La nécessité d'assurer la communication de la manière la plus large et par des moyens appropriés a été un souci majeur et a occupé une place prépondérante dans l'appropriation du savoir et dans le développement des nations. Ce postulat, acquis de manière intégrale par les nations dites occidentales, est aujourd'hui encore sujet à discorde, notamment dans les sociétés que les chercheurs qualifient «d'indécises». Ces dernières, à l'instar des communautés arabophones ou indiennes «tout comme les savoirs qu'elles véhiculent, sont marquées par la religion, un patrimoine prestigieux et le poids d'inerties socioculturelles». Ce constat, qui porte les marques d'une réflexion scientifique, a été le carrefour des débats menés par les participants au colloque international «Langue et Langues», organisé récemment à Casablanca, à l'initiative de la Fondation Zakoura Education. Les documents de synthèse des deux journées de travaux du colloque apportent, pour le «cas marocain», des recommandations qui semblent bousculer les clichés traditionnels inhérents à la situation linguistique et culturelle du pays. Une nouvelle langue nationale «Le Maroc est dans une situation similaire à celle d'autres pays arabophones. Ceux-ci disposent d'une langue parlée pour la communication quotidienne spontanée (spécifique à chaque pays) et d'une langue écrite réservée à des domaines de communication plus formels ainsi qu'à la production écrite», expliquent les rapporteurs des travaux du colloque. Pour ces derniers, cette langue écrite est proche de l'arabe du Coran et de la littérature médiévale classique. De ce fait, «elle demeure chargée de sacralité, de prestige et d'archaïsme malgré les évolutions incontestables qu'elle a connues avec l'émergence de la presse, l'audace de quelques écrivains et au contact des registres arabes parlés». Le pays a également d'autres langues : d'une part l'amazigh (berbère) et, d'autre part, des langues étrangères telles que le français et l'espagnol. «Dans ce contexte linguistique, un constat s'impose à l'heure actuelle : les outils de communication en général et l'enseignement en particulier - quel que soit le niveau - doivent être plus performants et plus pertinents non seulement par rapport à notre réalité sociale, linguistique et culturelle, mais aussi au regard des enjeux actuels de notre développement, de l'économie, de l'ouverture à l'international et de l'inscription dans la démocratie et la modernité», précisent les intervenants au colloque. Pour réussir aujourd'hui ce challenge, une transparence de l'échange verbal s'impose. Plusieurs participants ont considéré comme inévitable «la constitution au Maroc, à terme, d'une langue arabe moderne dans laquelle, loin de s'opposer, se rejoindront l'arabe écrit modernisé et l'arabe tel qu'il est utilisé couramment par les Marocains». Et les exemples de par le monde ne manquent pas : un anglais américain et un anglais britannique, un français de France et un autre québécois, «sans préjudice aucun à l'intercompréhension entre les locuteurs de ces langues». Les chercheurs et organisateurs du colloque international «Langue et langues» restent unanimes sur une conclusion : les recommandations issues de leurs travaux voudraient être des réponses aux défis que le pays doit relever dans les domaines de l'éducation, de la lutte contre l'analphabétisme, de l'échec scolaire, de l'égalité des chances pour tous par la démocratisation de l'accès au savoir,... avec toutefois un objectif prioritaire : examiner les moyens de rendre l'enseignement plus performant. Celui-ci étant principalement dispensé en arabe, l'essentiel de la réflexion et des recommandations a porté sur cette langue. L'arabe étant la langue officielle du pays, les participants au colloques préconisent cependant «la reconnaissance comme langues nationales des deux langues maternelles des Marocains : l'arabe utilisé couramment et l'amazigh. Mais, fait qui serait encore plus innovant, la standardisation, à terme, d'une langue arabe moderne dans laquelle, loin de s'opposer, se rejoindront l'arabe écrit modernisé et l'arabe parlé couramment par les Marocains, sans préjudice pour l'intercompréhension entre les locuteurs arabophones d'où qu'ils soient». Comment instaurer cette «deuxième darija» ? Les mécanismes qui mettraient en œuvre cette convergence entre les deux variétés de la langue arabe (écrite et parlée) sont, pour les chercheurs présents au colloque, répartis sur plusieurs registres : Codifier l'arabe marocain en vue d'établir des passerelles avec l'arabe littéral pour constituer, à terme, une langue arabe combinant les deux registres. Autre action et pas des moindres, se servir de l'arabe marocain, dès le préscolaire puis le primaire, comme langue d'enseignement pour l'acquisition de savoirs fondamentaux et pour les activités langagières (écoute, compréhension, lecture, écriture). Toujours dans le champ de l'enseignement, les participants recommandent de mettre un terme à la situation actuelle, qui prévoit l'enseignement des disciplines scientifiques en arabe dans le secondaire et en français dans le supérieur. Langues et langue d'Etat Les Etats du monde ont tous tenus à institutionnaliser leurs langues véhiculaires propres, notamment les langues maternelles qui font aujourd'hui l'objet de statuts juridiques différents d'un pays à l'autre. Comme le précise les spécialistes qui ont participé au colloque international «langue et langues», il existe en effet deux grands cas de figure intégrant ce processus de formalisation linguistique et identitaire : des pays où la langue maternelle des citoyens (voire les langues maternelles parfois) est la langue officielle, inscrite comme telle dans la Constitution (France : le français ; Canada : l'anglais et le français ; Espagne : l'espagnol plus des langues officielles régionales : basque, catalan, galicien, etc.). Dans d'autres pays, une langue officielle de l'Etat cohabite avec une, voire plusieurs langues maternelles reconnues officiellement comme langues nationales (Sénégal : français langue officielle et six langues nationales ; Mali : français langue officielle et 12 langues nationales ; Inde : hindi et anglais comme langues officielles et pas moins de 22 langues nationales ayant un caractère de langue officielle dans les Etats régionaux où elles sont parlées).