Un des objectifs stratégiques du plan Maroc Vert est de «produire plus» et «produire mieux». Car, on l'aura remarqué, même si les officiels parlent d'années agricoles records, on continue à importer. En cause, les niveaux de production généralement bas. Pour dépasser cet état de fait, l'Etat veut doter les agriculteurs d'outils nécessaires pour exploiter leurs terres dans des conditions optimales. D'où le projet de la «Carte de fertilité des sols au Maroc». Annoncé depuis plusieurs années, le projet serait en phase de concrétisation. Il s'agirait d'une sorte de tableau de bord pour les agriculteurs afin de mieux exploiter leurs terres. Lors du Salon international de l'agriculture de Meknès (Siam), les promoteurs du projet ont dévoilé ses premiers résultats : une première carte de fertilité régionale. Celle de la province de Meknès, identifiée comme zone pilote, est disponible et opérationnelle. Elle sera intégrée au système d'information géographique national. Le projet est le fruit d'une collaboration entre le groupe OCP, le ministère de l'Agriculture et des pêches maritimes (MAPM) et l'Institut national de la recherche agricole (INRA). À terme, l'élaboration de la carte de fertilité nationale mobilisera une enveloppe globale de 64 millions de DH, cofinancée par OCP et le MAPM (L'OCP apporte 58% du projet, tandis que le reste est fourni par le ministère de l'Agriculture). L'INRA, lui, fédère l'ensemble de l'expertise nationale autour de ce projet, notamment celles de ses partenaires, à savoir l'Ecole nationale d'agriculture (ENA) de Meknès. «D'ici 4 ans, toute la surface agricole utile du Maroc sera couverte», promet Mohamed Badraoui, directeur de l'INRA. Ce dernier parle de pas moins de 8,7 millions d'hectares. Le projet concernera trois périmètres. Le premier concerne les zones bour, dont les sols sont cartographiés, d'une superficie d'environ 6 millions d'hectares. Le deuxième concerne les zones bour où les sols ne sont pas encore cartographiés (1,9 million ha) et au final le troisième périmètre qui couvre les zones irriguées en grande hydraulique (0,8 million ha). Le projet durera quatre ans. Une fois terminées, les cartes de fertilité régionales seront structurées dans un système d'information géographique national (SIG). «À terme, une seule base de données publique, que nous allons mettre à la disposition des promoteurs agricoles, gratuitement», souligne Mohamed Badraoui. Ces cartes, qui donneront les détails récents des propriétés des sols, seront d'utilité publique. Elles seront mises à la disposition des agriculteurs à travers des Centres de conseil et de formation régionaux (dépendant du ministère de l'Agriculture), baptisés Ferti-conseils. Fertilisation raisonnée De l'avis des professionnels, trois éléments majeurs contribuent à une bonne récolte : l'eau, la qualité des semences et les engrais. «Aujourd'hui, un engrais de qualité et en quantité suffisante peut augmenter la production deux à trois fois au minimum», souligne Imad Bouziane, manager Afrique et marché local à l'OCP. En clair, au lieu d'une tonne de blé, l'agriculteur en produira trois par exemple (en général, on peut obtenir jusqu'à huit tonnes). Encore faut-il savoir quelles quantités d'engrais ajouter et sur quelle durée. Ce qui fait l'importance d'une carte des sols. D'où le terme «fertilisation raisonnée», un autre objectif à atteindre par les promoteurs de la carte de la fertilité. On parle d'une connaissance accrue des sols agricoles au niveau national et de leurs besoins en engrais propres à satisfaire en éléments nutritifs «pour en préserver la composition fertile». Valeur aujourd'hui, nous ne connaissons que 30% de nos ressources en sol du Maroc. Mais sur la surface agricole utile, 2,7 millions d'hectares, la cartographie des sols concerne 70%, à en croire l'INRA. «Ce projet vise aussi à harmoniser les données»Mohamed Badraoui : Directeur de l'INRA Les Echos quotidien : Pourquoi une carte de la fertilité ? Mohamed Badraoui : J'aimerais souligner qu'il est encore possible au Maroc d'augmenter la productivité des cultures. Nous sommes aujourd'hui à des niveaux de production relativement bas par rapport à notre potentiel. Il faudra donc doter l'agriculteur des outils nécessaires pour y arriver. Ainsi, nous ambitionnons de réaliser, dans le cadre d'un partenariat entre l'OCP et le ministère de l'Agriculture, une carte de fertilité des terres agricoles au Maroc. Ce projet est réalisé par la Commission scientifique agricole nationale, composée de quatre institutions : l'Institut national de recherche agronomique (INRA), l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV) et l'Ecole nationale d'agriculture (ENA) de Meknès. Quelle est la surface cible de ce projet ? L'objectif est d'avoir pour les 8,5 millions de ha de terres agricoles au Maroc, une carte nous permettra d'utiliser raisonablement les engrais. Cette carte permettra d'utiliser les engrais en fonction de la richesse du sol en éléments fertilisants. On entend par fertilité du sol sa capacité de produire. Les cartes actuelles couvrent combien de sols ? Actuellement, nous connaissons 30% de nos ressources en sol. Mais dans la surface agricole utile, 2,7 millions de ha, la cartographie des sols concerne 70%.La première étape du projet est de collecter toute l'information disponible, essentiellement toutes les données correspondantes à la connaissance du sol du Maroc, dans les zones cultivées. Malheureusement au Maroc, nous n'avons pas une carte du sol dans toutes les régions. Nous avons des zones couvertes par des études antérieures. Le projet devrait compléter nos connaissances du sol en élaborant la cartographie, pour la première fois, de deux millions d'hectares supplémentaires. Le projet durera quatre ans. Et cela fait tout juste trois mois qu'on a commencé. On a présenté lors du SIAM une première étape avec une carte de la fertilité de la ville de Meknès (expérience pilote). Ce projet vise aussi à harmoniser les données. Nous allons avoir, à terme, une seule base de données publique, que nous allons mettre à la disponibilité des promoteurs agricoles, gratuitement. « L'ambition est d'apporter des formules d'engrais adaptées pour chaque région»Imad Bouziane : Manager Afrique et marché local à l'OCP Les Echos quotidien : L'OCP vient de lancer une nouvelle offre de packages pour les distributeurs. À votre avis, pourquoi les agriculteurs ne font-ils pas appel aux engrais ? Imad Bouziane : Il y a deux ou trois facteurs qui font que le fellah marocain n'utilise pas les engrais. Il existe d'abord un problème de sensibilisation : des régions, où les agriculteurs sont tout simplement insensibles à l'utilité des engrais, ne maîtrisent pas les quantités à mettre, ont des idées reçues par rapport aux engrais et pensent que la plupart des engrais sont les mêmes... Il est aujourd'hui vital que l'agriculteur passe de l'état d'un consommateur basique à celui qui comprend ce qu'il met dans ses terres. Que comptez-vous faire pour atteindre cet objectif? Nos équipes seront présentes dans les souks pour expliquer aux agriculteurs l'utilité de nos engrais, les quantités qu'il faut respecter... des tests sont aussi prévus pour que les agriculteurs voient l'effet des engrais de leurs propres yeux. Ceci dit, j'aimerais souligner que parfois des agriculteurs vous diront qu'ils connaissent l'utilité des engrais. Ce qui les empêche de les utiliser est plutôt le financement. Aujourd'hui, ce problème est en partie résolu grâce à l'OCP qui a mis sur le marché les engrais les moins chers au monde. Pourquoi ? Parce qu'on considère que le phosphore est un élément national et que c'est un produit qui devrait profiter aux agriculteurs marocains. Quelle est la configuration actuelle du marché des engrais ? Il y a aujourd'hui un potentiel de 2 millions de tonnes au Maroc. Dans la configuration actuelle, les agriculteurs consomment trois fois moins d'engrais. Un objectif à atteindre rapidement pour ne plus parler d'«agriculture en développement» mais d'«agriculture développée». Aujourd'hui, l'OCP vend de l'engrais aux distributeurs (Charaf, Fertima, la Société chérifienne d'engrais, Sonacos...). Depuis pratiquement deux ans, les prix-arrivées agriculteurs sont en général les mêmes. Que proposez-vous aux agriculteurs à travers vos nouvelles formules ? On leur apporte exactement ce dont ils ont besoin (azote, phosphore, potassium...). Il s'agira d'adopter une formule unique par région... Parlez-vous de formules régionales ? Absolument. D'où l'utilité de la carte de fertilité sur laquelle travaillent nos équipes et celles de l'Institut national des recherches agronomiques. Ces formules régionales vont permettre d'accroître le rendement. Deuxièmement, nous allons accompagner aussi les agriculteurs, pour leur montrer comment utiliser ces engrais. Car il suffit d'enlever les engrais un mois plus tôt ou plus tard pour que l'effet ne soit plus le même. L'enjeu est d'augmenter la capacité de production en améliorant la qualité du métier d'agriculteur : il faut qu'il mette les meilleures semences, les meilleurs engrais et qu'il ait accès à l'eau. Ce sont des choses assez basiques mais qui font la différence. Des sols «épuisés» Selon des chiffres de l'INRA, seuls 33% des besoins de fertilisation des sols sont apportés aujourd'hui. En parallèle à une faible rationalisation de l'utilisation des engrais, les sols agricoles au Maroc s'appauvrissent graduellement en éléments nutritifs. Valeur aujourd'hui, seul 1 million de tonnes sont utilisées i, alors que le besoin national est de 2,5 millions de tonnes. Autre constat : les sols marocains sont presque épuisés. En cause, plus de 74% des terres sont dédiées à des cultures céréalières. «Même si les engrais sont disponibles, le bénéfice dû à leur utilisation est en baisse à cause de la dégradation de l'ensemble des sols», soulignent les experts agricoles. Ces derniers n'hésitent pas à dire que sans une maîtrise de l'état des sols (une carte de la fertilité), les programmes de développement agricole régionaux du plan Maroc Vert «peuvent être un échec total». Ainsi, parmi les paramètres pris en considération, figurent la qualité du sol, les données climatiques et les exigences des cultures. Les promoteurs des cartes de fertilité régionaux ne cessent d'ailleurs pas de marteler qu'à terme, on arrivera à identifier «les bassins de production importants».