L'agression de la jeune Imane à bord d'un bus à Casablanca lève le voile sur l'ampleur des agressions sexuelles dans l'espace public. Les chiffres sont alarmants. Qui faut-il blâmer : La société ou l'Etat ? La victime ou les présumés bourreaux ? Des questionnements lourds de conséquences ont enflammé les réseaux sociaux durant les dernières 48 heures. La justification de l'injustifiable a choqué autant que l'acte lui-même. Les indignations successives se sont enchaînées provenant aussi bien d'acteurs de la société civile, que d'intellectuels et/ou de citoyens. Les acteurs politiques dans leur grande majorité ont choisi de garder le silence. La diffusion de cette macabre vidéo a accéléré à une vitesse éclair l'enquête policière. Six présumés coupables ont été arrêtés par la Préfecture de police de Casablanca. Cette arrestation permettra d'éclaircir des zones d'ombres sur les faits et la date de leur déroulement. La DGSN affirme que l'agression remonte à trois mois, alors que M'dina Bus parle de trois jours. Loin du triste fait du jour, l'analyse des chiffres des violences à l'égard des femmes est glaçante. Les données officielles sur les violences sexuelles au Maroc montrent l'ampleur du désastre. L'espace public, terrain de prédation sexuelle L'agression de la jeune Imane dans un espace public, un bus de transport en commun, correspond au profil des violences sexuelles au Maroc ! «Les lieux publics sont les endroits où la violence sexuelle à l'égard des femmes est la plus perceptible», peut-on lire dans le rapport annuel sur la violence à l'égard des femmes de 2015. 66% des cas de violence en 2014 ont été enregistrés dans des lieux publics alors que le pourcentage de ces agressions commis au domicile conjugal était de 11,5% en 2014, tandis que le lieu de travail enregistrait 5,9% des cas en 2014. «Le Maroc n'est certes pas l'Inde mais la société a toujours connu des cas de viols et d'agressions sexuelles en tous genres», précise la sociologue Soumaya Naamane Guessous. Et d'ajouter : «La médiatisation via les réseaux sociaux joue un rôle certainement amplificateur de ces agressions car l'opinion publique se saisit de l'affaire». Même son de cloche de Sara Soujar, militante féministe et intervenante sociale au sein de centres d'écoute de violences à l'égard des femmes. «Les expériences vécues au sein de ces centres nous ont montré l'existence de cas d'agressions de la même gravité», rappelle-t-elle. De par son contact avec ces victimes, S. Soujar rappelle que «les victimes étaient issues de milieux sociaux très divers. Les agresseurs provenaient aussi de milieux sociaux éduqués et de la classe moyenne». Les données du ministère de la Santé indiquent que la tranche d'âge la plus visée par les agressions sexuelles sont les jeunes femmes (18-30 ans) dans 61% des cas. Selon le statut matrimonial, 58% des victimes sont célibataires. Pour Najia Adib, présidente de l'association de lutte pour la protection de l'enfance Touche pas à mes enfants: «la dangerosité de cet acte ignoble c'est que les agresseurs aujourd'hui ne se cachent plus. Nous ne sommes pas face à une agression sexuelle mais un acte de pédophilie dans un transport public, avec témoins oculaires». D'ailleurs, l'association vient de se porter partie civile dans cette affaire. «Nous avons chargé notre avocat de suivre le dossier et nous allons rencontrer la famille de la victime pour lui apporter notre soutien. Pour rappel, deux sit-in en solidarité avec la victime de cette agression et pour dénoncer la multiplication des agressions à l'égard de la femme sont prévus mercredi à Casablanca et Rabat. Soumaya Naamane Guessous Sociologue Cette tentative de viol soulève la question des responsabilités de la société dans son ensemble. La responsabilité de la société de transport en commun et des témoins dans un premier lieu. Ensuite, la responsabilité de mosquées et de chaînes satellitaires dans la diffusion du discours salafiste ambiant. Ce discours transforme les hommes en régulateur de la présence des femmes dans la rue. Aujourd'hui, des voyous s'improvisent en ambassadeur de Dieu sur terre. Depuis l'affaire d'Inezgane jusqu'à celle de Tanger, nous sommes en train d'atteindre un niveau dramatique. La sécurité des femmes n'est plus garantie. L'urgence est d'instaurer un culte du respect de la femme au Maroc. De plus, les autorités ont une responsabilité à assumer en étant plus réactifs face à ces situations.» Sara Soujar Militante féministe Cette nouvelle affaire a donné lieu à des amalgames déshonorants pour la société. Le premier est que la femme est devenue coupable aux yeux de certains. Ce discours nous mène à une banalisation de la violence faite aux femmes. Dans ce cas précis, nous sommes face à un cas documenté qui devrait susciter une indignation unanime. Le deuxième est de réduire les champs de la solution dans une approche sécuritaire. Ce type de réponse est limité face à une problématique sociale complexe. Face à l'ampleur du drame, on ne peut se contenter de raccourcis.» Najia Adib Président de l'association «Touche pas à mes enfants» Nous avons dépassé le soutenable. C'est la loi de la jungle ! Si on ne peut pas assurer la présence de femmes dans l'espace public, la messe est dite. Nous subissons la démission dans l'ensemble des institutions sociales, en premier lieu la famille et l'école. Par contre, la pauvreté n'expliquerait jamais ces actes. Nous payons aussi le prix d'une justice laxiste face aux criminels. Les prisons sont devenues aujourd'hui une école de fabrication d'apprentis bandits. Il faut que tout cela cesse pour sauver la société de cette dérive.»