Consommer propre, consommer vert. Véritables stars de ce millénaire, les énergies renouvelables commencent petit à petit à se frayer un chemin dans notre vie quotidienne. Toutefois, le coût du kilowatt/heure issu de ces nouvelles technologies énergétiques rend leur adoption difficile au regard d'un mode de production industriel orienté massivement vers les énergies fossiles. L'ère du «vert à tout va» n'étant certainement pas pour demain, une question s'impose : n'est-il pas plus judicieux de rationaliser notre consommation d'énergie dès aujourd'hui, surtout dans un pays comme le nôtre qui importe une grande majorité de l'énergie qu'il consomme ? «Réduire la consommation d'énergie et mettre en œuvre un outil dynamique de comptabilité énergétique permet d'améliorer la productivité d'une unité industrielle», témoigne Meriem Berrada Elmandjra, directrice générale déléguée de Reduce Invent Optimize (RIO), société spécialisée en diagnostic énergétique et outils d'accompagnement et de suivi. Toute démarche d'efficacité énergétique a pour objectif de répondre à une interrogation précise : Y a-t-il une bonne adéquation entre la production de mon entreprise et ma consommation d'énergie ? Pour y répondre, trois étapes sont nécessaires : l'audit énergétique, la mise en œuvre de mesures correctives et le suivi de ces actions. Pour commencer, il est nécessaire d'identifier une situation de référence qui permette de mettre en évidence les déperditions énergétiques. «On ne peut améliorer ce que l'on ne peut mesurer», disait avec justesse lord Kelvin. Pour rester dans l'industrie, l'entreprise bénéficie d'un inventaire exhaustif de ses équipements, de leur état et de leur exploitation. Pour ce faire, une série de capteurs est installée dans le but de mesurer l'énergie consommée d'une part, et le nombre d'unités produites par le biais de cette consommation. La corrélation ainsi établie permet d'identifier les postes les plus «énergivores» et d'agir en conséquence. L'élément humain n'est pas en reste, puisque l'observation des comportements des collaborateurs constitue une composante importante de l'audit énergétique. D'un point de vue concret, la mise en œuvre des recommandations issues des audits énergétiques permet de réaliser des économies si importantes qu'il est étonnant, pout ne pas dire consternant, de constater le peu d'engouement qu'elles suscitent. «Tant que leur société génère des bénéfices, beaucoup de patrons ne cherchent même pas à savoir si leur consommation d'énergie est effectivement adaptée à leurs besoins», nous confie un directeur de société opérant dans le même secteur. Pourtant, ceux-ci ont apparemment tout à y gagner. Jusqu'à 70% d'économie dans le tertiaire Pour beaucoup d'entreprises auditées, surtout dans le tertiaire, il est étonnant de constater qu'environ 70% de leur consommation d'électricité correspond en fait à des utilisations non productives. «Cette déperdition d'énergie est surtout due à un mauvais mode de consommation. Nous constatons fréquemment que la climatisation, de même que l'éclairage, fonctionnent toujours alors que les locaux de l'entreprise sont inoccupés. Sans parler des ordinateurs qui restent en veille», déplore Saïd Guemra, directeur de Gemtech, l'un des pionniers du secteur de l'efficacité énergétique. Autant d'énergie gaspillée, avec ce que cela implique comme impact sur la rentabilité de l'entreprise et sa compétitivité, alors qu'il existe des solutions intelligentes qui ne nécessitent pas forcément d'investissements lourds. Prenons un exemple plus pointu, à savoir celui du textile, dont les produits finis diffèrent en fonction des chaînes de production. L'installation de compteurs en des points stratégiques de chaque chaîne donne au chef d'entreprise la possibilité de déterminer avec exactitude combien lui coûte, en termes d'énergie, la production d'un pantalon ou d'une chemise (qui n'ont pas forcément les mêmes niveaux de consommation d'énergie). Cela permet, notamment en matière de contrôle de gestion, d'agir directement sur certains postes et dépenses qui jusqu'à présent étaient passés en charges fixes. Ainsi, un chef d'entreprise peut par exemple décider d'arrêter une chaîne de production parce qu'elle consomme plus qu'une autre, et éventuellement dévier la production vers une chaîne dont la consommation d'énergie est plus efficiente. Cette même logique de course à la performance via une baisse des coûts structurels peut se transposer à d'autres secteurs clés de l'économie marocaine à forte consommation énergétiques, tels que l'aéronautique, l'offshoring ou l'hôtellerie. Pour ce dernier secteur, l'efficience énergétique permettrait une meilleure gestion de l'occupation des chambres en cas de baisse de l'activité. Un directeur d'hôtel pourrait ainsi répondre à des questions précises : ai-je plus intérêt à installer mes clients de manière aléatoire ? Où dois-je plutôt mettre une aile de mon hôtel en sommeil en suspendant l'apport d'énergie grâce à des compteurs intelligents ? Environnement et compétitivité, à quel prix ? Si les économies potentielles peuvent varier de 10 à 25% dans l'industrie, et de 15 à 40% dans le bâtiment, les démarches d'efficacité énergétique peinent à se démocratiser et ce, principalement en raison d'un ticket d'entrée assez élevé. Il faut compter entre 100.000 et 300.000 DH pour une démarche d'efficacité énergétique complète dans une PME, et entre 700.000 et 1 million de DH pour des structures de taille plus importante, coût que l'entreprise peut amortir sous un délai variant de 6 mois à 3 ans. Une démarche efficace, mais néanmoins onéreuse, compte-tenu de la santé financière de nos PME, mais qui s'impose d'elle-même si l'on veut anticiper une hausse certaine des coûts énergétiques. Le sempiternel problème du mode de financement de ces actions revient au devant de la scène, ce qui pousse certains à chercher des solutions. Nous avons contacté l'ONE à ce sujet, mais aucune information ne nous est parvenue à l'heure où nous mettions sous presse. L'espoir est tout de même permis, puisque nous avons appris d'une source interne à l'ANPME que cette dernière travaille actuellement sur un programme d'accompagnement qui sera mené conjointement avec l'Agence pour l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables (ADEREE ex-CDER). Une urgence, compte-tenu des impacts positifs et sur l'environnement et sur la compétitivité des entreprises, tant il est rare que les deux puissent se concilier. Démarche négawatt Les économies d'énergie étant plus qu'un effet de mode, il devenait nécessaire de mettre en place une unité de mesure qui permette de mettre en évidence ces économies. C'est ainsi que le négawatt entre en scène. Concrètement, cette unité de mesure quantifie l'énergie substituée pour assurer un même service. L'exemple le plus fréquent et le plus concret réside en la comparaison entre l'énergie consommée par une lampe «classique» de 100 watts et une lampe à basse consommation (LBC) de 20 watts. En pratique, on peut donc affirmer qu'une LBC génère 80 négawatts. Plus qu'une simple unité de mesure, c'est toute une stratégie qui se développe autour de ce concept, principalement en trois axes : l'efficacité énergétique, la sobriété énergétique et le recours aux énergies renouvelables. La principale innovation de cette démarche consiste en un mix entre des démarches «techniques» (audit énergétique, adoption de nouvelles technologies...) et des démarches plus individuelles, notamment à travers la rationalisation de modes de comportement qui s'inscrivent dans notre quotidien et qui induisent un énorme gaspillage d'énergie. «L'audit seul n'est pas suffisant» Les Echos : Pourquoi ces démarches d'efficacité énergétique ont-elles du mal à se démocratiser ? Saïd Guemra : L'audit en lui-même est important mais n'est pas suffisant. Mettre le doigt sur les disfonctionnements sans mettre en œuvre des recommandations concrètes rend stérile cette démarche. Malheureusement, nous constatons que nombre de rapports d'audit sont relégués au fond d'un tiroir, principalement pour deux raisons. Certains patrons ne voient en ces démarches qu'un coût supplémentaire pour l'entreprise. D'autres entament ces démarches plus pour faire de la communication parce que c'est dans l'air du temps. Ce qui est regrettable. Ce manque d'engouement est d'autant plus incompréhensible au regard des économies potentielles... En effet, mais j'estime que les projets d'efficacité énergétique se démocratiseront en présentant des exemples concrets, notamment des success stories. À titre d'exemple, l'aéroport Mohammed V a pu réduire sa facture électrique de 34% grâce à une démarche d'efficacité énergétique entreprise en 2000. En valeur, cela représente tout de même un gain annuel de 0,8 million de dollars par an. Un autre exemple frappant gagnerait à être connu, celui d'une entreprise de construction qui a pu baisser son ratio énergétique de 34% en adoptant un système d'analyse intelligent des niveaux de consommation. Cette société a pu ainsi augmenter sa production de 52% avec pratiquement le même équipement et le même effectif. Le plus beau est que cette société de construction a également fait profiter ses clients des économies réalisées, et ce en revoyant ses prix à la baisse. Le coût d'une démarche d'efficacité énergétique n'est pas à la portée de toutes les PME. Certes, d'où la nécessité de mettre en place des mécanismes de financement adéquats, tels que des subventions dégressives dans le temps et la mise en place d'un cadre plus incitatif au développement des sociétés opérant dans le secteur de l'efficacité énergétique. À titre d'exemple, la Tunisie compte près de 300 sociétés opérant dans ce secteur. Le Maroc s'est tourné résolument vers un avenir qui allie compétitivité et écologie, dont le premier jalon sera l'organisation de la Journée de la Terre.