La pagaille des crèches continue de faire office de régulation. Seules neuf crèches ont été créées sur tout le territoire marocain depuis 2009. C'est le côté terne et obscur du bilan de fin d'étape de Moncef Belkhayat au ministère de la Jeunesse et des sports. Ce bilan, somme toute, semble plus avoir été axé sur les prouesses sportives des équipes de football nationales, en passant sous silence des sujets aussi essentiels que l'avenir et l'épanouissement de la jeunesse. Au moment où le nombre de bénéficiaires de ces établissements s'élève à 43.435 enfants et où la demande ne cesse de croître, l'offre des crèches ne répond pas. S'il paraît parfois y avoir un semblant de répondant, les établissements qui la proposent ne sont pas conformes à la réglementation en vigueur. Alors, où laisser son enfant pour pouvoir aller travailler ? Et surtout à qui le confier, tout en étant rassuré de la qualité de l'encadrement qu'on lui prodiguera ? Ce sont autant de questions qui taraudent aujourd'hui les parents... En 2008, une nouvelle législation avait fait miroiter la fin de l'anarchie totale dans laquelle les crèches privées étaient plongées depuis des décennies. Cette loi, qui régit les modalités d'ouverture et de fonctionnement des établissements de la petite enfance, avait été adoptée le 28 mai de la même année. Aujourd'hui, elle est remise en cause par le ministère de la Jeunesse et des sports, qui la qualifie de «trop restrictive», selon Younès El Jaouhari, directeur de la Jeunesse. Le dossier des crèches replonge donc une nouvelle fois dans la pagaille la plus totale. À l'heure actuelle, l'exploitation d'une crèche est assortie du respect des normes techniques et sanitaires, et d'obligations pédagogiques. Interrogés, les principaux concernés, à savoir les exploitants de crèches sont clairs : «Concernant les normes, je les respectais déjà avant l'entrée en vigueur de la loi.Cependant, pour ce qui est de l'espace, il en faut effectivement beaucoup pour les enfants en bas âge. Toutefois, il est également très difficile de trouver un local exactement conforme à ces critères», explique la propriétaire d'une crèche à Casablanca. Le blocage ne s'arrête pas là. Le recrutement d'un personnel qualifié s'avère également très laborieux. Là encore, le bât blesse : «Je fais des annonces et j'appelle les centres de formation des éducateurs. Il est difficile de trouver des personnes qualifiées et compétentes. La formation dans les centres étatiques n'est souvent pas suffisante et surtout le niveau des éducatrices au départ est vraiment très faible». Des formations «au rabais» Des éducateurs peu ou mal formés, voilà ce à quoi les professionnels du secteur sont confrontés et dans un même temps ce que les parents ne sont bien évidemment pas prêts à accepter. Certains exploitants comme ce propriétaire d'une crèche dans le quartier huppé de l'Oasis à Casablanca dit «avoir les moyens d'envoyer les puéricultrices en France pour des stages de formation assez régulièrement», ce qui engendre bien évidemment un coût reporté sur les frais de scolarité. Cette offre devient par conséquent, presque exclusivement réservée à une catégorie privilégiée.Cependant, la demande en matière de crèches provient également de toutes les autres classes sociales, qui peinent à trouver des établissements en adéquation avec leur portefeuille et surtout avec la qualité de l'enseignement qu'ils espèrent pour leur progéniture. À cela le ministère de tutelle répond : «Concernant les puéricultrices, nous en avons formé au sein des centres de formation professionnels du ministère plus de 600 depuis 2009». Une formation donc en masse, mais sans réels résultats, puisque cela reste en deçà des attentes des professionnels et des ménages. Pour couronner le tout, la charge salariale décourage amplement la création de crèches privées : «C'est le plus gros poste de dépenses dans le fonctionnement d'une crèche» explique la propriétaire d'une crèche avant d'ajouter : «Une aide peut en effet commencer au SMIG, mais une bonne éducatrice a un salaire moyen net plus élevé, sans compter le personnel annexe, la responsable pédagogique, la psychologue et le médecin». Moralité: actuellement une petite minorité de bons établissements cohabite avec des centaines d'autres aux pratiques plus que douteuses «des puéricultrices mal ou peu formées et travaillant au noir, des promoteurs aux connaissances pédagogiques limitées...» Dans l'esprit du promoteur du projet de texte, l'objectif était d'assainir ce secteur boiteux. L'autorisation d'exploitation devait être limitée dans le temps, au maximum dix ans. Ce plafonnement témoignait de la méfiance du législateur, mais il laisse de nombreuses zones grises, lorsqu'on sait dans quelles conditions les autorisations administratives sont délivrées, dans un manque total de communication. «J'avais l'impression d'être une balle de ping-pong que se renvoyaient les différents interlocuteurs, sans compter les informations souvent contradictoires données par les uns et les autres», déplore la porteuse d'un projet. À tous ces dysfonctionnements, personne ne trouve de réponse, mis à part Moncef Belkhayat, qui estime que la solution est de «transférer cette compétences au ministère de l'Education nationale, pour en décharger le ministère de la Jeunesse et des sports».Entre temps, se rejeter la compétence, pour au final manquer totalement de compétence ne guérit pas la plaie béante que constitue le problème de la petite enfance au Maroc. Ce que dit la loi La règlementation aujourd'hui en vigueur fixera le nombre d'enfants admis dans les établissements en fonction de la capacité d'accueil et du nombre d'encadrants. Le texte adopté en 2008, évoque également l'espace minimum nécessaire à l'évolution des chérubins, mais ne le précise pas. De son côté, le ministère de l'Education nationale exige un minimum de 1,5 mètre carré par enfant dans une classe d'école. Dans une crèche, il en faut beaucoup plus. Pour les encadrants, le texte reste aussi muet. Le ratio minimum pour une pédagogie crédible est d'un adulte pour 5 bébés de moins de 18 mois. Entre 2 et 3 ans, il est d'un adulte pour 8 enfants, et d'un pour 15 enfants âgés entre 3 et 4 ans. Pour ce qui est de la formation des éducateurs, la loi renvoie la question de critères de qualification pédagogique à un texte réglementaire (articles 18 et 20). Actuellement, l'OFPTT assure des formations de puéricultrices décriées par les professionnels, qui les qualifient de «formations au rabais».