Les sidérurgistes sont bien partis pour avoir gain de cause. Le département du Commerce extérieur vient en effet de rendre publiques les conclusions préliminaires de son enquête, initiée le 25 septembre dernier sur les importations de fil machine et de rond à béton. Verdict : «les importations de fil machine et de rond à béton constituent la cause principale du dommage grave causé à la branche de production nationale». Arguments à l'appui, sur la base des données collectées à travers le mécanisme de surveillance des importations, le département du Commerce extérieur considère que «le rythme de croissance des importations de l'année 2012 et du début 2013 s'est situé à un niveau largement supérieur à celui enregistré au titre des 9 premiers mois de l'année 2012». Une évolution qui causerait des dommages supplémentaires à la branche de production nationale, sachant que l'industrie nationale a déjà subi de graves atteintes caractérisées par une dégradation générale de sa situation du fait de l'accroissement des importations. Limiter la casse En clair, il est temps de limiter les dégâts et sur ce registre, les chiffres sont parlants : en termes absolus, les importations de fil machine ont connu un accroissement de l'ordre de 196% et celles de rond à béton ont évolué de 117% au cours de la période de janvier-septembre 2012 en comparaison avec la même période de l'année précédente. En termes relatifs et durant la même période, l'indice de la part des importations de fil machine et de celles des importations de rond à béton par rapport à la production nationale desdits produits a augmenté respectivement de 323,6 et de 119,8%. Résultat des courses : «en vue d'éviter qu'un dommage additionnel soit causé à l'industrie nationale et qu'il soit difficile de le réparer, le Commerce extérieur estime que les conditions relatives à l'application de mesures provisoires sont réunies». El Aid Mahssoussi, chef du département du Commerce extérieur, apporte une précision de taille : «à ce stade, les résultats ne sont pas définitifs. Le département du Commerce extérieur est tenu de publier les conclusions provisoires à l'issue de la phase préliminaire, conformément à l'article 63 de la loi 15-09 relative aux mesures de défense commerciale». Comprenez que les jeux ne sont pas encore faits ! Mais à la lumière des données recueillies par les équipes du département du Commerce extérieur, tout porte à croire que la décision est sur la dernière ligne droite. Un bouclier insurmontable Dans tous les cas, la mesure de sauvegarde projetée ne sera que provisoire. Son contenu ? La mesure consiste à instaurer un droit additionnel spécifique de 0,55 DH/kg pour une durée de 200 jours applicable au delà des contingents de 37.000 tonnes pour le fil machine et de 10.500 tonnes pour le rond à béton. Petite précision : conformément aux prescriptions du traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement membres de l'OMC, le droit additionnel ne s'appliquera pas aux importations de fil machine et de rond à béton en provenance de plusieurs pays : Afrique du Sud, Egypte, Turquie, Tunisie... la liste est longue. Mais la principale «menace» pour les sidérurgistes, espagnols en l'occurrence, est mise hors jeu. En effet, si l'Europe verse dans une surcapacité en la matière qui dépasse largement les 60%, le voisin ibérique, sous l'effet de l'éclatement de la bulle de l'immobilier, atteint un taux sans précédent : 500% dans les produits longs puisque la consommation est d'environ 1 million de tonnes pour une capacité de production d'environ 6 millions de tonnes. D'où l'invasion des produits espagnols sur le marché marocain. Néanmoins, la décision ne fera pas plaisir à tout le monde, les tréfileurs par exemple risquent d'en pâtir. «C'est surtout la mesure de sauvegarde sur le fil machine qui nous rendra la vie difficile. Une telle mesure va profiter surtout aux produits finis égyptiens, turcs et européens...», estime le patron d'une société de transformation de fil machine. Le fil machine est en effet la matière première des tréfileurs et son unique producteur n'est autre que Sonasid. Aussitôt l'enquête annoncée, ces derniers se sont constitués en corporation pour défendre leur cause. Deux organismes ont en effet vu le jour : l'Association nationale industrielle des produits des tréfilés et l'Association nationale des transformateurs de fil machine. Mais visiblement, les parties prenantes ont trouvé un arrangement. «Le spectre des mesures de sauvegarde planait effectivement sur les tréfileurs, qui font partie de notre fédération. Mais un arrangement a été trouvé avec Sonasid, principal producteur de fil machine, sur un quota d'importation. On peut dire que tout est rentré dans l'ordre», indique Abdelhamid Saouiri, président de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME). Le temps de la défense commerciale ! Le département du Commerce extérieur a du pain sur la planche. En dehors de la requête des sidérurgistes, les équipes du département travaillent sur plusieurs dossiers et la valse des demandes de mesures de défense commerciale ne semble pas s'arrêter. La dernière requête en date vient d'être introduite par la société Med Paper à propos de l'importation de papier A4 originaire du Portugal, portant ainsi le nombre des enquêtes en cours d'instruction à cinq. En effet, en moins de deux ans, la division a ouvert cinq enquêtes antidumping et une enquête de sauvegarde. Sur les six enquêtes ouvertes depuis 2011, deux ont déjà fait l'objet de mesures de protection commerciale. D'abord, la requête déposée par Cema Bois de l'Atlas concernant l'importation de contreplaqué originaire de Chine. Ensuite, la requête déposée par la Société nationale d'électrolyse et de pétrochimie (SNEP) concernant la résine de PVC originaire des Etats-Unis a débouché également sur une mesure provisoire, notamment l'application d'un droit antidumping variant de 25, 43 à 63,9% pour quatre mois à compter du 9 avril 2013. Point de vue El Aid Mahsoussi Chef du département du Commerce extérieur Nous avons initié une enquête de sauvegarde pour les importations de fil machine et de rond à béton le 25 septembre dernier, afin de déterminer si ces produits ont été importés en quantités tellement accrues ou dans des conditions qui sont susceptibles de causer des dommages graves à la branche de production nationale. À la suite des résultats de la phase préliminaire, le constat est qu'effectivement le rythme de croissance des importations atteint des niveaux inquiétants. Ce qui risque de mettre en péril le tissu économique national et les sociétés opérant dans ce domaine. Du coup, il est tout à fait légitime de mettre en place des mesures de sauvegarde. Mais précisions une chose, l'enquête n'est pas encore bouclée. Nous sommes à un stade préliminaire, car on doit publier au fur et à mesure les résultats provisoires et ce, conformément aux accords de l'OMC et à la loi 13-89 relative au commerce extérieur. En d'autres termes, rien n'est encore joué. Selon le règlement, les parties intéressées sont habilitées à demander au département du Commerce extérieur l'organisation d'une audience publique dans les 15 jours qui suivent la publication de la décision du ministère. Et si elles présentent des arguments ou des données susceptibles de changer la donne, il n'est pas exclu que la décision change.