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CES : Le laboratoire social est né
Publié dans Les ECO le 23 - 02 - 2011

C'est incontestablement le meilleur timing qui pouvait être considéré pour la mise en place du Conseil économique et social. Sur fond de revendications de la jeunesse marocaine, cette même jeunesse a été mise au centre d'intérêt de la nouvelle institution, de même que les aspirations qu'elle scande depuis quelques jours. Néanmoins, il n'est point ici question de se plier «arbitrairement» ni de se fixer des objectifs «aveugles» dans l'unique but de calmer une tension sociale. Le ton en a d'ailleurs été donné par le discours du Souverain, qui présidait lundi à Casablanca, l'investiture du Conseil. «Si nous donnons le coup d'envoi de ce Conseil aujourd'hui, c'est parce que nous nous sommes constamment refusés à céder à la démagogie et à l'improvisation dans notre action visant à consolider notre modèle singulier de démocratie et de développement», a clairement souligné le Roi Mohammed VI. Seulement voilà, si important et stratégique que soit le rôle que devra jouer le Conseil économique et social, celui-ci devra ancrer son statut de baromètre de la croissance et de jauge pour l'avancement des grands chantiers du pays. Une mission tangente, certes, avec celle du parlement mais à aucun moment interférante. D'ailleurs, le Souverain l'a bel et bien exprimé dans son discours : «Nous ne sommes nullement disposés à laisser ce Conseil se muer en une sorte de troisième Chambre. Nous entendons, au contraire, qu'il soit un nouvel et large espace, apte à conforter ce qu'offre l'Etat des institutions en termes de structures et d'instances de dialogue constructif, d'expression responsable et de réactivité positive aux aspirations des diverses catégories sociales et des différentes générations». Pour cela, le Conseil s'est vu donner la marge de manoeuvre de mener des études prospectives et de se «dresser en une force de proposition apte à forger un modèle marocain», comme l'a précisé Chakib Benmoussa, investi dans les fonctions de président du CES, qui voit aussi dans la nouvelle institution «un accélérateur des réformes sociales et un outil d'élaboration d'une nouvelle charte sociale». L'ancien ministre de l'Intérieur a cité la problématique de la formation professionnelle ainsi que les stratégies sectorielles y afférentes comme les principaux sujets sur lesquels vont se pencher les membres du Conseil. Ce dernier pourra intervenir dans toutes les lois, à l'exception de la loi de finances qui reste l'apanage des deux Chambres élues. Cette délimitation des compétences est au passage très importante dans la mesure où les deux Chambres vont être les initiatrices de l'action du Conseil.
Risques et zones d'ombre
Le risque majeur, dans ce registre, est évidemment lié à une inertie de la nouvelle institution qui, faute de demande d'avis, devra se contenter du volet des études prospectives dont les recommandations pourraient souffrir d'inapplication. Les membres du Conseil nouvellement nommés semblaient avoir conscience de ce risque. Pour Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas, «la mission du Conseil est essentiellement consultative, mais également prospective. Ceci ne signifie pas que le Conseil ne va pas prendre l'initiative en contactant le gouvernement et le Parlement au sujet des questions d'actualité». Le même constat est dressé par Abdelilah Hifdi, le président de la Fédération des transports : «Cette institution est capitale que ce soit en matière de la bonne gouvernance, de la formation ou encore dans les questions ayant trait à l'environnement», a-t-il insisté au lendemain de sa nomination au sein du CES. Ce sont des sujets sur lesquels le Conseil se penchera durant les semaines prochaines», a-t-il révélé. D'autres membres du Conseil y voient des signes de solidarité sociale, au-delà de ses missions d'orientation de l'action du gouvernement. Abdelmaksoud Rachdi, président de l'Union des organisations éducatives marocaines, et fondateur du réseau Euromed Maroc, a plutôt été enclin à mettre en avant le satisfecit enfin ressenti après la mise en place du Conseil. «C'est un moment important, car le Conseil était très attendu, a-t-il affirmé après sa nomination, et il va participer à une meilleure visibilité des diverses revendications». En effet, en dépit de son caractère consultatif, la mixité des composantes du Conseil fait que chaque partie a ses propres attentes, avec cependant un objectif commun qui consiste d'abord à établir des mécanismes d'élargissement de la participation et fournir par la suite à certaines catégories sociales l'opportunité de faire entendre leur voix.
Il est remarquable que plusieurs remarques présentées par le tissu associatif via un mémorandum au lendemain de la présentation de la loi organique 60-09 ont été en partie satisfaites, notamment celles appelant à donner des sièges à part aux associations culturelles et artistiques et au renforcement de l'approche genre dans la composition du Conseil. La présence des acteurs des droits de l'homme qui était aussi une demande pressante du mouvement associatif a également été satisfaite avec un siège accordé à Ahmed Herzeni. La décision du Conseil constitutionnel prise en mars 2010 a également été prise en compte et avait pour but de «dissocier le préambule qui accompagnait la loi organisant le Conseil et qui ne rentrait pas dans le cadre fixé à cette loi organique», avait jugé le Conseil constitutionnel. Ceci a permis de tempérer la charge politique de la nouvelle institution, incompatible avec son statut d'expertise et d'orientation et surtout pour bien le distinguer des deux Chambres élues. Plusieurs questions restent cependant en suspens jusqu'à la publication des décrets d'application de la loi organique 60-09. Il s'agit essentiellement du devoir d'information dû au gouvernement et au Parlement avant de procéder à n'importe quelle étude. Les effets de cette demande «d'autorisation» ne sont pas encore éludés, tout comme les moyens procéduraux offerts au Conseil pour mieux sauvegarder son pouvoir «de consultation». La publication des avis et non pas les rapports préparatoires prête également à confusion puisque ces rapports peuvent être cantonnés au secret dans plusieurs cas, tout comme les délais extrêmement courts dans lesquels le Conseil doit émettre des avis dans les cas d'urgence. Des cas qui n'ont pas été encore précisés et sur lesquels les décrets qui seront signés par Abbas El Fassi devraient donner plus d'éclaircissements.
Le hic de la tutelle
La mosaïque socioéconomique représentée au Conseil doit pour sa part trouver des modes de connexion entre ses diverses composantes pour donner lieu à des analyses de conjoncture objectives. Ces dernières constituent le deuxième «droit» attribué au Conseil par son texte de base. La présence du Haut commissaire au plan parmi les membres du Conseil vise surtout à éviter les enchevêtrements très nuisibles pour la fiabilité et l'appréciation des indicateurs socioéconomiques. D'autres questions renvoient quant à elles au pouvoir directement exercé par le Conseil, qui risque de tomber dans les mêmes avatars rencontrés par le Conseil de la concurrence, à savoir l'absence de la coercition nécessaire à la mise en application des propositions contenues dans ses études et ses recherches. Ceci rejoint l'interdiction faite au Conseil de ne pas faire des études sans avoir l'aval de l'Exécutif et des deux Chambres. Des limites qui laissent entendre que si le Conseil est sous «tutelle» en matière de prise d'initiative, c'est pour l'amener à coordonner son action avec les autres institutions du gouvernement et éviter la paralysie rencontrée dans d'autres expériences étrangères.
Y.B
Ciment social
Par Hanaâ Foulani
Les traits tirés et la petite mine de Chakib Benmoussa aux côtés du Roi lundi, en disent long sur l'ampleur de la mission qui pèse désormais sur ses épaules. C'est que l'homme n'a pas droit à l'erreur. Avec son secrétaire général, le visionnaire Driss Guerraoui, il a pour mission de traduire la voix du peuple, ses ambitions, ses rêves et ses priorités en charte sociale. Ce qui est loin d'être une mince affaire, surtout dans les circonstances actuelles. Le CES sera finalement le cœur battant du Maroc de demain. Et en le désignant comme coach, le souverain donne à Benmoussa le statut d'ingénieur de la «révolution» marocaine. C'est à lui qu'incombe finalement la lourde tâche de cimenter les attentes de la rue et les actions des gouvernants, pour que tous avancent d'un pas sûr et en toute harmonie vers un seul et même objectif, celui du rayonnement économique et social. Régionalisation, industrialisation, croissance, ouverture internationale, emploi, formation, compétitivité... sont les repères de la nouvelle équipe en place. Le message royal est clair. Le Maroc avait déjà tracé sa voie. À sa façon. Et il continuera son chemin de manière tout aussi réfléchie et sereine. C'est la meilleure voie pour atteindre ses objectifs au plus vite et surtout, pour ne pas rater sa cible. C'est là tout le défi de Chakib Benmoussa. Celui d'être le baromètre de ce que veut et de ce que vit le citoyen marocain, anticiper sur ses revendications, y apporter des réponses concrètes et surtout réalistes. Et le président du CES est très bien placé pour cela. Son parcours mixte entre le privé et le public, dont notamment une expérience «très particulière» de ministre de l'Intérieur pendant les élections de 2007, en font un des rares experts en réalité socio-économique nationale. Espérons qu'il saura, avec sa méthode, transformer le rêve de la nouvelle génération de Marocains en réalité.
L'urgence est pour les structures de gouvernance du Conseil
La composition du Conseil se veut souple. Outre les commissions permanentes, la loi accorde au Conseil l'autorisation de créer des commissions temporaires et des groupes spéciaux de travail dans des questions très précises. Ceci renvoie évidemment au rôle d'expertise attendu du Conseil et dont la composition figée pourrait en altérer la teneur. Même si ce sont les décrets d'application qui devront le confirmer, les commissions seront au nombre de cinq : celle des experts, des syndicats, des associations professionnelles, des associations de l'économie sociale, sans oublier une dernière commission regroupant BAM, le HCP, le CCDH, le CCME et le Conseil supérieur de l'enseignement. Les affaires qui seront éventuellement soumises à l'assemblée générale du Conseil doivent de leur côté bénéficier de la majorité des voix des membres. Encore une fois, ce sont les décrets d'application qui devront clarifier le poids de chaque commission ainsi que les modes de répartition des membres nouvellement nommés. Les décrets d'application devraient intervenir en principe avant la session d'avril, avant de permettre au CES d'entrer vite dans le vif de ses compétences. Un vide subsiste cependant sur le travail du CES durant les périodes d'intersession parlementaire, du moment qu'il doit aviser les deux Chambres en vacances de tous ses projets d'avis. Les moyens de saisine du Conseil restent eux aussi à détailler. Toujours est-il que le gouvernement aura jusqu'au mois de mars 2012 pour adapter ou simplement supprimer tous les organes dont les attributions seraient similaires à celles imparties au Conseil. Les structures en ligne de mire n'ont pas encore été identifiées, même si l'allusion est clairement faite à plusieurs organes de régulation sectorielle qui doivent céder certaines de leurs compétences au CES.
Les jeunes et les femmes à l'honneur
La composition du CES n'a pas manqué de surprises. Les pronostics allaient bon train la veille de l'annonce officielle, mais les scénaristes étaient loin d'imaginer trouver le nom de Moâtassim Jamaâ (PJD) sur la liste, surtout que l'homme était au cœur d'un mini-scandale ces dernières semaines. Il est à noter également que, mis à part les incontournables sages du gabarit de Abdellatif Jouahri ou encore Ahmed Lahlimi, la moyenne d'âge des membres du CES est très jeune. La femme était également à l'honneur, avec de nouveaux profils qui se retrouvent pour la plupart, pour la première fois sous les feux des projecteurs. C'est aussi naturellement que les représentants du monde des affaires et des syndicats se sont retrouvés en force, avec en tête, le patron et plusieurs membres de la CGEM. Cette mixité et ces horizons divers, artistes et intellectuels compris, a pour objet de donner au Conseil l'élan qu'il faudra pour accomplir sa mission tout en gardant les pieds sur terre.


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