Mauvaise humeur, colère facile, conflits à répétition avec les collègues, tendance dépressive... sont autant de comportements aujourd'hui fréquents dans l'environnement professionnel. Aux personnes agissant de la sorte, on attribue très aisément le qualificatif de «personnalités difficiles». Or, cela n'est pas toujours le cas. Ce que l'on oublie souvent, c'est que ces comportements peuvent ne rien avoir avec la personnalité. Dans certaines situations, ce sont des agissements témoignant plutôt d'un cadre professionnel qui se dégrade et qui tend à devenir insupportable pour les individus. Ceux-ci vivent un stress souvent aigu, et face au manque d'assistance et de reconnaissance de leur situation, l'irritabilité devient alors leur seul mode d'expression. Si les conséquences du stress sont nombreuses et généralement fâcheuses, il n'en reste pas moins que le phénomène continue encore d'être considéré dans beaucoup de cas comme un problème de fragilité individuelle, ainsi que le souligne un rapport de l'association nationale des DRH (ANDRH) (France). D'où la grande difficulté des entreprises à le prendre en compte dans leur management RH. Or, certaines recherches récentes effectuées sur la problématique du stress permettent désormais d'évaluer de façon plus ou moins précise son coût pour les économies nationales et les entreprises. Dans l'Union européenne, selon les estimations actuelles, ce coût serait de 2 à 3% du PIB. Dans une étude menée par le docteur Claudia Put, chercheur à l'Université catholique de Leuven, il ressort par exemple que le stress au travail coûte annuellement 13 milliards d'euros aux entreprises flamandes. En extrapolant ce coût, le docteur Put en arrive à la conclusion selon laquelle la perte de productivité due au stress au sein d'une entreprise (dans le contexte européen) qui compte par exemple 500 travailleurs serait de 2 millions d'euros par an. Quels sont les fondements de ces données ? Quel parallèle peut-on faire avec les situations de stress dans les entreprises marocaines ? Analyses. Méthodologie Plusieurs approches scientifiques ont été élaborées pour tenter de cerner l'impact économique du stress. Mais selon les chercheurs, deux types de difficultés sont régulièrement recensées. Il y a d'une part des problèmes liés à la définition du terme «stress» et d'autre part au type d'indicateurs à prendre en compte pour l'évaluer. S'agissant de la définition, sur le plan micro-économique, c'est celle de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail qui semble faire l'unanimité au sein de la communauté des chercheurs. Selon cette institution européenne,«un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d'évaluation des contraintes et des ressources soit d'ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité de la personne qui y est soumise». Partant de là, les indicateurs d'évaluation du stress les plus considérés relèvent essentiellement de l'environnement professionnel. Il s'agit notamment des coûts liés à la santé au travail, comme ceux qu'engendrent les frais médicaux et l'absentéisme. Parmi les maladies reconnues comme résultantes du stress au travail, dans l'espace européen, il y a les maladies cardiovasculaires (infarctus, maladies cérébrovasculaires, hypertension...), la dépression et certains troubles musculosquelettiques (TMS). Dans sa récente recherche, le docteur Put a suggéré la prise en compte d'un autre indicateur, qui est celui du présentéisme. Il s'agit d'un état de présence sur le lieu de travail mais avec un niveau de performance minimal dû à un mal-être. Selon lui, le coût du présentéisme est beaucoup plus important que celui de l'absentéisme. Son analyse sur les entreprises flamandes fait en effet ressortir que le présentéisme atteint 61% des coûts totaux relatifs à la santé dans une entreprise, suivi par les frais médicaux (28 %) et l'absentéisme (10%). A côté de ces indicateurs quantifiables, il y en a également d'autres plutôt qualitatifs qui peuvent être appréciés via des observations ou des audits du climat interne de l'entreprise. Il s'agit de l'impact du manque de soutien social ou de reconnaissance sur l'accentuation du phénomène de stress. Qu'en est-il au Maroc ? Une question anodine ? Différents analystes s'accordent à dire qu'au Maroc aussi, le stress au travail gagne du terrain. Cependant, contrairement aux entreprises européennes qui ont commencé à comprendre le phénomène et à le prendre en compte dans leur système de management, dans les entreprises marocaines, le stress n'est pas véritablement reconnu. Selon Karima Samir-Bendidane, coach au cabinet Thésis-conseil, c'est surtout dans les centres d'appels qu'une certaine reconnaissance et prise en compte du phénomène commence à émerger du fait du caractère très visible du stress lié à l'activité. Mais pour Slim Kabbaj, coach et fondateur du cabinet IS-Force, les questions relatives au stress sont aujourd'hui encore gérées dans une large mesure de façon individuelle. C'est au collaborateur qui se sent mal en point de se prendre en charge. Pour comprendre l'effort de lutte contre le stress mené par les cadres, souligne-t-il, il suffit de voir comment la demande en médecine alternative (yoga, sophrologie, hypnose...) explose dans les centres urbains, à Casablanca, notamment. Mais ce recours aux médecines alternatives ou même au sport ne concerne qu'une minorité. Car, des sources médicales nous soulignent également comme indicateurs de la montée du stress, la consommation de plus en plus accrue de produits antidépresseurs et le nombre croissant d'hospitalisations pour des maladies habituellement causées par des situations stressantes. Ce que confirme également Slim Kabbaj, qui estime par ailleurs que la façon efficace de lutter contre le phénomène serait que les entreprises s'impliquent aux côtés de leurs collaborateurs en les incitant à privilégier le sport et les solutions alternatives. À ce niveau, quelques entreprises commencent à prendre la juste mesure de la situation. C'est le cas par exemple des opérateurs téléphoniques, Meditel et Wana (aujourd'hui Inwi), qui, nous explique-t-on, ont signé des conventions avec un club de fitness pour permettre à leurs collaborateurs de bénéficier de moments de détente. Karima Samir-Bendidane, Coach au cabinet Thésis-conseil Les entreprises marocaines ne lésinent pas sur les moyens quand il s'agit de formation. Cependant, seuls les centres d'appels sont vraiment sensibles à la gestion du stress dans le milieu professionnel. Et pour cause, le personnel des centres d'appels est constamment soumis à un stress physique dû à la nature et à l'exigence de leur travail. Mais, les facteurs du stress identifiables dans l'entreprise marocaine sont les mêmes qu'ailleurs. Les différents symptômes dus au stress seront entre autres, le manque de challenge, l'indécision, la perte de motivation, la perte d'objectivité, l'apathie, la fatigue, la colère, le manque de confiance en soi, etc. Il en découle un grand absentéisme, et dans le cas de travail physique, des accidents du travail. L'impact de ces deux facteurs sur l'entreprise engendre des coûts directs facilement calculables. Pour lutter contre les situations de stress, il faudra donc changer concrètement le quotidien, en agissant directement sur l'environnement de travail. Il faudra aussi diffuser des modules de formation à la gestion du stress auprès de l'ensemble des acteurs de l'entreprise, car la valorisation des bonnes pratiques a un effet bénéfique sur le stress et tous les autres maux. Il y a un vrai problème de reconnaissance du stress dans les entreprises Les Echos : Les entreprises marocaines sont-elles aujourd'hui conscientes des coûts liés au stress ? Slim Kabbaj : Au Maroc, on n'en est pas encore là. On ne quantifie pas le coût du stress, car il n'est pas encore véritablement intégré dans les entreprises comme une problématique de gestion des ressources humaines. Mais ça se voit quotidiennement que le niveau de stress monte chez les cadres, de même que les situations stressantes augmentent. Donc qu'on le calcule ou pas, le stress a un coût, car un cadre stressé perd de sa performance. Comment identifie-t-on cette montée du stress dont vous parlez ? On peut identifier plusieurs signes qui montrent qu'il y a du stress ambiant dans un univers de travail. On voit souvent des cadres qui fument comme des «pompiers», qui ont une mauvaise alimentation et qui deviennent pâles constamment. Nous rencontrons également des dirigeants qui sont au bord de la crise de nerfs. Et tous se plaignent du manque de temps. Or, le temps est la belle ressource dont nous disposons ; quand on ne l'a pas, on n'a rien du tout. Aussi, l'intelligence de la gestion du temps, c'est l'équilibre. Dans ce cas, comment fait-on face au stress dans les entreprises ? Que ce soit dans le privé ou dans le public, il y a aujourd'hui un vrai problème de reconnaissance du stress dans le travail. On en est plutôt à une réaction individuelle face au stress. Les cadres qui arrivent à l'identifier essaient de se prendre en charge en trouvant leurs propres solutions. Mais beaucoup de gens recourent discrètement aux médicaments antidépresseurs et autres calmants pour faire face à leur stress. Or, au lieu de courir le risque d'une dépendance aux médicaments, mieux vaut privilégier le sport ou la médecine alternative. Heureusement, on voit également une minorité croissante de gens qui font attention à la qualité de leur vie. Ceux-là recherchent la solution à leur stress à travers le sport, le yoga, la sophrologie, l'hypnose... Peu importe la discipline, l'essentiel est de cultiver de bonnes habitudes.