Janvier 2008. Le conseil du gouvernement adopte une loi pour venir en aide au secteur musical. Une aubaine pour les chanteurs, compositeurs, paroliers, distributeurs et musiciens qui militaient depuis des années pour obtenir un soutien financier à leur secteur. Touria Jabrane, ministre de la Culture de l'époque, avait expliqué qu'un comité serait mis en place pour étudier les demandes et qu'une quinzaine de projets devraient bénéficier chaque année de cette aide, dans une limite maximale de 300.000 DH par projet. L'initiative avait été saluée à l'unanimité par les professionnels. Quatre ans plus tard, la commission présidée par Abdelhak Afendi (directeur central au ministère de la Culture) et composée de professionnels, notamment Nouâmane Lahlou, a dévoilé les noms des premiers bénéficiaires de cette aide. Huit projets, donc, qui répondent aux critères de sélection adoptés par le comité (voir interview ci-contre). Depuis, plusieurs voix se sont élevées pour remettre en cause «la transparence» de la commission. Des artistes, notamment Moulay Ahmed Alaoui, fustigent même un manque de neutralité, puisque la commission est «dépendante du ministère de tutelle». Mais au-delà de cette polémique «stérile» selon les membres de la commission, plusieurs se posent aujourd'hui la question quant à la capacité de cette commission de contribuer réellement au développement du secteur de la musique au Maroc. Les avis divergent. «Toutes les initiatives sont à applaudir. Le secteur a besoin de toute aide quelle que soit sa source», affirme Assia Najmi, directrice artistique de la maison de production de Platinium. Le musicologue Ahmed Aydoun, qui a associé son nom à Génération Mawazine (un programme lancé en 2006 par Maroc Cultures qui déniche de jeunes talents de la nouvelle scène), estime que la mise en place d'une structure solide du secteur s'impose. Vous avez dit industrie musicale ? «L'industrie musicale n'existe pas au Maroc. Nous n'avons pas de producteurs ni de managers qui travaillent dans l'intérêt de la carrière des artistes. Bref, nous n'avons aucune structure claire et solide. Nous reprochons souvent aux artistes de chanter dans les cabarets et on oublie que nous n'avons pas d'autres plateformes pour qu'ils puissent subsister. Produire un album de nos jours est vraiment suicidaire», nous confie le compositeur Nabil El Khalidi. Justement, quelles sont les étapes parcourues pour ce faire ? À en croire les propos d'Assia Najmi, la production d'un album nécessite un budget conséquent et un travail de longue haleine. «Après avoir trouvé l'oiseau rare, on s'attaque aux paroles, à la composition et aux arrangements. Comme vous pouvez le constater, cela demande l'implication de plusieurs musiciens et de techniciens. Il y a le mixage, la création de l'album, la pression du CD.... En somme, l'opération nécessite 200.000 DH». Najmi nous assure par ailleurs que Platinium, qui a fermé ses portes pendant un an à cause des problèmes financiers, a cessé de produire des clips en raison justement du budget. «Un clip basique coûte au moins 180.000 DH, chose que l'on ne peut se permettre aujourd'hui». Pis, la société qui produisait 4 à 5 artistes par an se contente aujourd'hui de produire un seul album. «Après avoir déployé tous ces efforts et payé 1,44 DH par CD au Bureau marocain des droits d'auteur (BMDA) pour protéger l'artiste, nous nous retrouvons face au piratage. Vous savez, à cause de ce fléau, il est devenu impossible de se développer. Le retour sur investissement par exemple, nous permettait de dégager les budgets pour produire d'autres albums. Ce n'est plus le cas aujourd'hui», martèle-t-elle. La situation est telle que la plupart des artistes se voient acculés à s'autoproduire, qu'il s'agisse de musique moderne, de chaâbi, de raï, de hip hop ou de rap. «Vous savez, les médias audiovisuels sont responsables en partie de cette situation lamentable. Diffuser en boucle les tubes des chanteurs étrangers, notamment égyptiens et libanais, a changé les goûts musicaux du public marocain. Pire, ces artistes sont tous le temps invités à se produire au Maroc. Ces données font que l'on n'arrive pas encore à avoir un star système dans notre pays», ajoute El Khaldi. Et quand la production tousse, c'est tout le secteur qui s'enrhume ! La distribution et la diffusion souffrent ainsi d'énormément de problèmes. «Les réseaux de distribution sont quasi inexistants. Souvent, on met en valeur le chaâbi et le raï, au détriment des autres styles», souligne le jeune chanteur Hatim Idar. Que faire ? La solution a été déjà trouvée par bon nombre de jeunes musiciens notamment ceux de la nouvelle scène : Internet. «Mettre son tube sur le Net me semble judicieux, puisqu'on sait très bien qu'il va tôt ou tard être piraté», explique Idar. Côté diffusion, les festivals restent la seule plateforme où nos chanteurs peuvent s'exprimer et surtout nouer contact avec le public. Encore faut-il que ces festivals Studio 2M, la polémique continue Lancée il y a 8 ans, l'émission Studio 2M s'est fixé comme objectif de dénicher de jeunes chanteurs à travers les différentes régions du royaume et même à l'étranger. Un an après son lancement, l'émission phare de la chaîne d'Aïn Sbaâ fait la Une de la presse nationale, non pas pour vanter les bienfaits de ce programme sur la promotion de la chanson marocaine, mais plutôt pour reprendre les propos du lauréat de la première édition Abdelaziz Bouhdada qui a attaqué le concept même de Studio 2M. Depuis, plusieurs questions se sont posées quant à l'intérêt d'une émission pareille. «C'est une émission qui ne contribue en rien à la promotion de la chanson marocaine. Après plus de 7 ans d'existence, elle n'a pas encore réussi à nous créer de vraies stars. De plus, ce programme est dirigé par des gens qui n'ont rien à voir avec la musique», affirme Moulay Ahmed Alaoui, compositeur et ex-membre du jury de Studio 2M. Une vision complètement rejetée par Nabil El Khaldi, compositeur et membre du jury de la 8e édition de Studio 2M. «Il s'agit tout d'abord d'une émission de variétés qui n'a pas pour objectif de promouvoir la chanson marocaine. Toutefois, les différents candidats donnent chaque semaine un nouveau souffle à notre chanson en interprétant le répertoire national». El Khaldi tient par ailleurs à préciser que l'émission contestée était un tremplin pour des jeunes qui arrivent aujourd'hui à trouver une place sur la scène marocaine et arabe. «Hatim Ammor, Leila Berrak, Hasna Zallagh, Joudia... sont tous des lauréats de l'émission. Il faut à mon avis, arrêter de voir les choses d'une manière négative et surtout comprendre, une fois pour toutes, qu'il s'agit avant tout d'un programme de variétés», ajoute-t-il. DIXIT L'industrie musicale au Maroc a besoin de toute une structure de création, de production, de marketing, de promotion, de diffusion, de distribution, d'accompagnement juridique... Malheureusement, aucune étude n'a encore été faite concernant ce sujet. La commission mise en place par le ministère de la Culture ne peut pas résoudre tous ces problèmes. Je pense qu'il faut également s'intéresser à toutes les composantes de l'industrie musicale si on veut réellement développer ce secteur qui est vraiment en marge par rapport à ce qui se passe au Maroc, notamment le projet de régionalisation. Ahmed Aydoune, musicologue . Le secteur de la musique a besoin d'un relifting. Nous avons milité pendant des décennies pour que l'Etat subventionne la musique. Maintenant que la commission est mise en place, elle n'arrive pas à remplir sa tâche principale, celle de promouvoir la chanson marocaine. Les festivals organisés tout au long de l'année et les émissions de téléréalité dont l'objectif est de dénicher des talents ne font qu'envenimer la situation. La chanson marocaine ne bénéficie d'aucun soutien réel, ce qui explique son agonie. Il y a des créateurs et des jeunes talentueux, mais malheureusement ils n'ont jamais eu leur chance vu la nature du système mis en place. Il faut repenser tout le secteur pour avoir une vraie industrie musicale. Moulay Ahmed AlaouI, président du Syndicat marocain des professions de la musique . Nous ne le dirons jamais assez ! Le producteur ne peut pas tout faire. Produire un album coûte au moins 200.000 DH, ce qui est énorme. De plus, il y a le problème du piratage. Vous savez, on produit un album et on le retrouve le lendemain sur le marché avec un prix très accessible. L'industrie musicale dans notre pays a besoin de l'implication de l'Etat et surtout du secteur privé. C'est un secteur qui ne décollera jamais si on ne décide pas d'aller jusqu'au bout du problème et surtout d'apporter des solutions fiables. Assia Najmi, directrice artistique de la maison de production Platinium . «Le secteur souffre de plusieurs anomalies» : Nouâmane Lahlou,Chanteur compositeur Les Echos quotidien : Vous êtes membre de la commission d'aide à la musique mise en place par le ministère de la Culture. Quel bilan faites-vous de cette première session ? Nouâmane Lahlou : Comme vous le savez, nous avons reçu plus de 160 projets dont la moitié a été écartée dès le départ à cause notamment de leurs dossiers incomplets. Sinon, nous avons sélectionné 8 projets qui à mon sens répondaient aux critères sur lesquels la commission se base. Je vous assure que nous avons fait un grand effort pour choisir ces projets vu la qualité très limitée de l'ensemble des travaux présentés. Nous avons certainement raté l'occasion de découvrir des projets intéressants puisque plusieurs d'entre eux ont été éliminés d'office. Justement, sur quels critères vous vous basez pour sélectionner les projets qui vont recevoir l'aide ? Nous accordons beaucoup d'importance à la nouveauté. En effet, nous cherchons des projets musicaux nouveaux que nous n'avons pas l'habitude d'écouter. Ensuite, nous exigeons que le projet soit professionnel. J'entends par là le côté technique. Enfin, nous demandons à ce qu'il réponde aux critères de la régionalisation. Ces trois paramètres sont fondamentaux pour nous. Sinon, tout porteur de projet musical qui correspond à ces critères a le droit de présenter sa candidature. Tous les styles musicaux sont les bienvenus. Plusieurs artistes critiquent cette commission en avançant qu'elle n'aide pas réellement la musique nationale et que les conditions pour présenter son projet sont«difficiles». Qu'est-ce que vous en pensez ? Je ne suis pas d'accord avec ces propos. Je pense que les conditions sont très correctes. La commission a décidé dès le départ d'être transparente et d'exiger de tout candidat sélectionné de justifier l'argent reçu. C'est le meilleur moyen pour être sûr que l'aide a été bel et bien destinée au financement du projet musical. Sinon, cette commission n'est qu'une composante parmi d'autres qui pourrait redorer le blason de la musique dans notre pays. Malheureusement, ce secteur souffre de plusieurs problèmes. Est-ce qu'on peut parler d'industrie musicale au Maroc ? Tout à fait. Mais, il faut souligner tout de même que plusieurs problèmes font que cette industrie n'arrive toujours pas à bien s'installer. Tout d'abord, il y a le piratage qui empêche le développement de la production musicale. C'est une problématique voulue puisqu'on ne veut pas la résoudre. Il y a également les droits d'auteur qui restent le maillon faible de la chaîne. Les textes ne sont pas clairs, ce qui crée une certaine ambiguïté. D'ailleurs nous demandons à ce que ces textes soient revus dans le cadre de la nouvelle Constitution. Nous avons des maisons d'enregistrement, mais malheureusement pas de producteurs, ce qui pousse la plupart des artistes à s'autoproduire. Il y a le problème des médias audiovisuels qui ne font rien pour promouvoir la chanson nationale. Au lieu de respecter le quota imposé pour la chanson locale ou de produire des jeunes talents, ils nous imposent des goûts musicaux populistes. Les télévisions et les radios marocaines ont toujours le complexe de l'autre. Les festivals contribuent-ils à la promotion de cette industrie ? Nous avons plus de 154 festivals organisés tout au long de l'année, mais aucun d'eux n'encourage la création contemporaine. À Mawazine, par exemple, on marginalise l'artiste local en impliquant des artistes étrangers dans des projets de grande facture. Pourtant, nous avons au Maroc des compositeurs, des paroliers, des musiciens et des chanteurs de talent. Pis, ce festival sépare les artistes marocains des autres invités en mettant en place trois scènes dédiées respectivement à la scène internationale, arabe et marocaine. C'est une manière de privilégier les artistes étrangers. En tant que musicien marocain, je demande aux organisateurs de Mawazine de revoir leur manière de se comporter avec l'artiste local. Le plus important n'est pas d'avoir 45% d'artistes marocains invités mais plutôt d'offrir à ces mêmes artistes les conditions nécessaires pour s'épanouir. Vous critiquez Mawazine, alors que vous avez accepté de participer à l'édition 2011... Il faut bien que je gagne ma vie ! Je suis pour ce grand festival, mais cela ne m'empêche pas de donner mon avis sur son organisation. L'objectif n'est pas de dénigrer la manifestation, mais plutôt d'améliorer sa qualité d'organisation.