Lorsque le Premier ministre grec avait proposé de soumettre le plan de sauvetage de son pays à l'appréciation de son peuple, les chefs d'Etats européens, ainsi que les marchés financiers, avaient senti cela comme une trahison. On peut s'étonner que des démocraties s'offusquent de la sorte d'une consultation populaire concernant une question aussi importante pour le quotidien et l'avenir immédiat de millions de personnes. En réalité, ni le Premier ministre grec ni les dirigeants européens ne se souciaient de l'avis ou même du sort du peuple grec. George Papandréou cherchait surtout à assurer son avenir politique, ne voulant pas assumer tout seul la responsabilité des heures difficiles que vont certainement vivre ses concitoyens. Il a d'ailleurs rapidement fait marche arrière sur le référendum quand il a compris que le chemin le plus sûr pour son avenir était ailleurs. Les Européens, quant à eux, ne voulaient surtout pas qu'un peuple qui «ne s'intéresse qu'à son confort immédiat» compromette la belle mécanique de sauvetage de la zone euro et des établissements financiers que les contribuables européens devront recapitaliser. La politique est une affaire trop sérieuse pour la laisser au main du peuple. Ce mépris pour le peuple, considéré comme ignorant par nature et potentiellement dangereux si d'aventure on lui confiait le destin du pays, a existé de tout temps. Il émane de la conviction que l'élite, sage et détenant la connaissance nécessaire, est la seule légitimement habilitée à guider la société. Le mot élite suggère d'ailleurs l'idée de l'élection. Mais élu par qui? Dans les régimes dictatoriaux, c'est une question qui relève du choix divin que conforte par la suite la «bonne» naissance. Personne ne peut contester cette élection sans s'opposer à la sagesse divine ou aux lois de la nature. Cette stratégie trouve dans le mépris du peuple et son maintien dans l'ignorance une manière de garder le pouvoir. Mais même dans les pays démocratiques, le «gouvernement du peuple» n'est qu'une douce illusion. La démocratie est le choix libre du peuple qui ne puise pas toujours sa vérité dans le bon sens. Nous sommes bien placés pour le savoir. Tout le monde ne vote pas et tous ceux qui votent ne savent pas forcément pour quoi ils le font. Puis ceux qui le savent peuvent être trompés. Cela laisse peu de place à la vérité. C'est la démocratie. La chimère du gouvernement du peuple là où il n'y a en réalité qu'un gouvernement avec le consentement du peuple. L'avantage qu'a la démocratie sur la dictature est de rendre plus clémente l'idée qu'une élite s'accapare le pouvoir. À la bonne heure ! Le problème n'est pas là. Il est dans la nature de cette élite. Faire partie de l'élite n'implique pas objectivement d'être le meilleur. En effet, l'élite se conjugue au pluriel. C'est pourquoi il est nécessaire parfois de coller au mot un adjectif qui en précise le sens : une élite éclairée, dynamique ou encore corrompue. C'est justement la question que posait la première édition de Echoscope des Echos quotidien. La rencontre, assez feutrée, n'a pas manqué de donner lieu à des échanges passionnants parfois même critiques, mais toujours à fleuret moucheté, comme il se doit dans la bonne société. La question de la relation de l'élite avec la base de la société a été soulevée maintes fois sous différentes formes. Notre système permet-il la régénération des élites et leur renouvellement ? Peut-on par la mobilité sociale accéder à cette place quand on est issu du peuple ? On espère bien entendu par cette ascension sociale que les nouveaux élus puissent ramener dans leur sacs un peu de la réalité des classes d'où ils sont issus. Une autre illusion. Nous avons vu quelques enfants du peuple devenir amnésiques une fois qu'ils ont goûté au pouvoir. La question de la conscience qu'a l'élite de la réalité de la base est aussi revenue avec insistance. L'élite a en effet tendance à rester dans des sphères célestes pensant que la richesse créée en haut finira par déborder et tomber plus bas, inondant comme une manne le peuple affamé. La cécité que procure la béatitude éthérée où baigne l'élite a eu souvent des conséquences néfastes. Kadhafi pensait sérieusement que son peuple l'aimait au point de se sacrifier pour lui. En Tunisie, on pensait, à cause de l'image que nous envoyait une élite occidentalisée et laïcisée, que cette société s'était définitivement coupée de ses racines culturelles. Les élections libres nous ont révélé une autre réalité. Ne risquons-nous pas de découvrir celle de notre base, quand la projection prendra fin et que la lumière inondera la salle ? Certains politiques ont cherché à faire de la crainte de la résurgence d'une réalité oubliée leur raison d'être. Ils promettaient de nous prémunir d'une «surprise» qu'ils qualifiaient de «mauvaise». Mais peut-on sérieusement défendre un projet qui servirait l'intérêt du pays, celui des «Marocains d'en-bas» et d'en-haut, en comptant sur une élite fabriquée pour l'occasion de toute pièce ? À moins qu'on ne veuille s'inspirer de nos amis européens et laisser le peuple loin des affaires trop compliquées pour son intelligence étriquée.