande partie la réussite de l'entreprise qui œuvre, afin d'assurer un développement humain viable et une mise à niveau des secteurs économiques, sociaux et culturels. Les politiques éducatives mises en œuvre depuis l'avènement de l'indépendance ont souvent été évaluées suivant les performances et les échecs qu'elles ont accumulées au fil des années. Pourtant le principe de base, se rapportant à la nature du modèle éducatif approprié, n'a pas toujours été mis en exergue, afin d'orienter cette évaluation. Au-delà de l'élaboration des référentiels censés préciser les constantes devant inspirer les politiques éducatives, nous sommes en droit de nous interroger sur la nature de la philosophie éducative supposée inspirer les grandes finalités de notre système d'éducation et de formation. Une interrogation pareille ne relève pas seulement de l'ordre de l'investigation intellectuelle qui vise à appréhender la pratique éducative d'un point de vue historique et culturel, du fait même que cette interrogation est en mesure de nous permettre d'inscrire la question éducative au sein du registre des impératifs relatifs au projet de société auquel aspire le Maroc. D'autre part, les grandes traditions culturelles qui ont exercé une influence certaine au Maroc, se sont distinguées au fil des âges par l'élaboration des modèles considérés selon une étape historique donnée comme étant des modèles de transmission du savoir et de la culture qui représentent à la fois le répertoire des connaissances fondamentales devant être acquises, et l'inventaire des savoir-faire censés être maîtrisés . A cet égard les deux grandes traditions culturelles du bassin méditerranéen , à savoir la tradition judéo-chrétienne et la tradition arabo-musulmane, ont été marquées par une évolution qui a mis en interférence des conceptions éducatives s'inspirant d'un côté du modèle humaniste et de la pensée des Lumières et d'un autre côté du raffinement littéraire et de la maîtrise des disciplines touchant aux langues et l'appropriation des arts relatifs au pouvoir du nombre comme l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique. A cette longue tradition s'ajoute la diversité culturelle ayant façonné l'être marocain au fil des siècles au sein d'une mosaïque qui a mis en harmonie des composantes culturelles aussi diverses que millénaires. Dès lors l'élaboration d'une philosophie éducative susceptible de forger le socle fondamental devant inspirer l'école de demain, autant elle demeure tributaire de l'assimilation créatrice d'un héritage culturel pluri-civilisationnel, elle devrait aussi se mettre en phase avec l'esprit des temps modernes caractérisés par la prédominance de la rationalité, l'essor fantastique de la pensée scientifique et l'émergence de la société du savoir et de la connaissance. Partant de ce postulat, il s'avère nécessaire d'appréhender l'ensemble des facteurs ayant déterminé d'un côté l'évolution des systèmes traditionnels de transmission des savoirs dans la société marocaine et d'un autre côté l'émergence de l'institution scolaire moderne durant l'ère coloniale. Cette appréhension vise d'emblée à saisir les modes de passage opérés au sein de l'institution éducative des modes traditionnels aux modes supposés être modernes, de la sorte on ne peut traiter de la genèse de l'école au temps du Protectorat sans nous interroger sur le référentiel ayant fondé l'école française elle-même. En effet, autant la cohabitation des deux systèmes de transmission de savoir traditionnel et moderne a influencé largement la reproduction symbolique, culturelle et sociale d'une façon paradoxale ; autant elle soulève la question relative à la pertinence du modèle de l'école française comparativement à d'autres modèles similaires ou autres. La dimension culturelle renvoie d'autre part aux préalables censés déterminer les grandes orientations éducatives parmi lesquelles, celles relatives aux langues de l'enseignement et de l'apprentissage demeurent déterminantes et ce en rapport avec la pluralité linguistique caractérisant notre diversité culturelle plurielle et notre ouverture sur le savoir universel. L'élaboration des différents types d'enseignement, tout en étant à la fois le vecteur de transmission des connaissances et des compétences universellement établies, devrait aussi exprimer et mobiliser la richesse de notre imaginaire collectif dans sa singularité plurielle. De la sorte le modèle éducatif auquel toute société aspire ne peut nullement se fonder sur les fantasmes du repli identitaire ni sur ceux appelant au déracinement total. Dans cette perspective le questionnement actualisé se portant sur les ratages de la réforme du système éducatif marocain devrait prendre en considération l'ensemble des éléments que nous avons relatés à titre exhaustif, tout en essayant d'appréhender la philosophie sous-jacente à la Charte de l'éducation et de la formation, et d'autre part de s'interroger d'une façon concrète sur l'articulation des mesures préconisées par le plan d'urgence avec les grands objectifs de la réforme et la pertinence du dispositif de mise en œuvre des projets englobant les différents domaines du champ éducatif. C'est à cette question que nous allons consacrer notre prochaine chronique.