Si le salaire est librement négocié entre l'employeur et le salarié, c'est bien au premier qu'il incombe de gérer les éléments de la rémunération attribuée à l'ensemble de son personnel. Face au «poids» des charges sociales (CNSS et autres) que les entreprises doivent débourser tous les mois, gestionnaires de ressources humaines et comptables se trouvent contraints de jongler en vue de réduire ces charges. Considérées comme des avantages offerts aux salariés, les cotisations à la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS) sont, pour les employeurs, une obligation légale. Celles-ci ont des retombées pouvant être positives sur la productivité. À titre d'exemple, les cotisations patronales peuvent participer au développement du sentiment d'appartenance des salariés à l'entreprise et aident à maintenir les équilibres sociaux à l'intérieur de l'entité. Pourtant, c'est par là-même que commencent la majorité des entreprises qui cèdent à la tentation de réduire leurs charges salariales. «Une majorité de patrons des petites entreprises déclarent intentionnellement des salaires très bas qu'ils complètent ensuite en remplissant d'autres rubriques de primes et indemnités non soumises à la cotisation», explique Mohammed Badehdah, chef de la division méthodes et programmation au sein de la direction de l'inspection et du contrôle de la CNSS. Une pratique rentable, certes, mais pouvant s'avérer dangereuse. Sous-déclaration Dans des cas fréquents, des salariés qui ont eu besoin de recourir aux services de la CNSS (indemnités journalières, pension, retraites), se sont rendus compte que les allocations ne reflétaient pas le niveau de leurs salaires. Une situation qui nuit gravement au budget de ces salariés, surtout s'ils ont contracté des engagements financiers sur la base du salaire réel. «Le salarié ne peut absolument rien faire à ce moment-là car c'est déjà trop tard», explique Badehdah. Si la loi oblige les employeurs à déclarer la totalité des salaires réellement perçus par leur personnel, c'est pour permettre aux salariés de pleinement profiter des allocations qui leur sont dues par la CNSS. À titre d'exemple, un salarié dont la rémunération déclarée est de 3.000 DH percevra une allocation de 200 DH par enfant, 600 DH s'il en a trois. Au final, son salaire sera de 3.600 DH, soit 20% de plus. Dans certains cas, le total des cotisations est largement inférieur aux allocations perçues par le salarié. Il convient par conséquent beaucoup plus à l'entreprise de cotiser pour son employé que d'octroyer une nouvelle prime qu'elle soit imposable ou pas. Et pour cause, toutes les cotisations à caractère social (CNSS, CIMR, assurances dans certains cas, ...) que l'entreprise engage sont directement, et sans limitation, déductibles de son résultat avant imposition. C'est que les primes et indemnités à caractère social n'ont pas à être imposées par le fisc. Sur ce point, le principe de fonctionnement de l'impôt au Maroc est similaire à celui de la CNSS. Cette dernière exonère les primes et indemnités sociales de la cotisation sous certaines conditions. Les exonérations accordées par la CNSS sont basées sur un système de plafonnement. «Tout ce qui dépasse ces seuils est à réintégrer dans le calcul des cotisations», explique Mohammed Boudarga, expert-comptable. Une astuce de plus dont usent les entreprises qui optent pour la sous-déclaration. Des structures qui préfèrent utiliser les primes et les indemnités comme moyen de gonfler les salaires sans pour autant que leurs charges patronales ne soient impactées. Réforme L'entreprise est bien évidemment libre d'accorder toutes les primes qu'elle souhaite dans les bulletins de paie de ses salariés. Ce qui constitue un avantage incontestable pour elle. «Cependant, ces primes et indemnités doivent impérativement correspondre à la réalité », souligne Badehdah. Sinon, c'est le salarié qui en prend un coup. On citera l'exemple de la prime de représentation, utilisée à tort et à travers par certaines entreprises. «Je me rappelle du cas d'une entreprise où l'ensemble des salariés percevaient des primes de représentation avec des montants différents. Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour remarquer que le personnel du back office de cette entreprise ne sortait jamais pour des missions à l'extérieur », ajoute l'expert. De plus, le cas du salarié qui perçoit 10.000 DH de salaire avec une prime de représentation de 5.000 DH, n'est ni plus ni moins qu'une aberration. Dans notre exemple, si le personnel du back office n'est jamais affecté à des missions «terrain», il reçoit régulièrement des directeurs commerciaux, d'achat ou des directeurs généraux. Mais la loi reste intransigeante à ce propos : la prime de représentation ne doit pas dépasser 10% du salaire. Sans oublier qu'elle ne peut être accordée qu'à des catégories bien définies de salariés. Les allocations familiales et aides à la famille ne posent, quant à elles, pas cette problématique à condition qu'elles soient accordées sur des critères de personnes à charge et, plus important encore, qu'elles soient calculées sur la même base et que tout salarié ayant des personnes à charge en bénéficie. À titre d'exemple, une prime pour l'achat du mouton pour la fête de l'Aïd al-Adha est exonérée de cotisation tant qu'elle ne dépasse pas 2.000 DH par salarié et qu'elle est accordée à tout l'ensemble du personnel. Si l'entreprise accorde à ses cadres des allocations familiales supérieures à celles accordées à ses employés, la différence est alors imposable. Quant à la question de l'incohérence qui existe entre l'imposition IGR et les cotisations dues à la CNSS, elle serait sur le point d'être résolue. Aujourd'hui, les entreprises ont du mal à savoir si elles doivent suivre l'inspecteur de la CNSS ou celui de l'administration fiscale pour la déclaration et le choix des plafonds de leurs primes et indemnités. «Nous avons entamé un projet de révision de l'assiette pour nous rapprocher davantage de la réalité», explique Farid Tahir El Youssoufi, chef de la division de l'inspection et du contrôle de la CNSS. Selon ce dernier, la CNSS et la DGI se seraient très récemment réunies pour discuter de la question. Une réunion identique leur aurait également permis d'étudier le sujet avec l'Inspection du travail. «L'objectif est de rapprocher les trois assiettes», explique-t-il. En attendant, les entreprises qui ne sont pas satisfaites du résultat des missions de contrôle de la CNSS peuvent non seulement user de leur droit au recours administratif, mais elles peuvent aussi assister aux commissions qui statuent sur le bien-fondé de cette contestation. Elles peuvent également être accompagnées par les représentants de leurs secteurs respectifs pour défendre leurs dossiers.