Pour Oued Laou, Chaouen et Jebha, la rocade n'est qu'un début car tout reste à faire. Des ponts à construire, des centres de petites villes à aménager et une place à trouver sur... Google maps. Exister aujourd'hui, c'est avoir un nom de bourgade reconnaissable par le moteur de recherche américain et avoir une couverture téléphonique digne de ce nom. De ce point de vue et pour mesurer les progrès du développement régional, Google et une couverture téléphonique mobile constituent des indicateurs suffisants, dans un premier temps; mais Rome, nous ont appris nos livres d'histoire, ne s'est pas fait en un jour... Des 4 provinces qui composent la région de Tanger-Tétouan, celle de Chaouen est la plus étendue, celle qui dispose de la plus grande façade maritime, celle où l'on circule le plus mal. Sur les 530 km que compte la rocade, 80 km ne sont pas encore terminés, mais ils sont déjà «exploités» et ils se trouvent sur la province de Chaouen, entre la petite station balnéaire de Oued Laou et le port de pêche de Jebha. Ceci est naturellement paradoxal. La route n'est pas achevée sur 80 km, mais elle est déjà bien utilisée ! C'est là où le besoin apparaît d'abord le plus évident à satisfaire. La plus simple preuve par le besoin réside dans un fait tellement concret qu'il nous rappelle les vertus du bon sens. Attachez vos ceintures : aussitôt les premiers terrassements réalisés et les premières couches de tout-venant posées sur le ruban qui relie Jebha à Oued Laou, la piste a commencé à être utilisée par les voyageurs, les habitants de la rocade, les hommes et les femmes qui avaient quitté Al Hoceima et Jebha pour aller travailler du côté de Tétouan et de Fnideq. Avant que la rocade méditerranéenne ne soit achevée et ait un impact économique, il aura suffi qu'on démarre le tracé de la piste pour que les hommes et les femmes de la région commencent à rentabiliser l'investissement public et les financements internationaux ! Deux à trois autocars desservent chaque jour la liaison entre Jebha et Oued Laou, et pour en avoir pris un, celui du matin, on réalise très vite que cela n'est déjà pas suffisant. Aussitôt quitté, Jebha avec ses 40 passagers pour ses 55 sièges, l'autocar doit commencer à s'arrêter pour prendre les voyageurs qui font des signes de la main sur le bord de la route. Plusieurs taxis font le trajet durant la journée, mais c'est durant les fêtes des Aïd que le trafic est très important, la gendarmerie tolérant même les services de transport durant la nuit sur une route ... encore à l'état de piste. On comprend et on ne s'étonne pas, lorsqu'on passe un jour de marché à Béni Ahmed entre Oued Laou et Stihate, de voir le nombre impressionnant de mulets «en stationnement» : les voies de communication dans la province sont mauvaises et la pluviométrie y bat des records et les mulets, eux, contrairement aux taxis Mercedes 220 D peuvent passer partout et par des chemins où l'on ne risque pas de rencontrer des gendarmes. La rocade n'est pas encore terminée entre Oued Laou et Jebha, mais la spéculation foncière a déjà commencé. Des ingénieurs qui travaillent dans la région et qui sont tombés amoureux de sa beauté, auraient aimé acquérir un petit terrain pour y construire une maison de vacances; mais pour l'instant, ils n'ont pas tous eu le succès escompté. Pourtant ils ont vu juste, car s'il est un secteur qui va en premier bénéficier de la construction de la rocade méditerranéenne, c'est bien celui du tourisme. Dès que l'on dépasse Tétouan sur la route de Oued Laou, deux projets, l'un russe et l'autre américain font face à la Méditerranée. On ne sait pas si la scène fait partie d'un film sur l'ancienne guerre froide, mais là, on trouve la femme du maire de Moscou comme actionnaire et là, un fonds d'investissement américain basé à Londres. Quelques kilomètres plus loin, Oued Laou a aligné ses pédalos sur la plage, sorti transats et parasols et les terrasses des restaurants sur la plage d'une mer bleue invitent à la détente loin du tumulte de la ville. Cette côte, comme l'ensemble de la côte méditerranéenne marocaine est de rêve et belle. Sur la côte, d'autres belles plages se suivent : Izenti, Stihate, Amtagh, Argoub L'un des impacts les plus immédiats de la rocade, ici comme plus loin vers Al Hoceima et Nador, est le fait que le projet a vite provoqué la mise en œuvre de plans d'aménagement urbain. À mi-chemin entre Oued Laou et Jebha, la bourgade de Qaâ Asras se prépare à un être un Benguerir de la Méditerranée ou un nouveau Sidi Allal Tazi avec ses cafés, restaurants, boucheries et grills qui commencent à prendre leurs marques sur le futur tracé de la voie et des trottoirs. Pour les habitants de la région, outre la diversification économique que cela peut entraîner, Qâa Asras dispose aujourd'hui d'un centre de santé moderne, d'un vrai bureau de poste et d'écoles fières de leurs murs bien peints et de leur drapeau rouge vif. La rocade dessert la côte comme ici entre Oued et Jebha, mais l'un de ses impacts est d'ouvrir plus de voies de communication entre la côte et sa RN 16, et la RN 2, la route de l'intérieur du Rif qui mène de Tétouan à Al Hoceima. C'est qu'une route de 46 km entre Stihate et Chaouen, actuellement en travaux, mettra dans 18 mois, Chaouen à moins de 45 minutes de la Méditerranée. Cela n'a pas de prix en termes de diversification de son offre touristique.