Pour la première fois au Maroc, une enquête sur le secteur culturel est réalisée. Et d'un point de vu économique, s'il vous plaît ! Littérature, musique, arts plastiques, cinéma, tout y est passé. Enfin, presque. Bien que les arts «nouveaux» (arts de scènes, arts vidéo...), ne soient pas représentés dans cette étude, il n'en reste pas moins que le travail de terrain réalisé par le Centre de recherche de l'école HEM (CESEM), présenté mardi 6 avril à Casablanca, offrait une vision panoramique de l'état de la culture au Maroc. Et pour une fois, il ne s'agit pas d'un constat de lamentations ou d'une surévaluation des potentiels d'un marché culturel imaginaire. L'assemblée a même eu droit à des chiffres : 45% des entrepreneurs de la culture se considèrent être des entrepreneurs comme les autres, deux tiers des structures associatives dépendent en grande partie du financement de l'Etat, les Marocains dépensent 1 DH par an et par personne pour l'achat de livres... Dans un secteur qui, depuis quarante ans, tente de se professionnaliser sans bilan, sans étude, sans chiffres, cette poignée de journalistes et de professionnels se sont retroussé les manches pour tenter d'apporter une évaluation concrète de l'économie culturelle au Maroc. En effet, bien que très jeune, le pays peut néanmoins se vanter d'avoir une économie culturelle. Charge à lui ensuite de ne pas en faire l'économie. Qui gère la culture ? (dans le privé) Le titre de l'étude aurait pu se passer de parenthèses, étant donné que le secteur culturel au Maroc est presque entièrement géré par des fonds privés. Sur le panel d'entrepreneurs culturels (associations ou entreprises) interrogés, 91% déclarent être autonomes et ne s'appuyer que rarement sur l'Etat, comptant ainsi soit sur leurs fonds propres, soit sur les aides des banques ou de mécènes, ces derniers ne représentant d'ailleurs qu'une faible partie des aides. Et pour cause, pour toute entreprise, le mécénat est par principe contre nature. Un premier paradoxe, qui ouvre la longue liste des contradictions liées à l'économie culturelle. Ainsi, on parle d'économie et de marché, sans avoir une idée de ce que représentent l'offre et la demande. On parle d'entrepreneurs qui n'arrivent pas à se dégager des salaires. On parle de modèles économiques étrangers, sans apporter de témoignages internes pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Et pour finir, on se félicite des compétences existantes, et on critique l'absence de structures pédagogiques de qualité. Tout cela laisse croire que la culture au Maroc préfère encore cultiver les paradoxes que les esprits. Economie de l'événementiel culturel ? Etymologiquement, l'économie est «l'art de bien administrer». C'est justement là que le bât blesse. Au Maroc, il y a l'art, il y a l'administration, mais il manque encore le «bien». Et pourtant ce n'est pas faute d'essayer. «Sur les 164 acteurs interrogés, 90% d'entre eux confient que la professionnalisation ne nuit pas à la créativité», déclare Kenza Sefrioui, journaliste, qui a participé à cette étude. Autrement dit, apprendre à «bien administrer» ne signe pas l'arrêt de la créativité, bien au contraire. Or, cette professionnalisation s'acquiert aux rythmes des années d'expérience. Et pour le moment, les entreprises les plus «vieilles» n'ont pas plus d'une dizaine d'années. En effet, même si l'on pense culture au début des années 70 avec la création d'un ministère de la Culture, on ne pensera économie de la culture qu'à partir des années 2000. La libéralisation des champs artistique et médiatique, le changement d'attitude des pouvoirs publics et la volonté d'exporter une image valorisante du Maroc à l'international, ont ainsi permis de développer un marché culturel. Auparavant, créé en pleines années de plomb, le ministère de la Culture avait pour vocation la sauvegarde du patrimoine. Remontant plus loin dans le temps, l'étude ira même jusqu'à dire que «c'est le protectorat français qui a institutionnalisé les arts dans le pays», et ajoute qu'après l'indépendance, «l'agencement de l'économie de la culture demeure lié au projet de société qui se construit, à la conception de la culture par l'Etat, et au rapport de la société à ses artistes». Le rapport relève, à travers quelques dates clés, comment la culture s'est structurée au Maroc. Citons parmi elles, l'année 2003, qui rappelle l'arrestation des 14 jeunes musiciens, et les attentats du 16 mai. Ou encore 2006, qui signe la libéralisation du champ audiovisuel. C'est à se demander si la culture n'est pas tantôt le remède aux blessures d'une société sous le choc, ou la récompense d'un Etat qui se félicite de son ouverture. Dans ces conditions, à savoir une définition bancale de la culture et de ses objectifs, peut-on envisager une véritable économie culturelle, qui permette un développement dans le long terme ? Et qui mettrait en équilibre «la dynamique et le fonctionnement des secteurs d'activités liés à la culture, en permettant aux biens culturels de circuler dans un marché», comme le souligne le rapport? Car de culture, le Maroc ne semble avoir retenu que la formule des festivals. Des festivals, culturels, gratuits pour la plupart, qui font dans le sensationnel et le populaire, voire même le populisme. Une recette qui marche à tous les coups et fait plaisir au plus grand nombre. Wolfgang Meissner, directeur des instituts Goethe au Maroc, dira lui-même : «Le Maroc est un des pays à avoir le plus grand nombre de festivals nationaux et internationaux, et pourtant c'est n'est pas un aussi grand pays que cela...». À méditer. Une autre question qui mériterait également de mijoter dans les esprits des responsables, et sur laquelle Amel Abou El Aazm, a su conclure son intervention : «Parle-t-on de l'économie de la culture, ou d'économie de l'événementiel culturel ?».