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Ethique ou business, le dilemme
Publié dans Les ECO le 15 - 04 - 2010

Quelle crédibilité peut-on accorder aux comptes certifiés des sociétés ? La question mérite réflexion. Sur ce volet, le constat est qu'il ne se passe plus une année sans qu'un scandale financier mineur ou majeur n'éclate au niveau de nos entreprises. La question épineuse qui entoure aujourd'hui ces actes de mauvaise gouvernance (fraude interne, détournement, utilisation douteuse de biens sociaux) est liée au fait qu'ils sont constatés dans des sociétés dont les comptes sont certifiés (souvent sans réserves) par des commissaires aux comptes. ONDA, CIH, CNSS, Crédit Agricole... les exemples sont légion, aussi bien du côté des organisations publiques que de celles relevant du privé. Le récent rapport de la Cour des comptes a mis en lumière ce phénomène somme toute paradoxal. Lors de son audit relatif à plusieurs exercices comptables des sociétés et entités administratives, publié récemment, la Cour des comptes a déterré anomalies et malversations énormes susceptibles dans certains cas d'impacter la bonne marche de nombre d'entreprises. À propos de l'ONDA, fortement chargé, la Cour a par exemple notifié, entre autres remarques, la défaillance du système de contrôle interne, en ces termes : «Le département d'audit interne souffre du manque de moyens humains, puisqu'il ne dispose que de deux cadres. Dans les rapports d'audit des marchés de plus de 5 millions de DH, il s'est avéré que le département d'audit interne se limite à décrire la procédure de lancement des marchés sous forme de tableaux sans émettre d'observations». Or, tout comme l'ONDA, les comptes de la plupart des sociétés épinglées par la Cour ont été antérieurement examinés et certifiés par des commissaires aux comptes. Comment comprendre que ces experts puissent auditer des cas pareils sans pouvoir relever de tels dysfonctionnements ? Cela est effrayant lorsqu'on connaît le degré de confiance élevée que les tiers (clients, fournisseurs et publics divers) peuvent accorder à l'opinion émise par ces experts. Que se passe-t-il donc ? La rigueur professionnelle des commissaires aux comptes serait-elle en cause? Comment s'exerce le métier ? Les commissaires aux comptes ont-ils les moyens de leur action ? Pour tenter de comprendre, nous avons interrogé des professionnels mais aussi plusieurs autres analystes du milieu des affaires. Les points de vue sont extrêmement divergents.
Entre rigueur et contraintes
Selon plusieurs témoignages des observateurs de l'environnement des entreprises, le travail des commissaires serait à certains égards entravé par des contraintes d'ordre commercial. Le cadre juridique nécessaire à la bonne pratique du métier serait également insuffisant ou non respecté. Les contraintes commerciales, souligne une source requérant l'anonymat, proviendraient du fait que les sociétés faisant recours par obligation légale au commissariat aux comptes (qui sont les SA et les SARL ayant 50 millions de dirhams de chiffre d'affaires) disposent souvent d'une forte solidité et permettent aux cabinets d'audit de réaliser un volume d'affaires important. De ce fait, pour le commissaire aux comptes, signer leurs états de synthèses procure un certain prestige. Ces sociétés constituent donc de bonnes références pour décrocher d'autres missions de conseil, surtout du fait que la publicité est interdite dans les métiers de l'expertise comptable. Devant une telle réalité, indique également notre source, le commissaire aux comptes, s'il émet des réserves, ne peut le faire que de manière modérée sous peine de voir son contrat non reconduit par les instances dirigeantes de l'entreprise. Celles-ci ont en effet ce pouvoir de maintenir ou de suspendre le mandat de l'expert en fonction de l'appréciation qu'elles font de son travail. Sur ce chapitre, un autre détail est pointé du doigt, c'est la quasi non-rotation des experts. Le mandat du commissaire aux comptes tel que prévu par les textes légaux est triennal mais renouvelable à souhait par l'entreprise. Cependant, dans la pratique, les sociétés changent rarement de commissaire aux comptes. Au Maroc, cette contrainte ne leur est imposée que dans le secteur bancaire. Le non-élargissement de cette obligation à l'ensemble des secteurs est perçu par certains observateurs comme un facteur susceptible de gêner l'indépendance du commissaire aux comptes. Outre ces aspects, la réticence des entreprises à communiquer aux experts des informations sensibles, voire leur propension à les dissimuler, sont aussi des entraves susceptibles de réduire la qualité du travail des commissaires. Toutefois, selon Hassan Dabchy, expert en prévention de fraude, les interrogations sur ces dysfonctionnements doivent également tenir compte des problèmes de réglementation. Ainsi, nous explique-t-il, les experts ne doivent pas cumuler, en principe, la fonction de commissaire aux comptes et les missions de conseil, une contrainte légale qui n'est pourtant pas toujours respectée. Interrogé sur ces aspects, Amar Cheikh, président de la commission Finances au Parlement, se dit également interpellé. Il estime, qu'il existe un vide juridique quant à la réglementation stricte du cadre d'exercice de l'audit de façon générale. Une loi concernant ce volet est actuellement en gestation au niveau du Parlement, nous a-t-il également confié.
Défaillances structurelles ?
Les experts-comptables réfutent quant à eux la plupart de ces analyses. S'agissant des cas de fraude qui font surface dans les sociétés, les experts-comptables admettent qu'en effet, entre 5% à 10% seulement de ces malversations sont détectées dans le cadre de missions de commissariat aux comptes. Cela, estiment-ils, s'explique par le fait que le commissaire n'est pas mandaté pour détecter des fraudes. Mais lorsqu'il constate ces situations fâcheuses dans le cadre de sa mission, il est de son devoir d'alerter le management de l'entreprise ou le CDVM, lorsque l'entreprise fait appel à l'épargne publique. De même, s'agissant du cadre légal de l'exercice du métier, il n'y a, du point de vue des gens de la profession, ni vide juridique ni carence en matière de surveillance de celle-ci. Ils estiment que sur le plan réglementaire, l'Ordre des experts-comptables disposent des outils nécessaires au contrôle du respect de la déontologie. À ce propos, Aziz Bidah, associé gérant de Pricewaterhouse Coopers, nous explique que l'Ordre assure un contrôle de qualité de l'activité des experts-comptables. Il peut de ce fait, en cas de manquement et selon la gravité de la situation, mettre en garde l'expert, le mettre en demeure voire lui interdire d'agir en qualité de commissaire aux comptes. Toutefois, Aziz Bidah reconnaît également que faute de moyens, ces surveillances ne sont pas systématiques. Le contrôle de l'Ordre ne porte essentiellement que sur des aspects liés à l'organisation du cabinet d'expertise, à la déclaration des missions de commissariat effectuées et au respect du nombre d'heures requis pour accomplir chaque mission. Il y a donc lieu de se demander quelle instance peut aujourd'hui, en cas de doute, revérifier ou remettre en cause la qualité du rapport ou de l'opinion du commissaire aux comptes ? Un tel organe n'existe pas au Maroc et de l'avis de certains observateurs, c'est à ce niveau particulièrement qu'il y a matière à s'inquiéter. Un scandale tel que celui d'Enron qui a occasionné, dans le cadre de la loi Serbanes-Oxley, la mise en place d'instances de surveillance du commissariat aux comptes et l'accentuation de la sécurité financière aux Etats-Unis, ne s'est certes pas encore produit au Maroc. Mais n'est-il pas nécessaire d'anticiper et de se prémunir contre ce genre de risque ? En tout cas, comme dit l'adage, mieux vaut prévenir que guérir.
Benchmark : Loi Sarbanes-Oxley, principaux axes
1. Certification des comptes
Le directeur général et le directeur financier sont obligés de certifier les états financiers publiés, au moyen d'une déclaration signée (article 302).
2. Contenu des rapports
Les entreprises doivent fournir à la Securities and Exchange Commission (SEC) des informations supplémentaires afin d'améliorer l'accès à l'information et sa fiabilité. Les entreprises doivent rendre publics les ajustements comptables identifiés par les auditeurs, les engagements hors bilan, ainsi que les changements dans la propriété des actifs détenus par les dirigeants. En outre, ces derniers doivent rédiger un rapport sur les procédures de contrôle interne et préciser si un code d'éthique a été adopté.
3. Contrôle de la SEC
La SEC devra procéder à un contrôle régulier des sociétés cotées qui doit intervenir au moins une fois tous les trois ans.
4. Comités et règles d'audit
Les entreprises doivent mettre en place un comité d'audit indépendant pour superviser le processus de vérification. Celui-ci est responsable du choix, de la désignation, de la rémunération et de la supervision des auditeurs. Il doit également mettre en place des procédures pour recevoir et traiter les réclamations mettant en cause la comptabilité, les contrôles internes comptables et l'audit, et garantir le traitement confidentiel des observations émanant
du personnel de la société concernant des problèmes comptables ou d'audit (article 301). En outre, la loi prévoit la rotation des auditeurs externes (article 203).
5. Création du Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB)
Dans le cadre des articles 101-109, un nouvel organisme de réglementation et de surveillance est créé (PCAOB). Celui-ci doit superviser les cabinets d'audit, établir des normes, mener des enquêtes et sanctionner les personnes physiques ou morales qui ne respectent pas les règles.
6. Sanctions
Des sanctions pénales sont créées et d'autres considérablement renforcées. Nous retiendrons, à titre d'exemple, que la certification d'états financiers non conformes à la réglementation est passible d'une amende de 1 million de dollars ou d'un emprisonnement de 10 ans au plus.
Source : Revue française de gestion n°147
Aziz Bidah : Expert-comptable, Associé-gérant de Pricewaterhouse
Le commissaire aux comptes examine les comptes selon les normes internationales d'audit. Il met en œuvre les moyens et pratique les sondages et vérifications nécessaires qui devront lui permettre de détecter les anomalies significatives. Le niveau de signification se détermine par référence à l'importance des éléments audités, à la situation financière et aux résultats de l'entreprise. Son jugement de professionnel compétent et indépendant reste un élément majeur dans son appréciation du seuil de signification. Ceci dit, il n'y a aucune contrainte commerciale qui puisse peser sur le professionnel, membre de l'Ordre. En outre, la loi, la déontologie et la pénalisation qu'engendrerait leur transgression font que celui-ci ne peut se permettre de prendre le risque de perdre son indépendance et de se compromettre. Donc, mis à part les brebis galeuses qui peuvent exister dans n'importe quel métier, la profession est saine.S'agissant de la responsabilité, les entreprises ont des organes de surveillance, conseils de surveillance ou conseil d'administration, et un management chargés de mettre en place un système de contrôle interne efficace et de veiller à son application. Elles ne peuvent faire endosser cette responsabilité au commissaire aux comptes. Celle de ce dernier est de mettre en œuvre les diligences requises pour motiver son avis quant à l'image fidèle des états financiers. Il fait un constat et n'émet pas des jugements de valeur sur les actes de gestion. Il ne peut par conséquent être mis à l'index au titre des décisions de gestion. Quant aux fraudes éventuelles, elles restent dans tous les cas condamnables. Le commissaire aux comptes, lorsqu'il en a connaissance, se doit de les révéler aux organes de surveillance et au CDVM lorsqu'il s'agit d'une société qui fait un appel public à l'épargne.
Driss Oudghiri : Expert-comptable, cabinet DO Consulting
La mission du commissaire aux comptes est une mission légale, imposée par la loi dans l'objectif d'informer et de protéger les actionnaires, les associés et les tiers. Selon la législation en vigueur, les SA doivent avoir un commissaire aux comptes, quelle que soit leur taille (deux lorsqu'elles sont cotées) et les SARL sont tenues d'en nommer un dès que leur chiffre d'affaires atteint 50 MDH. S'agissant de la crédibilité du travail du commissaire aux comptes, je dois simplement dire que comme dans toutes les professions, il peut y en avoir de bons comme de mauvais. Mais les outils réglementaires nécessaires à l'exercice de la mission sont disponibles. Et si l'on applique correctement les règles établies par l'Ordre, en principe, on devrait aboutir à de bons résultats. Toutefois, il y a lieu de préciser que le commissaire aux comptes ne certifie les comptes que dans leurs aspects significatifs. Il ne revoit pas toutes les écritures comptables. Cela ne relève pas de sa mission, elle relève des autres chaînes de contrôle. Pour bien exercer sa mission, le commissaire doit tout de même avoir une bonne compréhension de l'activité et de l'environnement de l'entreprise. Il doit également chercher toutes les informations (budget, rapports externes, rapports des auditeurs internes...) susceptibles de l'aider dans l'appréciation du risque. Plus il a une bonne connaissance des risques de l'entreprise, mieux il saura orienter ses travaux.


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