Les veines de la Giulietta d'Alpha Romeo étaient en cours de fabrication lorsque le PDG du groupe a été décoré dans «son» usine de Aïn Sebaâ, par Ahmed Réda Chami, ministre de l'Industrie. Sews Cabind Maroc, filiale de l'empire Sumitomo est spécialisée dans le câblage automobile, avec une production destinée exclusivement à l'export. Masayoshi Matsumoto, PDG de la branche électrique du conglomérat japonais, est venu rendre visite aux équipes casablancaises, en marge de sa participation aux 2e Assises de l'Industrie. Sumitomo est un des plus vastes et des plus anciens conglomérats industriels japonais. Vieux de près de quatre siècles (381 ans), il œuvre dans la chimie, la construction navale, les finances, l'acier, l'assurance, les mines, l'immobilier, le BTP et bien d'autres. Le groupe emploie plus de 170.000 collaborateurs de par le monde, dont 15.000 au Maroc, et consolide dans ses résultats plus de 300 filiales. À l'usine de Aïn Sebaâ, l'empreinte japonaise est visible. Suivi de la production en temps réel, intérêt accentué pour la sécurité des ouvrières et ouvriers, procédures rigoureusement suivies, même dans les plus petits détails, et hiérarchie très discrète. Le seul signe distinctif entre les ouvriers et l'encadrement est perceptible dans les sandales : bleues pour les responsables, blanches pour le personnel d'exécution. Pour le reste, blouse blanche de rigueur pour tous. Un film à la gloire de l'histoire de Sumitomo passe en boucle, inondant l'atelier d'un écho japonais apaisant, mais qui, on l'imagine, peut devenir stressant à la longue. La sécurité est mise sur un piédestal particulier. «635 jours sans accident», peut-on lire sur une pancarte, mise en valeur à l'entrée de l'usine. Du rouleau à la voiture L'atelier de production de câbles s'étend sur près de 3.000 mètres carrés, et près de 1.400 collaborateurs, (ou plutôt collaboratrices, puisque la majorité des intervenants sur la chaîne sont des femmes) s'y activent autour des faisceaux de câbles qui seront installés sur les modèles de voitures montés en Italie, en France, en Allemagne ou encore en Europe de l'Est. La matière première, en l'occurrence des rouleaux de câbles primaires de différents types, est réceptionnée et triée, pour être méthodiquement stockée. L'étape qui suit est celle de la coupe où, selon les plans fournis par les donneurs d'ordre, les rouleaux seront découpés en conséquence, avant d'être préparés pour l'assemblage. Cette dernière étape consiste à prendre les centaines de câbles qui composent les faisceaux, à y rajouter les composants électriques et électroniques spécifiés dans les plans du constructeur, et à rassembler le tout pour qu'il s'emboîte parfaitement dans la structure de la voiture. Pour s'assurer de la perfection des faisceaux de câbles, leur conductivité ainsi que leurs proportions sont vérifiées sur des gabarits grandeur nature, reproduisant les caractéristique du modèle auquel ils sont destinés. C'est ainsi qu'une partie des belles italiennes qui seront vendues un peu partout dans le monde, mais aussi des allemandes et des françaises, est fabriquée par des mains marocaines. «L'émergence des équipementiers marocains est fondamentale pour le développement de cette industrie»Masayoshi Matsumoto : PDG de Sumitomo Electric Industries. Les Echos quotidien : Qu'est-ce que cela vous fait d'être le premier employeur industriel du pays ? Masayoshi Matsumoto : Je suis très fier de cela. Depuis que nous sommes implantés au Maroc, j'ai reconnu les avantages offerts par le pays, notamment la grande proximité de l'Europe. Lorsqu'on compare la distance vis à vis de l'Amérique du Nord, elle est même avantageuse, comparée à la Chine. Cela veut dire que nous pourrons produire plus pour être exportés en Amérique du Nord. Nous avons aussi une grosse opération en Chine, et la majorité de notre production chinoise est exportée vers l'Amérique du Nord. Toutefois, le risque pays de la Chine est inquiétant et la gestion de nos affaires y est compliquée. Donc, il fallait transférer des parts entières de notre production chinoise vers l'Afrique du Nord. Et dans cette région, le Maroc est, de loin, le plus stable. De plus, la croissance économique est modérée, mais régulière et résiliente. Il s'agit donc en substance d'une délocalisation à partir de la Chine vers le Maroc... Oui, mais étape par étape. Cependant, dès l'année prochaine, nous allons sans doute commencer à exporter des pièces automobiles fabriquées ici, vers Detroit pour Chrysler. Une tendance qui s'accélèrera à l'avenir. Quels sont vos principaux clients ? Notre premier client est actuellement Toyota, suivi de Volkswagen et de l'alliance Renault-Nissan. D'ailleurs, nos unités de Tanger fournissent le constructeur Volkswagen. Comment jugez-vous la productivité des usines marocaines, comparée à vos autres implantations au niveau mondial ? Elle est en constante amélioration, même si elle est encore loin de nos meilleurs niveaux de productivité. Depuis que nous sommes implantés, la productivité et la qualité de production s'améliorent. De plus, le taux de défaut est constamment à la baisse. Croyez-vous que le Maroc a les moyens de devenir un leader régional dans l'industrie automobile dans quelques années ? Oui, mais à une seule condition. Si le Maroc veut devenir un pays important dans la production automobile, il doit mettre en place un tissu industriel fort au niveau local, au lieu d'importer la majorité des composants de l'étranger. Il faut produire sur place la majorité des 30.000 pièces environ qui entrent dans la fabrication des voitures. L'émergence des équipementiers marocains est fondamentale pour le développement de cette industrie. Dans ce sens, il faut mettre en place un programme systématique, conduit par le gouvernement et dont l'objectif est de mettre en place et de consolider le tissu industriel domestique dans l'automobile. Est-il facile d'appliquer les célèbres méthodes de production japonaises ? Oui, on y arrive sans trop de difficultés, parce qu'on a l'expérience avec la force de travail locale. Nos compétences sont majoritairement jeunes, et en constante amélioration. Je pense aussi que les Marocains peuvent réaliser n'importe quel acte technique. Par contre, ce qui doit encore être amélioré, c'est ladiscipline. C'est aussi important qu'une politique industrielle cohérente.