Faire une analyse comparée des performances ne serait-ce qu'économiques des trois pays têtes de proues du Maghreb, est un exercice délicat, voire même audacieux. De manière officielle ou officieuse, les sources habilitées à formuler des analyses sur la thématique sont peu loquaces, sans doute du fait des tensions encore fortes existant au sein de l'espace maghrébin. Cependant, pareille analyse revêt toute son importance. L'Algérie, le Maroc et la Tunisie sont les trois grands pays du Maghreb, aussi bien en termes de population que de potentiel de développement. Ils partagent aujourd'hui la même stratégie, celle de l'ouverture à l'international et de l'accroissement de leur poids concurrentiel sur les marchés tant convoités de l'Afrique subsaharienne. Ils doivent également être les piliers de l'intégration maghrébine. Ces différentes réalités les mettent naturellement dans une double position. La première est d'être des concurrents, la deuxième est de se trouver face à la nécessité impérieuse d'établir une forte coopération économique et politique entre eux, pour assurer leur co-développement dans l'espace régional. Quelle est la situation de chacun de ces pays face à ces enjeux? Comment se positionnent-ils sur la scène régionale et africaine?... Nécessité d'une coopération régionale plus profonde Aujourd'hui, la coopération économique et l'augmentation des flux d'échanges entre les pays du Maghreb sont devenues une nécessité impérieuse. Car, pour soutenir leur croissance, ces Etats ont misé sur l'investissement direct étranger, en provenance notamment de l'Union européenne. Cependant, depuis l'avènement de la crise économique, dont l'issue n'est pas encore tout à fait connue, un net recul de ces investissements est constaté. Selon une étude d'Anima Investment Network, en 2008, l'ensemble des pays du Sud de la Méditerranée a reçu 40 milliards d'euros d'investissements, soit une baisse de 35% par rapport à 2007. Aussi, la croissance des pays de l'Union européenne montrant des signes d'essoufflement (1% en 2008 pour l'ensemble, -0,4% en 2009 et 0,4% prévue pour 2010), les possibilités d'exportations vers l'Europe (client et fournisseur principal de ces pays) se sont réduites. L'Algérie, le Maroc et la Tunisie se trouvent ainsi face à deux options d'avenir en matière d'échanges extérieurs: miser sur le continent africain et redynamiser les échanges économiques dans la région. Or, c'est à niveau que les choses coincent le plus. Un article paru dans le monde sous la plume de Francis Ghiles dressait ce constat poignant mais combien vrai: «Le conflit du Sahara occidental représente toujours l'un des obstacles majeurs à une coopération indispensable entre le Maroc et l'Algérie, freinant les échanges régionaux qui pourraient se développer conjointement avec la Tunisie. Pourtant, une complémentarité existe entre les trois pays et, si elle était encouragée par l'Union européenne, une collaboration politique et économique aiderait à résoudre bien des problèmes de la rive sud de la Méditerranée». Le même article souligne que le commerce entre les Etats d'Afrique du Nord est, aujourd'hui, de l'ordre de 1,3%, ce qui représenterait le taux le plus bas du monde en matière d'échanges entre pays d'une même région. Mais alors, puisque ces difficultés sont réelles et connues de part et d'autre, pourquoi attendre l'intervention de l'Union européenne pour l'aborder sereinement et les résoudre? Pour cela, les trois pays possèdent sans doute les ressources politiques nécessaires. Ils doivent les utiliser pour se tendre la main et faire preuve de bonté volonté. Possibilités de synergie Entre les trois pays, il existe un potentiel d'échanges important, pouvant offrir aux entreprises de part et d'autre de réelles opportunités d'affaires. En commun, les trois Etats forment un marché de plus de 70 millions de personnes. Outre leur secteur traditionnel de base, les hydrocarbures pour l'Algérie, le phosphate pour le Maroc et le tourisme pour la Tunisie, les trois pays présentent des atouts indéniables, où chacun dispose d'avantages compétitifs. Parmi les secteurs fédérateurs qui permettront aux trois pays d'accélérer le rythme de leurs échanges, la Banque mondiale cite: les secteurs des transports, de la finance, de l'énergie et des télécommunications, qui ont connu des reformes importantes dans les trois pays depuis l'entame de leur politique de libéralisation. Cette tendance doit être portée vers le secteur des services où il existe également des possibilités de synergie. Mais celui-ci reste en grande partie fermé à la participation et à l'investissement étrangers en Tunisie et en Algérie, indique également le rapport de la Banque mondiale. Pour que ces synergies soient mises en œuvre, en dehors de la gestion des tensions politiques entre les pays (l'Algérie et le Maroc notamment), il faudrait aussi que la libéralisation des secteurs économiques soit effective, ne serait-ce que de manière conventionnelle entre les trois pays. Selon le dernier classement mondial, la Tunisie est sur ce plan le pays où l'économie est la plus libérée, tandis que le Maroc figure comme pays où elle est le plus administrée des trois nations. Course vers l'Afrique Les marchés africains sont désormais l'un des enjeux les plus importants du moment pour le maintien de la croissance des trois pays. Chacun y joue de son potentiel diplomatique et économique pour bien se positionner dans le jeu concurrentiel africain. Mais tous trois doivent faire face à la redoutable concurrence chinoise bien implantée sur le continent. Sur ce créneau, le Maroc semble être le mieux loti, notamment grâce son poids diplomatique. En 2008, ses exportations en direction de l'Afrique subsaharienne se sont établies à 1,4 milliard de dollars, s'inscrivant en hausse de l'ordre de 170% sur les dix dernières années. Ce dynamisme est essentiellement lié au repositionnement de la stratégie de pénétration des marchés africains adoptée par le Maroc, notamment via des conventions et des accords de libre-échange avec l'UEMOA par exemple. Ensuite on trouve l'Algérie, avec un volume d'exportation en 2008 s'élevant à 830 millions de dollars (dont 750 millions d'hydrocarbures). La Tunisie reste à la traîne avec un volume d'exportation de 107 millions de dollars. Saida Mendili:«Nous ne pensons pas coût du non Maghreb, nous pensons synergies» L'espace maghrébin, c'est aujourd'hui un ensemble de projets concrets, certains déjà réalisés et d'autres en cours. Sur ce volet, on peut citer entre autres projets en voie de réalisation, la zone de libre-échange UMA, à travers la création de la communauté économique maghrébine et l'harmonisation de certains textes juridiques au niveau commercial et fiscal. Il y a aussi des actions importantes réalisées en matière de sécurité alimentaire dans la région et de lutte contre la désertification. Au niveau de l'UMA, nous ne réfléchissions donc plus en termes de coût du non Maghreb, comme il est souvent évoqué dans certaines études (notamment l'étude de la Banque mondiale de 2006). Nous réfléchissons en termes de valeur ajoutée et de convergence entre les pays de l'UMA. Celle-ci doit s'appuyer sur des éléments fédérateurs et créateurs de valeur ajoutée pour les différents pays. Il s'agit notamment du tourisme intermaghrébin, des énergies renouvelables, de l'agro-industrie et de la pétrochimie. Dans ce processus, le secteur privé est appelé à jouer un rôle important. Cela se matérialise déjà, à travers la création d'organisations professionnelles régionales, comme par exemple, l'Union des employeurs magrébins, dont le siège est basé à Alger. Il y a également comme institutions régionales l'union des agriculteurs et des banques maghrébins. Perspectives et défis maghrébins Le CIPE prévoit que pour gérer la pression démographique, la région doit créer entre 20 et 25 millions de nouveaux emplois d'ici 2020. Selon une analyse publiée en juillet dernier par le Centre international pour l'entreprise privée (CIPE), le Maghreb fait aujourd'hui face à quatre types de grande problématique, qui sont d'ordre démographique (urbanisation, conflit interne, déficit d'emploi), climatique (viabilité agricole) de compétitivité mondiale et de développement du capital humain. La question des ressources humaines entre ainsi parmi les préoccupations cruciales dans le processus d'intégration maghrébine, car tout le reste gravite autour d'elle. En termes de perspectives, deux scenarii sont élaborés par les analystes. Le premier est celui où le cadre de coopération entre les pays maghrébins ne réalise pas d'avancée significative. Dans ce schéma, malgré la bonne croissance qu'enregistrent les pays de la région, leur capital humain deviendra à terme un fardeau difficile à gérer. Car, comme l'indique l'analyse du CIPE, «le Maghreb compte aujourd'hui 81 millions d'habitants, dont l'âge moyen est de 24 ans et dont un tiers a moins de 15 ans. La stabilité future dépendra de la manière dont les pressions démographiques sont gérées au sein de l'économie et des institutions de la région». La même analyse, prévoit que pour gérer cette pression démographique, la région doit créer entre 20 et 25 millions de nouveaux emplois d'ici 2020. Le PNUD et le FMI estiment quant eux, le taux de chômage combiné de la région à environ 16% et le taux d'analphabétisme à 40%. Or, dans l'hypothèse d'une intégration économique effective et appuyée par une ouverture internationale de la région, la problématique des ressources humaines devrait constituer une opportunité et un avantage compétitif pour les pays maghrébins. Cette configuration permettrait à l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie disposant déjà d'un capital humain relativement qualifié par rapport à l'ensemble de la région, de jouer un rôle central et de mieux maîtriser les enjeux dans l'espace méditerranéen. À ce propos d'ailleurs, Jean Louis Guigou, délégué général de l'Ipmed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen) affirmait lors d'une conférence à Casablanca, «qu'avec la réalisation de l'union pour la méditerranée, nous aurons un environnement économie équilibré. Les finances proviendront du Moyen-Orient, les brevets de l'Union européenne et les ressources humaines du Maghreb».