Des sécuritaires, des experts et des représentants d'ONG internationales se sont réunis les 3 et 4 mai à Rabat pour débattre du cadre législatif et du rôle de la société civile dans la réforme du secteur de la sécurité. Tenus à l'initiative du Centre d'études en droits humains et démocratie (CEDHD), les travaux de cette conférence régionale auxquels participent des experts de Turquie, d'Indonésie, de Palestine, du Mali et de Suisse ont fait le tour de la problématique relative à la question de la bonne gouvernance sécuritaire. Des aspects tels que la consistance et les enjeux de la réforme du secteur de la sécurité, les expériences dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) en matière de recueil de la législation relative au secteur de la sécurité ou au rôle de la société civile dans la mise en œuvre de la réforme de la législation sécuritaire. La rencontre de Rabat à laquelle ont participé plus de 50 représentants des départements gouvernementaux et des acteurs de la société civile a permis, à l'issue de deux jours de débat, l'échange des expériences dans le domaine de la réforme de la législation dans des pays qui ont vécu une transition démocratique et un passé totalitaire. Selon Lahbib Belkouch, président du CEDHD, «c'est un chantier de longue haleine qui rejoint une problématique d'une dimension politique par excellence». La sécurité, un service public Pour Arnold Luethold, directeur adjoint du Centre de contrôle démocratique des forces armées à Genève (DCAF), «il n'existe pas de modèle pour la réforme. Chaque pays doit choisir sa propre approche en la matière». Et s'agissant d'approches, justement, il est utile de souligne que deux techniques sont utilisées pour les services de sécurité. L'une, technique, se focalise sur les équipements et les techniques d'interventions pour améliorer la performance des services de sécurité. La seconde approche, elle, se concentre sur le cadre législatif. Elle stipule ainsi que la sécurité est un service dédié au citoyen autant que l'éducation ou les transports. Cette approche se base sur la bonne gouvernance et le développement des institutions de contrôle des entreprises de sécurité pour demander des comptes aux fournisseurs des services de sécurité. Selon Arnold Luethold, le Maroc est le seul pays arabe à s'être engagé dans des réformes. Pour Abdessalam Boutayeb, président du Centre de la mémoire commune et l'avenir, «la société civile a été un acteur majeur pour la construction du processus de l'IER qui a appelé à la réforme des services de sécurité dans ses recommandations. Elle doit aussi participer à la demande de l'activation de ces recommandations». Une législation d'une autre époque Certaines lois qui régissent le domaine de la sécurité au Maroc sont caractérisées par des dysfonctionnements, mais surtout appartiennent à une autre époque : la loi relative à la possession d'explosifs ou d'armes de 1916, la loi sur l'état d'alerte en état de guerre de 1938... Une des principales remarques reste l'adaptation des lois sécuritaires à la situation actuelle du pays, certains textes étant anachroniques. Pis encore, des lois qui régissent des organes de sécurité sont souvent inaccessibles ou se réfèrent à des circulairesinternes comme c'est le cas pour la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) qui est régie par une note interne de la DGSN. Cette brigade forme aujourd'hui un bureau national composé de quatre pôles et son champ d'action touche le terrorisme, le crime financier et la cybercriminalité. Elle travaille aussi en collaboration avec la DST et les RG. Selon une source informée, depuis 2003, le Maroc a été questionné par le Groupe de travail sur les disparitions forcées sur le statut de la DST et de ses agents ainsi que sur le dépôt central de Témara. Le 22 novembre 2009, le Maroc avait répondu comme suit : «La DST coordonne et collecte les informations sur des affaires liées au terrorisme et au contre- espionnage. Avec l'apparition de nouveaux phénomènes, cet organisme s'est chargé de nouvelles missions à l'instar d'organismes similaires dans le monde». Selon les analyses du CEDHD, la DST n'est pas habilitée à interpeller les suspects, car ses agents n'ont pas la qualité d'officiers de la police judiciaire (OPJ). En outre, le rapport du Groupe sur les disparitions forcées affirme que les actions de la DST «ne sont pas conformes au code de procédure pénale». Le Maroc est appelé ainsi à sortir de cette situation. Selon une source parlementaire, le projet de loi de la procédure pénale octroie au directeur général de la DST le statut d'OPJ. Lahbib Belkouch : Président du CEDHD* Les échos quotidien : Quel est l'objectif de cette conférence régionale ? Lahbib Belkouch : L'objectif est la continuité de la réflexion sur la thématique de la réforme du secteur de la sécurité à travers des expériences diverses. Nous avons opté pour une approche comparative au niveau de la législation dans la région MENA, parce qu'il y a des dynamiques similaires à celles déjà entamées par le centre pour la compilation des textes relatifs à la sécurité dans la région. Nous avons considéré qu'il était important de voir cette dimension au niveau d'un contexte politique différent. On a aussi invité des experts qui viennent du Mali, d'Indonésie et de Turquie. Est-ce que la société civile est habilitée à participer à la réforme du secteur de la sécurité dans notre région ? Nous considérons que la société civile doit contribuer à la réalisation de cet objectif, d'abord parce que la question de la sécurité ne concerne pas seulement des organismes chargés de la question de la sécurité. C'est une question qui concerne toute une société sachant que la réforme du secteur sécuritaire actuellement au niveau des normes internationales à l'OCDE ou des Nations unies est une question qui concerne la société. La sécurité n'est plus considérée comme une stabilité d'un Etat ou une politique au service d'un régime déterminé. C'est un cadre qui assure l'ensemble des conditions pour la jouissance des droits et des libertés pour la garantie de la stabilité du pays et le renforcement du développement économique. Quelles sont vos remarques sur le cadre législatif du secteur de la sécurité au Maroc ? Le cadre législatif du secteur sécuritaire au Maroc a besoin d'être revu, d'abord vu le développement qu'a connu le pays et les engagements du Maroc au niveau international en matière de droits de l'homme et de sécurité et vu les nouvelles questions qui se posent au niveau des libertés dans un espace d'ouverture et de démocratisation.