L'«e-gouvernement» est en marche ! La digitalisation des services publics est l'une des principales priorités des agendas politiques. Cependant, si les e-services et les applications mobiles fleurissent dans tous les domaines de la sphère publique - état civil, impôts, éducation -, force est de constater que cette transformation reste assez lente ou encore peu efficace. De nouveaux modèles voient le jour pour rompre avec les approches traditionnelles et accélérer l'industrialisation du développement des e-services publics. Une digitalisation des services publics qui ne répond pas aux besoins des citoyens Depuis 2013, les Nations Unies mesurent le niveau de maturité des e-services à travers l'indice OSI (Online Services Index). Le dernier rapport a confirmé le retard considérable du continent africain en termes de mise en ligne des services publics. Cela s'explique en partie par le fait que depuis plusieurs années, les gouvernements africains ont orienté leurs principaux investissements vers la mise en œuvre des infrastructures télécoms sans forcément se préoccuper des usages et des services. Pourtant, l'attente est forte et les citoyens comme les entreprises africains souhaitent eux aussi pouvoir utiliser les outils numériques pour échanger avec leur administration et simplifier leur quotidien. Même dans les pays plus avancés où l'indice OSI des Nations-Unis est plus élevé, indiquant ainsi une offre beaucoup plus abondante d'«e-services» publics, on observe que cette multiplication des services digitaux ne se traduit pas par une adoption massive et que l'usage reste encore très limité. En France par exemple, selon le baromètre des services numériques de 2016, uniquement 28% des particuliers ont déclaré avoir effectué une démarche administrative en ligne alors que 47% ont consulté l'un de leurs comptes (assurance maladie, pôle emploi...) et 42% ont cherché des informations sur les démarches administratives. Pour rappel, la France est l'un des pays leaders dans le domaine des e-services, 8e au niveau mondial avec un OSI de 0,9420. Ces chiffres révèlent l'existence d'un gap important entre l'offre des services numériques publics très riche en France et les usages réels, notamment ceux des particuliers. Des e-services qui doivent être pensés comme des projets de réforme pour repenser le parcours citoyen et apporter de réels progrès en termes de simplification de la relation administration/citoyens. L'une des explications avancée pour cette faible adoption est que la mise en ligne des services a été considérée comme un simple projet de digitalisation des processus existants alors que ces projets devraient être pensés comme des projets de réforme et de simplification visant à réinventer les parcours citoyens adaptés aux besoins réels des usagers. De la même façon que les entreprises repensent leur expérience client en fonction de «moments de vie» ou de besoins de leurs clients, les gouvernements doivent repenser leurs services numériques selon une approche centrée sur les citoyens. La qualité devient la priorité devant la quantité : fixer des objectifs en termes de nombres de services digitalisés n'est plus pertinent, des critères qualitatifs (de facilité d'usage par exemple) deviennent tout aussi importants. Vers une nouvelle approche de développement des services publics numériques En analysant les différentes façons dont les gouvernements d'Europe, d'Afrique et d'Asie ont procédé à la digitalisation des services publics, nous avons constaté que trois principales approches cohabitent à ce jour : 1 - L'approche en silos : Des initiatives locales prises individuellement par différentes entités publiques (Ministères, collectivités locales, établissements publics...). Ces e-services sont généralement développés sans aucune vision commune sur les technologies et les données. 2 - L'approche normative : Structuration des projets de développement des «e-services» à travers la définition d'un cadre technologique et organisationnel (Référentiel général d'interopérabilité, Référentiel de la sécurité des systèmes d'information...). 3 - L'industrialisation et la «plateformisation» : Cette nouvelle voie, voire ce nouveau «paradigme», baptisé «Etat plateforme» est en train d'émerger. Cette nouvelle approche appelle à substituer le modèle classique de guichet numérique de distribution des services publics par un nouveau modèle où l'Etat jouerait le rôle de régulateur et d'orchestration d'un écosystème digital en mettant à la disposition de tous les acteurs (Citoyens, entreprises, agents publics, ONG ...) des ressources technologiques et organisationnelles (Infrastructures, plateformes, API, données ...) pour innover des services utiles et créateurs de valeur et de richesse. Deux exemples illustrent cette nouvelle tendance. Le premier est la nouvelle approche de développement des services numériques du gouvernement anglais : «Government as a platform» (GaaP). Cette stratégie repose sur la mise à disposition vers toutes les entités publiques d'une palette de composants, de plateformes, de données et de capacités d'hébergement. En mettant à disposition un socle de briques déjà existantes, cette approche a pour but de faciliter, d'accélérer et de rendre plus économique la création, par les agences gouvernementales, de services parfaitement adaptés aux besoins de leurs usagers. Le second exemple qui prend de plus en plus forme est l'expérience française qui a pour ambition de réadapter l'offre des services numériques aux attentes des usagers en mettant en place un écosystème de startups internes et en créant des dispositifs d'écoute et de collaboration avec les citoyens et les entreprises. Les initiatives d'ouvertures de données «Etalab», la plateforme des API «api.gouv.fr» vont dans ce sens. Ces deux exemples interpellent le rôle de l'Etat dans le développement des services publics numériques. Ces approches en «open innovation» reconnaissent les limites du gouvernement à porter cette digitalisation de façon efficace et satisfaisante pour les usagers. L'appel à des sociétés privées peut-être un moyen de démultiplier les capacités de création d'«e-services» et d'accélérer ainsi leur adoption et les retombées économiques et sociales pour le pays. Hicham Saoud Responsable du pôle e-gouvernement Sofrecom