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Les brevets marocains peinent à percer
Publié dans Les ECO le 23 - 12 - 2009

Les entreprises sont de plus conscientes de l'importance de l'innovation. Désormais une question de survie, la R&D (recherche et développement) occupe plus de place au sein de ces structures et les budgets qui lui sont accordés sont de plus en plus colossaux. Au Japon, la R&D représentait 4,3% du budget de l'Etat en 2008. Israël réinvestit chaque année 4,75% de son PIB dans la R&D alors que la Chine réinjecte 1,2% d'un PIB qui avoisine les 2.800 milliards de dollars. Autant de chiffres révélateurs de l'importance de l'innovation pour ces nations. Qu'en est-il donc du Maroc? Seulement 0,8% du PIB serait réinvesti chaque année dans la R&D ! À titre de rappel, le Produit intérieur brut du Royaume avoisinait, en 2008, les 128,4 milliards de dollars.
Brevets d'invention dans le monde
La «production» mondiale de brevets continue à croître de quelque 4,5% par an. La raison principale de cette évolution est l'accroissement de la demande de brevets de la part de la Chine, la Corée et les Etats-Unis. Entre 2005 et 2006, le nombre total d'enregistrements internationaux par des déposants de Chine, République de Corée et USA a augmenté respectivement de 32,1%, 6,6% et 6,7%. Le Bureau Américain des Brevets et Marques a été, en 2006, le plus grand récepteur d'enregistrements de brevets avec quelque 426.000 demandes. Les Offices de brevets, de Chine, de Corée, du Japon et l'Office Européen des brevets en reçurent également un grand nombre. Les dépôts de brevets tendent à se concentrer dans un nombre relativement réduit de pays. En 2006, le Japon, les Etats-Unis, la Corée du sud, l'Allemagne et la Chine ont compté pour 75% des dépôts de brevets dans le monde. La Chine a particulièrement accru le nombre de ses brevets. Aujourd'hui, elle participe à hauteur de 8% de la production mondiale contre 1,8% il y seulement 9 ans. Cette croissance phénoménale est majoritairement due à l'accroissement des dépôts nationaux.
Et le Maroc ?
Le pays souffre d'un déficit de chercheurs. Au Maroc, ils sont 6 pour chaque tranche de 10.000 habitants contre 140 aux Etats-Unis et 180 au Japon. Sur le continent africain, le Royaume occupe la sixième place en matière d'innovation alors qu'il était troisième il y a tout juste huit ans. L'écart pourrait devenir plus important si aucune mesure n'est prise pour redresser la barre. En matière de brevets, la situation n'est pas meilleure. Sur 1,8 million de brevets produits chaque année sur la planète, le Maroc est censé en livrer 10.000. Nous ne déposons qu'environ 700 brevets par an ! Mais ce n'est pas tout. Seuls 20% de ces brevets sont déposés par des marocains. De manière générale, il y a une augmentation du nombre de brevets déposés dans les pays émergents. Les offices de brevets du Brésil et du Mexique continuent à recevoir un grand nombre de demandes de dépôt. Cependant, pour la plupart des pays émergents, ces dépôts émanent majoritairement des non résidents. D'un autre côté, le Système PCT (Patent Cooperation Treaty), système de demandes internationales de brevets, est de plus sollicité par ces pays. Cette tendance dénote de l'intérêt croissant que portent certains pays à l'exportation de leurs technologies. La part de valeur ajoutée des brevets dans le PIB marocain n'a pas été évaluée, mais est, en tout état de cause, négligeable. Youssef Lotfy explique que «ceci signifie que le Maroc ne vend pas sa créativité». L'artisanat et la confection sont des exemples frappants. «Ces activités restent à faible valeur ajoutée et n'ont d'intérêt que la «valorisation de la main d'œuvre», ajoute l'ingénieur conseil. Mais il existe également un secteur de la sous-traitance où une créativité non négligeable peut se manifester. Celle-ci est, la plupart du temps, non valorisée et totalement contrôlée par les donneurs d'ordre, même si les innovations peuvent se faire par des commandités marocains. Pourtant, certains brevets marocains ont fait étincelle. C'est, par exemple, le cas de l'émission de Alkadam addahabi qui a fait ses preuves au Maroc et qui intéresse beaucoup de professionnels dans les pays arabes. Le brevet relatif à cette émission a été déposé en 2003. Depuis, des négociations ont eu lieu en vue de son exploitation.
Comment breveter son innovation
Sous réserve que le procédé, le produit ou l'application soit brevetable, trois critères doivent être observés. L'invention doit tout d'abord, être nouvelle. En effet, une recherche bibliographique peu très vite révéler l'existence d'une technologie similaire à celle que l'on souhaite enregistrer. Il faut ensuite que l'invention apporte un réel changement dans les habitudes liées à l'utilisation de la technique. L'invention ne doit pas se contenter d'améliorer un existant mais le créer. Enfin, l'invention doit avoir une portée industrielle. En d'autre terme, elle doit avoir un intérêt et une utilité substantielle. En outre, il est recommandé de conserver le caractère confidentiel de l'invention. Cependant, la loi marocaine, ce qui n'est pas le cas d'autres pays, autorise l'inventeur à communiquer autour de ses travaux et lui accorde un délai de 12 mois pour déposer sa demande après divulgation. Pour déposer une bonne demande de brevet, il est souvent recommandé de faire appel à des professionnels. En effet, en plus de leurs capacités «rédactionnelles», ces spécialistes peuvent aider à valoriser le brevet et aider à sa commercialisation notamment sous forme de contrats de licence. Quant aux coûts engendrés, le droit de dépôt de brevet est de l'ordre de 500 DH HT à l'OMPIC. Ce prix est destiné aux PME, aux universités et aux personnes physiques. Pour les autres, il faut compter 1.000 DH HT. À ces prix, il faut ajouter des annuités (par tranches de 5 ans) et éventuellement des droits de longueur du mémoire descriptif dépassant 20 pages. Il est de 20 DH HT pour les PME, universités et personnes physiques tandis qu'il est facturé à 40 DH HT pour tous les autres.
Après le brevet
Une démarche «brevet» temporaire est sans importance. Du simple fait que le domaine d'intérêt soit réellement porteur sur le plan commercial, il est tout à fait normal qu'une technologie et, donc, les brevets qui l'accompagnent soient évolutifs. C'est justement à ce niveau que la R&D prend tout son sens. Une structure pareille doit compter des personnes à l'esprit ouvert, capables de voir les variantes et les optimisations possibles de ladite technologie. Ceci génère bien évidemment des charges supplémentaires auxquelles on doit se préparer. Il faut également prendre en compte et envisager des frais relatifs à la veille technologique. En effet, déposer un brevet impose une veille contre les risques de copie illégale (piratage) et contre l'imitation (contrefaçon). Beaucoup d'entreprises n'ont de valeur que par les brevets qu'ils détiennent. Le manque à gagner par ces deux phénomènes peut avoir un impact décisif sur la survie même de l'entité qui exploite le brevet. Pour les petites structures, il arrive très souvent que les moyens à mettre en œuvre dépassent les moyens disponibles.
C'est sans doute l'occasion
de faire le saut qualitatif et quantitatif vers de nouveaux financements, de nouveaux partenariats ou des transformations radicales de l'existant. Il ne faut pas l'oublier, «l'union fait la force».
«Le Maroc exporte plusieurs brevets»:Youssef Lotfy, expert en propriété intellectuelle
Les Echos : Quel est le coût d'une démarche «non brevet» ?
Youssef Lotfy : Le Maroc fait partie des pays à faible capacité scientifique. Si l'innovation vient en grande partie de l'étranger, son importation revient à payer l'ensemble de la chaîne des valeurs liées à la production de cette technologie. Ainsi, en exploitant une technologie qui n'est pas la notre, nous payons les emplois qui l'ont créé, les taxes et impôts ainsi que les bénéfices. D'un autre côté, cette consommation augmente le manque à gagner en emplois locaux et en taxes locales. À cela s'ajoute la déperdition en développement humain et en savoir faire local.
Qui est responsable de cette situation ?
Il n'est pas nécessaire de rejeter la responsabilité sur quelqu'un de particulier puisque tout le monde, à mon sens, est responsable. Le plus important est de faire en sorte de relever le challenge et de s'unir pour améliorer la situation. Comme dans toute politique qui réussi, c'est l'union entre le gouvernement, le secteur publique, les banques et même l'enseignement qui pourra faire bouger les choses. Chacun à un rôle à jouer. Chacun doit admettre qu'il a une responsabilité qu'il doit assumer.
Le Maroc exporte-t-il des brevets ?
Bien évidemment. On peut citer par exemple, le tagine «électrique», le dentifrice et le shampoing au Ghassoul, l'exploitation des phosphates et beaucoup d'autres brevets. Il est cependant utile de noter l'absence de concertation et de concentration de moyens sur certains secteurs clés. Pour que le Maroc puisse réussir ce défi, il faudrait que public (d'abord) et privé (ensuite) se tiennent solidairement la main. Un exemple de réussite, la stratégie des «Grappes industrielles» d'il y a bien des années, qui est devenue plus tard celle «des Métiers Mondiaux du Maroc».


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