Une institution singulière, c'est le moins que l'on puisse dire de l'Ecole supérieure des Arts visuels de Marrakech (ESAV), tant elle se démarque des autres établissements de formation privés. L'ESAV, qui vient de «mettre au monde» sa 1re promotion de lauréats, forme depuis 2007 aux métiers du cinéma, de la télévision et de la communication visuelle (arts graphiques et médias), palliant ainsi à l'absence d'une offre de formation de haut niveau, qui permette de répondre à la forte demande du secteur en ressources humaines qualifiées. Une demande qui évolue crescendo, notamment en raison des différentes réformes engagées ces dernières années. D'abord, suite à l'ouverture du paysage audiovisuel national, suite à l'abrogation du monopole de l'Etat. Ensuite, grâce à l'augmentation de la dotation du Fonds d'aide au cinéma marocain, de 36 à 100 millions de DH, qui vise à multiplier par cinq la production annuelle de longs métrages. Sans oublier la dimension internationale, puisque le Maroc mise sur le développement d'infrastructures d'accueil de tournages étrangers pour passer de 15 à 30 films par an. L'objectif de ces réformes, étant de faire du secteur du cinéma au Maroc une véritable industrie. À titre d'exemple, les impacts en termes de création d'emploi sont évalués à près de 13.000 nouveaux postes. Mais comme dans toute industrie, son essor reste tributaire de la qualité de ses ressources humaines. Pour répondre à cette demande, un budget de 100 millions de DH a été mobilisé pour donner naissance à l'ESAV (voir encadré). Ainsi, l'école propose des formations diplômantes type licence (bac+3) ou master (bac+5), structurées autour de deux départements : cinéma/audiovisuel et design graphique/média design. De gros moyens mis en œuvre Concernant le département cinéma, 4 filières sont accessibles : réalisation, image, son et montage. Les modules dispensés sont variés, comprenant aussi bien l'analyse filmique, l'écriture de scénarios que les techniques de l'image et du son ou encore la post-production numérique. Au niveau de la méthodologie, l'équipe pédagogique de l'ESAV insiste autant sur le volet théorique, pour que les étudiants disposent d'une base solide en la matière, tout en accordant une grande importance au volet pratique. À ce sujet, l'obtention du diplôme est tributaire de la réalisation d'un documentaire ou d'un court métrage, les étudiants travaillant en équipes complémentaires tout en bénéficiant de l'encadrement de professionnels du métier (voir encadré). Mais l'appui à ces projets ne s'arrête pas là, comme en témoigne le directeur technique de l'Ecole, Abdelilah Hilal : «L'école attribue une subvention de 35.000 DH à chaque projet, pour que nos étudiants donnent libre cours à leur créativité». Une politique qui semble donner ses fruits. À l'image d'El Mehdi Azzam, un étudiant de l'ESAV qui a remporté le 1er prix lors de la 56e édition du Festival international de San Sebastian, pour son court métrage «Le bal des suspendus». Un accompagnement pédagogique, financier, mais également technique. Et de ce côté-là, l'Ecole s'est donné les moyens de ses ambitions. L'ESAV dispose en effet de 2 plateaux de tournage de 200 m2 et 250 m2, équipés d'une régie multi-caméras. De plus, pas moins de 20 salles de montage permettent aux étudiants d'être formés à ce qui se fait de mieux en matière de montage virtuel (AVID media composer, Final Cut et Protools). Quant au matériel, l'établissement n'a rien à envier aux boîtes de production de la place. Les étudiants ont ainsi accès à plus de 20 caméras professionnelles, permettant de réaliser des prises de vue en format DV et HDV. Un souci de qualité que l'on retrouve également au niveau des supports de caméras, qu'on appelle plus communément Dolly ou Pee Wee, et qui permettent de réaliser des prises de vues sans à-coups. Une qualité qui a tout de même un prix, quand on sait qu'une Dolly coûte tout de même près de 800.000 DH. Autre vision pour le graphisme Le département design graphique/media design a quant à lui pour mission de former les futurs professionnels de la communication visuelle. Les débouchés sont multiples, puisque les lauréats peuvent intégrer le secteur de l'édition, de l'habillage graphique, du web design et de la photographie. Sans oublier les médias au sens large du terme : TV, presse écrite, supports web... Encore une fois, on retrouve au sein de cette filière une complémentarité entre formation technique et artistique. Technique, puisque les étudiants sont formés entres autres aux logiciels de graphisme, à la typographie, à la calligraphie et à la communication graphique de manière plus générale. Quant au volet artistique de la formation, il se démarque au niveau de l'orientation pédagogique de l'équipe enseignante. En effet, cette dernière a mis l'accent sur les ateliers de recherche et de création (ARC). Lieu d'expérimentation et d'échanges, les ARC se veulent un espace critique animé par des enseignants ayant une approche et des pratiques communes. L'objectif étant de favoriser la transversalité et l'ouverture des compétences en fédérant les étudiants autour d'une pluralité de thèmes. Une approche qui permet de développer le sens critique des étudiants, mais également leur vision artistique. Pour compléter cette formation, les étudiants doivent valider des modules en histoire de l'art et du design graphique, en sociologie de l'image, sans oublier un module de droit éthique et de pratique professionnelle. À l'image d'El Mehdi Azzam dans la filière cinéma, un étudiant en 2e année de design graphique, Mohamed Amine Tahour, s'est distingué lors d'un concours international. Sa création, qu'il a nommée «Ossouls» (Origines), lui a permis de faire partie des dix finalistes du Winsoft Arabic Typography Contest, organisé cette année dans le cadre de l'Année internationale du rapprochement des cultures. La dimension sociale du cinéma Pour accéder au «monde magique» de l'ESAV, chaque étudiant doit s'acquitter de frais de scolarité qui s'élèvent à 50.000 DH par an. «Nous sommes conscients que ce n'est pas à la portée de tout le monde, c'est pourquoi nous avons créé un fonds de bourse pour aider les étudiants admis au concours», précise Vincent Melilli, directeur de l'ESAV. D'ailleurs, le dossier de candidature ne comprend aucune mention faisant référence aux revenus des parents. Ce n'est qu'après admission que la question du financement est abordée. Une politique sociale qui va au-delà des discours, car l'école présente une particularité unique : bien que ce soit un établissement privé, 58% de ses étudiants sont boursiers ! Pour en bénéficier, une commission autonome statue sur les dossiers en prenant en compte, dans l'ordre, les critères suivants : le revenu familial, le nombre d'enfants à charge, l'éloignement de l'étudiant par rapport à sa ville d'origine et enfin son classement au concours d'entrée. Une fois décrochée, la bourse est attribuée pour la durée de la scolarité. Toutefois, son maintien reste tributaire de certains facteurs, notamment des résultats scolaires du boursier. Un système qui a fait ses preuves, et qui a permis à l'intégralité des étudiants admis en 1re année de décrocher leur diplôme. Des stars qui enseignent à de futures stars Pour s'assurer que les lauréats quitteront l'école avec une maîtrise technique mais également avec un point de vue d'auteur, le corps enseignant de l'ESAV est constitué en sa quasi-totalité de professionnels du secteur venus de divers horizons, encadrant les étudiants en fonction de leurs plannings de tournage. Certains sont marocains, à l'image des réalisateurs Faouzi Bensaïdi ou Ahmed Maânouni (le film El Hal avec Nass El Ghiwane, c'était lui !). D'autres noms célèbres de la scène cinématographique internationale participent aussi à la formation des étudiants de l'ESAV, tels que le Britannique Hugh Hudson (nominé aux Oscars pour son film Les Chariots de feu), ou encore l'Iranien Abbas Kiarostami, dont le style poétique lui a valu une reconnaissance mondiale. D'ailleurs, de ce dernier, Martin Scorsese, également parrain de l'ESAV (sans mauvais jeu de mots), dit «qu'il représente le niveau le plus élevé de l'art dans le cinéma». Une telle déclinaison de talents qui ne peut que faire le bonheur des étudiants, qui pourront même suivre en septembre prochain les cours d'un autre géant du cinéma mondial : l'Allemand Wim Wenders, réalisateur du célèbre Buena Vista Social Club, et qui a présidé le prestigieux festival de Venise en 2008. «Nous visons l'excellence pour nos étudiants, et nous faisons tout pour rester cohérents dans notre démarche», témoigne non sans fierté Vincent Melilli, directeur de l'ESAV. Une cohérence qui se ressent à différents niveaux : sur le plan des formations dispensées,de l'équipement mis à disposition, mais également sur le plan social. «Nos lauréats n'ont aucun problème à intégrer le marché du travail»Vincent Melilli : Directeur de l'ESAV Les Echos quotidien : Parlez-nous un peu de la genèse de l'ESAV. Vincent Melilli : Notre école a vu le jour grâce à l'impulsion de la Fondation Susanna Biedermann, qui est également derrière la création de Dar Bellarj, qui soutient la culture vivante au Maroc depuis 1999. Bien que nous soyons un établissement privé, nous avons une mission d'intérêt général à but non lucratif. La Fondation Biedermann continue d'ailleurs à financer l'ESAV sans attendre aucune forme de retour sur investissement. L'autre particularité de notre école réside en ses actionnaires. L'ESAV est en effet une société anonyme de droit marocain dont le capital est réparti comme suit : 80% pour la Fondation Susanna Biedermann, et 20% détenus par l'université Cadi Ayyad de Marrakech, qui est la 1ère université marocaine à s'engager en tant que partenaire dans un projet d'enseignement privé dans le cadre de la récente réforme de l'enseignement supérieur au Maroc. Cette dernière nous a permis d'acquérir un droit au bail de 40 ans pour un terrain domanial dont elle avait l'usage, et sur lequel l'ESAV a été construite. Au terme de cette période, les locaux et équipements de l'école reviendront à l'Etat marocain. Ce qui à mon sens constitue un bel exemple de partenariat public-privé. Comment l'ESAV s'intègre-t-elle dans son environnement ? Nous avons noué des partenariats avec différents organismes et institutions, tels que la London Film School ou le Centre cinématographique marocain. Cela nous permet d'une part de mettre en place des programmes d'échanges et de coopération, mais aussi de bénéficier d'un large réseau d'intervenants professionnels. Cela permet à nos étudiants de se frotter à un large éventail d'expériences issues de différents horizons, ce qui se reflète sur la qualité de l'enseignement. Ce n'est pas un hasard si nos lauréats n'ont aucune difficulté à intégrer le monde professionnel. D'ailleurs, un grand nombre d'entre eux travaillent avec des boîtes de production, et ce avant même qu'ils aient terminé leurs études ! Plus de la moitié de vos étudiants sont boursiers, comment arrivez-vous à conserver l'équilibre financier de l'école ? L'égalité des chances et la mixité sociale sont les fondements sur lesquels notre école s'est construite. Fort heureusement, l'ESAV s'appuie sur un réseau fort. La recherche de fonds se fait par le biais de la Fondation Susanna Biedermann (Suisse), la Fondation Dar Bellarj (Marrakech), sans oublier l'association «Les Amis de l'ESAV Marrakech», qui est basée à Paris. Quant à nos donateurs, leur liste est très variée. En plus de certains particuliers, nous sommes fiers de compter entre autres la groupe OCP, la Ford Foundation ou encore Little Dreams, fondation créée par Orianne et Phil Collins.