«J'ai des objectifs individuels basés sur une comparaison entre le Maroc et l'Afrique du Sud. Je ne participe pas à leur définition, mais j'ai la possibilité d'émettre des remarques, qui ne sont, toutefois, pas prises en compte». Ce témoignage d'un ingénieur commercial dans une petite structure spécialisée dans la vente de matériels technologiques, notamment des GPS, est plus qu'éloquent. Celui-ci explique que le marché sur lequel il opère, étant considéré porteur par sa direction, celle-ci ne lui laisse aucune excuse lorsqu'il n'atteint pas ses objectifs. Des exemples tels que celui-ci en matière de fixation d'objectifs, le marché en compte plusieurs. C'est que, dans cet exercice, différents types de contraintes s'imposent. À leur tête, le fait que dans la détermination des objectifs, le pouvoir de négociation d'un collaborateur est en général fortement réduit, même du point de vue légal. Mais cela, peu de salariés le savent. «Lorsque les objectifs font partie intégrante des fonctions du salarié, définies dans le contrat de travail, ils peuvent lui être imposés», explique Youssef Lahlou, du cabinet d'avocats Hajji & associés. Dans l'entreprise, en effet, la pratique courante, comme l'explique Hamid El Othmani, DG de LMS, est que l'objectif global, une fois défini au niveau du top management, n'est généralement susceptible d'aucune remise en cause. Toutefois, cela n'empêche pas les managers d'établir une bonne communication avec leurs équipes, voire de soumettre à leur appréciation le processus de répercussion de l'objectif global (attribution des objectifs individuels). Faille Lorsqu'elle est faite dans les règles de l'art, la détermination des objectifs s'opère de manière «smart» en tenant compte d'un certains nombre de contraintes internes et externes. Celles-ci peuvent être liées à l'historique (réalisations précédentes) de la société, au potentiel du marché ou aux divers engagements de l'entreprise (investissements à réaliser, charges à maîtriser...). Mais selon divers témoignages, même si les objectifs sont définis de façon «smart», les jeux de pouvoir interne aidant, c'est souvent dans leur transfert vers les collaborateurs que les choses se compliquent. D'ailleurs, beaucoup de managers pèchent à ce niveau. Le cas le plus courant concerne les commerciaux. «Il y a malheureusement beaucoup de directeurs commerciaux qui envoient les objectifs par mail à leurs équipes. Redoutant les confrontations lors des réunions d'explication ou de discussion d'objectifs, ceux-ci se justifient par le manque de temps», souligne Adil Manaane, directeur commercial et marketing du groupe Fromagerie Bel. Et gare à celui qui émet des remarques ou des objections. Or, en recevant les objectifs déterminés par le comité de direction, le directeur commercial ou le manager (surtout dans le cas des PME ou l'activité commerciale est gérée par le DG) est lui aussi censé les répercuter de façon «smart» sur ces équipes. Mais en raison d'une défaillance managériale, on a tendance à oublier ce caractère «smart» de l'individualisation des objectifs et cela aboutit à des frustrations énormes. Conséquence, dans le meilleur des cas, les commerciaux peuvent s'efforcer de réaliser les objectifs surélevés ou mal expliqués qui leur sont attribués, mais cela finit toujours par faire des cadavres. Exemple : le commercial peut verser dans des formes de ventes forcées, entraînant du sur-stockage chez les clients. Ces derniers pourront se retrouver à un certain moment avec des produits périmés, ce qui les mécontentera et risquera de briser la relation. «C'est donc comme si l'on jette un cadavre à la mer, il finira toujours par refaire surface et en matière de fixation d'objectif commercial, cela ne pardonne pas. La frustration et la démotivation qui s'ensuivront dans l'équipe, c'est aussi un cadavre à gérer», commente Adil Manaane. Management «On ne fixe pas des objectifs pour faire souffrir les collaborateurs»,souligne Hamid El Othmani, DG de LMS. En la matière, le volet managérial prend toute son importance, car un objectif assigné crée toujours de la pression et du stress chez celui qui se doit de le réaliser. Pour avoir les bonnes attitudes qui permettent l'atteinte de l'objectif, il faut d'abord susciter de la conviction chez le collaborateur. À ce propos, explique Adil Manaane, «si par exemple, le directeur commercial demande à un vendeur de réaliser +20% alors qu'il ne faisait d'habitude que +10%, le manager doit être en position de lui donner des explications convaincantes». Et d'ajouter, «un vendeur, c'est comme le conducteur d'une voiture. Il a besoin d'un bon rétroviseur et d'un bon pare-brise pour avoir une meilleure visibilité». Cela est valable aussi pour les autres collaborateurs. Certaines entreprises (notamment les grandes structures) ont, en effet, bien assimilé ces enjeux. C'est le cas par exemple de la Marocaine des Jeux et des sports, dont l'administrateur nous a récemment confié lors d'une interview, que dans le cadre des objectifs inscrits dans la nouvelle stratégie (Cap 50) de la MDJS, dont l'échéance est fixée en 2012, il a été identifié une nécessité d'offrir un accompagnement spécifique aux collaborateurs. Selon les besoins exprimés, l'entreprise a alors réagi en recourant à deux coachs externes pour soutenir les équipes tout au long de la réalisation de leurs objectifs. Aspects juridiques Mieux vaut donc faire adhérer les collaborateurs à leurs objectifs individuels en adoptant une approche managériale participative que de les leur imposer. La loi oblige certes le collaborateur à se soumettre aux objectifs qui lui sont assignés dans le cadre de sa fonction. Mais que se passe-t-il lorsque les objectifs sont imposés et que le collaborateur ne les atteint pas? Peut-il être sanctionné ou licencié pour sous-performance? Ces aspects juridiques sont certes peu considérés dans les entreprises et dans la pratique, une sous-performance aboutit à des sanctions, et dans des cas extrêmes au licenciement. Mais selon Youssef Lahlou, aucune clause du contrat ne peut valablement décider qu'une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement. À ce propos, explique-t-il, «il appartient au juge d'apprécier si les faits invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement». Dans ce cas de figure, le juge va apprécier, d'une part, si les objectifs, fussent-ils définis par le contrat, étaient réalistes et d'autre part, si le salarié était en faute de ne pas les avoir atteints. De ce fait, pour qu'un licenciement soit justifié, il faut d'une part que les objectifs fixés unilatéralement par l'employeur ou contractuellement par une clause d'objectifs, soient réalisables en fonction des compétences réelles du salarié, de la nature de ces objectifs et de toute circonstance extérieure permettant de mesurer ce caractère réalisable. D'autre part, il faut que le salarié s'abstienne délibérément de les réaliser sans pouvoir justifier que sa défaillance est imputable à des causes extérieures. Toujours selon Lahlou, c'est seulement dans ce deuxième cas, que le comportement du salarié est susceptible d'être qualifié de faute grave par application de l'article 39 du Code du travail. Celui-ci justifie le licenciement d'un salarié en cas de «refus délibéré et injustifié d'exécuter un travail de sa compétence».